Cyberpunk 2077 est un jeu de rôles d’action publié et édité par la multinationale polonaise CD Projekt Red. Sa sortie a fait couler… beaucoup d’encre, mais ce n’est pas le sujet de cet article.
Dans le jeu, le joueur prend le rôle de V, un (ou une) mercenaire qui se voit placé en conflit avec la plus puissante mégacorporation du monde, Arasaka. Inspiré du jeu de rôles sur table Cyberpunk 2020, publié dans les années 1990, ce jeu est un hommage aux nombreuses œuvres du genre cyberpunk.
Cet article est la première partie d’un dossier multiarticle sur différents aspects de la rhétorique de l’espace de jeu de Cyberpunk 2077.
Cyberpunk 2077, comme son nom l’indique si bien, est un jeu du genre cyberpunk. Popularisé dans les années 1980, le cyberpunk est un sous-genre de la science-fiction qui se présente comme critique de la mondialisation du capitalisme post-industriel et du développement exponentiel des technologies de l’information (Krevel, 2018 : 9).
Une promenade dans l’espace de jeu de Night City révèle ses inspirations : des néons en kanji japonais illuminent les tours à bureau, les images publicitaires sont omniprésentes et les espaces eux-mêmes sont suffocants.
Le jeu utilise plusieurs tactiques pour évoquer les critiques typiques de son genre, mais la plus visible (et envahissante) est sans aucun doute son utilisation d’images publicitaires dans l’espace de jeu. Quand la joueuse se promène dans la ville de Night City, elle est bombardée de messages publicitaires diégétiques (diégétiques signifie « réels dans l’univers fictif du jeu »).
C’est un peu difficile à décrire dans un article à quel point il y en a partout. La signification de l’omniprésence des publicités sera le sujet d’un autre article. Pour l’instant, concentrons-nous sur ce que les publicités du jeu nous disent.
Un peu de théorie.
Umberto Eco parle du « lecteur-modèle ». C’est un concept pour nous aider à décortiquer comment nous comprenons une œuvre ou un média.
Un livre, fondamentalement, c’est un tas d’arbres avec de l’encre. Un livre ne fait aucun sens tant et aussi longtemps qu’une lectrice ne prend pas le temps de lire les mots et les interpréter de la façon que le roman demande. Quand nous lisons un roman, nous acceptons que chaque page soit une continuation de la page d’avant et nous lisons le texte dans l’ordre. Si nous n’acceptons pas cela, nous ne pouvons pas lire le livre. C’est pour ça qu’il faut « collaborer » avec un média. Le concept du lecteur-modèle, c’est l’idée que nous pouvons assumer comment « un bon lecteur » collaborerait avec le média. Ceci nous permet d’interpréter ce que le média « devrait communiquer » au « lecteur-modèle » (Guillemette et Cossette, 2006.)
Collaborons avec Cyberpunk 2077, dans ce cas.
Le fait que les images publicitaires apparaissent dans un jeu vidéo modifie la façon que la joueuse interprète leur message. Dans Cyberpunk 2077, le contexte vidéoludique nous permet de comprendre que nous les publicités sont des images :
Comme les publicités que nous connaissons, les publicités dans Cyberpunk 2077 ont des slogans, vendent des produits avec des noms, portent parfois des avertissements légaux et sont structurées comme des publicités. Les images publicitaires dans le jeu sont des publicités, et ce, même si nous ne connaissons pas les produits qu’elles vendent. L’idée du dictionnaire de Barthes est pertinente ici : puisque les images emploient les signes typiques de cette manifestation médiatique, la joueuse a le contexte nécessaire pour accepter ce saut de signification (Barthes, 1965 : 97-98).
Les publicités dans Cyberpunk 2077 sont des publicités, mais ne sont pas nos publicités. À cause de notre regard extérieur au monde de Cyberpunk 2077, nous interprétons les images publicitaires du jeu un peu à la manière d’une touriste : « Qu’est-ce que ces images m’apprennent sur cet endroit que je visite ? »
Les publicités utilisent la rhétorique visuelle : c’est-à-dire qu’elles utilisent une variété de signes et de messages textuels afin de nous convaincre (Barthes, 1964 : 41-42). Lorsqu’une publicité de parfum montre deux personnes à moitié dénudées sur le point de s’embrasser, l’objectif est que nous, consommatrices, comprenions que « porter ce parfum nous permet de faire des choses explicites avec des gens sexy. » C'est de la rhétorique visuelle: en associant l'image des personnes sexy au parfum, nous sommes portés à nous procurer ledit parfum.
Je vous évite le bonheur de vous expliquer comment Barthes a analysé la rhétorique d’une vieille publicité de pâtes françaises-mais-italiennes. Plutôt, je vous propose de me suivre alors que je décortique la rhétorique visuelle de certaines publicités dans le jeu, afin d’illustrer leurs thèmes. Je commencerai par présenter des exemples de publicités et, par la suite, examiner ce que les thèmes des publicités tentent de communiquer.
Un des thèmes les plus importants, sinon LE plus important, c’est celui du sexe. Dans l’univers de Cyberpunk 2077, comme dans le nôtre, le sexe vend.
Prenons cet exemple :
Nous comprenons instantanément la rhétorique de premier degré de cette image. La boisson alcoolisée Abydos est représentée en plein centre de l'image, encadrée par les jambes d'un homme et deux visages féminins, accoutrés avec des stéréotypes de l'Égypte ancienne. La bouteille bleue entre les jambes fait office de pénis en érection, que les femmes regardent avec admiration. Le produit est représenté comme étant capable d’attirer les femmes, comme un signe de masculinité, et ce, peu importe l’apparence du buveur.
L’essence de la promesse, en elle-même, n’est pas anormale. En fait, il serait presque impossible pour moi de trouver une publicité de bières qui ne promet pas aux hommes que la bière leur permet d’être en compagnie de super modèles. Plutôt, c’est l’intensité des signes, c’est l’aspect grivois, de la publicité Abydos qui nous fait réagir et qui nous en apprend sur cet univers.
Toutes les publicités sont un peu comme ça :
« Mr. Stud » est un produit sexuel, un cyberimplant spécialisé, qui est vendu sur la place publique.
D’autres produits sexuels sont vendus sur la place publique, notamment le « Sasha Devon experience », que nous assumons être un braindance pornographique (les braindances, dans l’univers de Cyberpunk 2077, sont des enregistrements sensoriels qui permettent de vivre toutes les sensations et les émotions de l’actrice).
L’exemple de « Champaradise » est aussi flagrant par son usage d’un signe grivois à des fins promotionnelles.
Le sexe vend, dans l’univers de Cyberpunk 2077. En contraste avec les images publicitaires à laquelle nous sommes normalement exposés, par contre, ces images sont grivoises, dégradantes et très directes. La joueuse, lorsqu’elle est confrontée à ces images publicitaires, en conclut que le monde du jeu est hypersexualisé.
L’utilisation du choc dans la publicité n’a rien de nouveau. Les publicités utilisent fréquemment des images frappantes parce que nos réactions rendent notre interaction avec la marque plus mémorable. Ce concept est aussi utilisé dans les images publicitaires de Cyberpunk 2077. Cette imagerie choquante est générée, justement, par l’usage grivois de signifiants sexuels, comme nous l'avons vu, mais aussi en brisant d’autres tabous.
Dans un exemple pour la marque « Chromanticore », on trouve un personnage d’apparence féminine, doté d’un pénis disproportionné en érection visible à travers son habit serré, qui sirote d’une canette avec une longue paille. Le slogan du produit « MIX IT UP », affiché à gauche est accompagné du texte publicitaire descriptif « 16 flavors you’d love to mix ».
Cette publicité brise plusieurs tabous, tout d’abord, en codant le signe d’une femme trans, puis en l’objectifiant pour vendre de la boisson gazeuse. Le message iconique codé, ici est d’associer le changement de genre et d’organes sexuels à la saveur personnalisable de la marque. Ici, c’est l’objectification de ce que nous considérons comme une minorité sexuelle vulnérable comme étant choquant.
Le choc causé par cette image a aussi eu lieu dans la vraie vie. La publicité a été vivement critiquée par plusieurs pour son utilisation dégradante d’un corps trans.
Un autre exemple d’imagerie choquante prend la forme du gore ou de l’horreur corporelle. Dans le premier exemple, on voit en grands détails une personne s’arracher la peau du visage parce qu’elle « hait sa viande ». Dans l’exemple pour le produit alimentaire, on constate « une explosion de saveur » qui explose la tête du modèle, alors que dans la dernière, un bébé avec des mutations génétiques est représenté pour vendre des assurances.
L’idée n’est pas nécessairement que ces choses choqueront toutes les joueuses, mais plutôt que ces représentations sont discordantes avec les normes et les codes de la publicité auxquels nous sommes habituées. Ceci génère une thématique des marques qui exploitent de l’imagerie irrespectueuse ou choquante pour attirer notre attention.
Certaines des images publicitaires diégétiques représentées dans le jeu retirent aux publicités de certains produits les euphémismes auxquels la joueuse est habituée. D’une certaine façon, les publicités dans Cyberpunk 2077 parodient les publicités en montrant « la vraie raison » d’acheter le produit.
Dans cette publicité de BudgetArms, on voit une femme, en tenue de nuit, brandir une arme. Avec l'ombre armée d'un couteau, nous comprenons qu'elle se défend d’un intrus. La publicité est accompagnée du slogan « 2nd Amendment is not only for the rich ». La publicité argumente que la défense de son chez-soi est un droit accessible à toutes et, plus encore, fait cet argument directement. Dans les pays où les armes à feu sont accessibles, comme aux États-Unis, les contenus publicitaires pour la vente d’armes à feu présentent d’autres types d’arguments rhétoriques, comme l’utilisation des armes pour le plaisir, la chasse et en associant le produit avec les forces armées ou la police (Jordan et coll., 2020 : 9-10). Utiliser un argument aussi direct brise les standards habituels et montre, en quelque sorte, la « vraie raison » qui motive l’achat.
Il y a d’autres exemples. Dans une autre publicité pour un produit médical, on aperçoit un homme sur le point de se suicider par balle à cause du stress lié à son travail. Plutôt que de poser la question, « vous sentez-vous stressé au travail ? », comme on s’attendrait, la question de cette image est « es-tu sur le bord de te tirer une balle ? »
Je soulignerais d’autres exemples similaires comme une publicité de la marque Jinguji qui « dénonce » la vanité des riches ou encore l’appel à la masculinité très directe avec une publicité de parfum qui « sent les vrais hommes. »
Les images publicitaires de Cyberpunk 2077 commentent les publicités contemporaines en retirant les métaphores et les euphémismes auxquels nous sommes habituées, ce qui permet aux joueuses de voir une interprétation de leur « réelle » promesse.
Les images publicitaires dans Cyberpunk 2077 sont excessives et extrêmes. La publicité d’Abydos nous semble grivoise, la publicité de Chromanticore est déplacée, la publicité de médicaments est trop directe. Cette interprétation d’être « trop » est aussi causée par l’usage de codes distinctement différents des publicités contemporaines. Nous sommes familiers avec les arguments rhétoriques utilisés dans ces publicités, mais les symboles qu’elles choisissent d’utiliser nous choquent et nous poussent à les interpréter comme étant « trop. »
Les réceptrices, soit les joueuses qui sont exposées à ces publicités, sont invitées à venir à la conclusion que l’univers diégétique de Cyberpunk 2077 est hypersexualisé, n’a plus de place pour les euphémismes et est excessivement choquant. Ce sont des publicités extrêmes et dénudées de toute subtilité qui occupent l’espace de jeu de Cyberpunk 2077.
Ces choix encouragent les joueuses à recevoir l’idée que l’univers de Cyberpunk 2077 existe dans un système capitaliste dont les excès sont palpables. La publicité et ses trucs pour capturer notre attention, pour nous vendre sa marchandise et pour générer chez nous des faux besoins se voient mis à découvert et critiqués.
Dans l’univers de Cyberpunk 2077, le sexe vend. Dans le nôtre aussi. La seule distinction, alors, est que nous sommes gênés de l’admettre et de le montrer. Dans l’univers de Cyberpunk 2077, les publicités cherchent à nous choquer. Dans le nôtre aussi. La seule distinction est donc l'usage d'autres façons de choquer, comme l'horreur corporelle et la fétishisation inappropriée. Dans l’univers de Cyberpunk 2077, les publicités sont employées pour résoudre des problèmes pourtant tabous. Dans le nôtre aussi. La seule différence, c'est que les publicités de Cyberpunk 2077 ne mâchent pas leur mots et vont droit au but.
Ces publicités parodiques ne représentent pas nécessairement une critique profonde du capitalisme. Nous pourrions même dire qu’elles ne critiquent pas assez : où sont les publicités pour les services de prêts d’urgence, les services de location-achat, les prêteurs-sur-gages, ou les casinos, par exemple ? Ce genre de publicités représenteraient des services et des industries qui profitent de la situation financière précaire des habitantes de Night City, après tout. Cyberpunk 2077 arrête sa critique au consumérisme excessif et crasse des produits de tous les jours, et ne produit pas (ou du moins, peu) de d'images publicitaires qui critiquent les systèmes et les institutions qui profitent du malheur des habitantes d’un univers cyberpunk.
Cela étant dit, nous pouvons voir un effort important de parodier, par l’entremise de messages publicitaires dans un espace de jeu, les arguments typiques de la publicité contemporaine. Par l'amplification des signes et la rhétorique visuelle « excessive », les publicités de Cyberpunk 2077 mettent en scène des versions exagérées de la publicité contemporaine
Dans le prochain article de cette série, nous abordons les arguments rhétoriques générés par la présence de ces publicités dans Cyberpunk 2077.
Barthes, R. (1964). Rhétorique de l’image. Communications, 4(1), 40‑51. https://doi.org/10.3406/comm.1964.1027
Eco, U. (1985). Lector in fabula. Dans Lector in fabula (p. 84‑108). Éditions du Seuil.
Gerding Speno, A. et Aubrey, J. S. (2018). Sexualization, Youthification, and Adultification: A Content Analysis of Images of Girls and Women in Popular Magazines. Journalism & Mass Communication Quarterly, 95(3), 625‑646. https://doi.org/10.1177/1077699017728918
Gramazio, S., Cadinu, M., Guizzo, F. et Carnaghi, A. (2020). Does Sex Really Sell? Paradoxical Effects of Sexualization in Advertising on Product Attractiveness and Purchase Intentions. Sex Roles. https://doi.org/10.1007/s11199-020-01190-6
Guillemette, L. et Cossette, J. (2006). Umberto Eco : La coopération textuelle. http://www.signosemio.com/eco/cooperation-textuelle.asp
Jordan, L., Kalin, J. et Dabrowski, C. (2020). Characteristics of Gun Advertisements on Social Media: Systematic Search and Content Analysis of Twitter and YouTube Posts. Journal of Medical Internet Research, 22(3), e15736. https://doi.org/10.2196/15736
Krevel, M. (2018). On the Apocalypse that No One Noticed. ELOPE ; English Language Overseas Perspectives and Enquiries, 15(1), 9‑16.
Pour mon mémoire, j’étudie pourquoi les joueuses de jeux de rôles sur table modifient les règles des jeux de rôles sur table. Dans le cadre du cours Jeux vidéo et société à l’UQÀM, pour mon travail de fin de session, j’ai décidé de faire une recherche qualitative liée à ce sujet en étudiant comment les utilisatrices d’une communauté en ligne modifient les règlements du jeu. Cet article est une version réduite de ce travail.
Le féminin est utilisé pour alléger le texte.
Les publications archivées mentionnées dans cet article sont accessibles dans un article connexe.
La cinquième édition de Donjons et Dragons (D&D 5e) est actuellement le jeu de rôles le plus populaire sur le marché. Le jeu a attiré plus de 50 millions de joueuses en 2020 (Wieland, 2021).
La modification des règlements dans les jeux de rôles est une réalité omniprésente dans les communautés dédiées aux jeux de rôles. Sur des plateformes comme DriveThruRPG.com et dmsguild.com, des créatrices indépendantes partagent des règles, des aventures et du contenu optionnel que les joueuses peuvent intégrer à leurs parties.
Sur Reddit, les amatrices du jeu partagent des règles alternatives, des contenus maisons et des modifications de règlements dans des communautés comme /r/DnD (2,5 millions d’abonnés), /r/dndnext (552 000 abonnés), /r/DMAcademy (467 000 abonnés), /r/dndmaps (224 000 membres), /r/dndmemes (894 000 membres).
Afin d'étudier une des manifestations de ce phénomène, cet article se penche sur la manière dont la pratique apparaît dans une communauté en ligne dédiée à D&D 5e. Nous posons donc la question de recherche suivante : comment les membres de la communauté en ligne sur Reddit « /r/UnearthedArcana » négocient-elles leur relation avec les règlements originaux de la 5e édition de Donjons et Dragons ?
Pour étudier comment la communauté en ligne /r/UnearthedArcana modifie les règlements, j’emploie trois idées principales
L’appropriation est ce qui arrive nécessairement lorsque nous jouons. Lorsque nous jouons, nous avons une liberté d’action : si nous n’appuyons pas sur les boutons, nous ne jouons pas. Cependant, le jeu ne peut pas nous forcer à effectuer des actions précises. Cela est sous le contrôle de chaque joueuse. (Bonenfant, 2008, p.63).
Dans un jeu vidéo, ceci signifie que, s’il est vrai que nous ne contrôlons pas les règles du jeu, nous choisissons comment nous les utilisons. Une joueuse peut sauter sur place pendant 10 minutes si elle le souhaite.
Ceci est différent dans les jeux de rôles sur table. Les règles des jeux de rôles sur table ne sont pas préprogrammées. Plutôt, ça fait partie du rôle des joueuses et des meneuses d’appliquer les règlements suggérées dans les livres de règlements. Étant donné que ceci est fait par les joueuses, l'application même des règlements fait partie de l’espace d’appropriation de ce type de jeu.
Ainsi, nous percevons les modifications de règlements comme des appropriations de la part des joueuses.
Dans son chapitre Agency and Authority in Role-Playing « Texts » du livre New literacies sampler, Jessica Hammer argumente que ce genre de décision fait partie du processus collaboratif inhérent aux jeux de rôles (Hammer, 2007, p. 70).
Plusieurs autrices se disputent l’autorité dans le cadre d’une partie de jeu de rôles. Les jeux de rôles, écrit-elle, sont le résultat de trois textes différents qui ensemble, créent une histoire. Il y a l’autrice primaire, qui écrit les règles et codifie le monde du jeu. L’autrice secondaire, souvent la meneuse du jeu, qui crée des scénarios avec les règles et l’univers du jeu. Les autrices tertiaires sont les joueuses, qui écrivent, avec leurs actions en jeu, le texte final qui est lu durant la séance de jeu (Hammer, 2007 : 70-71).
Chacune de ces autrices est dotée d’une autorité (c’est-à-dire, le pouvoir de prendre les décisions finales en lien avec le texte) et d’une agentivité (c’est-à-dire, le pouvoir d’agir dans la création du texte) (Hammer, 2007, p. 74). Une joueuse, par exemple, a l’agentivité de déclarer qu’elle tente d’effectuer une action, mais la meneuse emploie son autorité pour lui dire qu’elle doit rouler un dé pour réussir son action. Dans ce cas-ci, la meneuse a l’autorité d’encadrer les actions de la joueuse.
Colin Stricklin, dans son mémoire, propose d'ajouter le concept des autrices de « différent ordres » au modèle de Hammer. Les autrices d’ordre inférieur possèdent moins d’autorité ou d’agentivité relativement à une autrice d’ordre supérieur, malgré le fait qu’elles occupent sensiblement le même rôle dans la création du texte final (Stricklin, 2017, p.34). Stricklin argumente que l'écrivaine d'un module d'aventure (un livre qui contient un scénario qui guide les joueuses dans une aventure) est une autrice secondaire d’ordre supérieur à la meneuse du jeu. Le module d’aventure crée un scénario contraint par le texte primaire, mais est aussi considéré comme plus autoritaire que la meneuse du jeu, parce que l’aventure est un contenu officiel imprimé par la compagnie.
Dans le contexte de cet article, la négociation de l’agentivité est perceptible à travers la façon dont les utilisatrices décident quelles règles sont « modifiables » et celles qui « ne se changent pas. »
Dans le cadre de cette étude, nous observerons comment les communautés encouragent et découragent certains types de contenu. La socialisation est le processus durant lequel des individus internalisent et apprennent les règles d’une communauté sociale. Ce phénomène se déroule aussi dans les communautés en ligne (IGI Global, 2022).
Nous étudions spécifiquement une communauté sur Reddit. Reddit est un site web communautaire d’agglomération de contenu. Les utilisatrices s'abonnent à des communautés qui agglomèrent des partages de liens, des images et des publications textuelles. Les utilisatrices ont la possibilité de s’inscrire à des sous-communautés précises, afin de déterminer le type de contenu qu’elles souhaitent voir sur le site. Ces sous-communautés, nommées subreddits (« sous-reddits »), ont souvent leurs propres règles, types de contenus, et normes sociales (Chandrasekharan et al., 2018, p.2-3 ; Fiesler, 2018).
Sur Reddit, il est possible de voter sur une publication, lui donner une récompense ou publier un commentaire sous la publication. Cette rétroaction affecte la visibilité de la publication. Les publications avec plus de posivotes (upvotes) attirent davantage de rétroaction positive (Lee et al., 2014, p.351-352).
Avec l’aide de ces outils de rétroaction, les utilisatrices des communautés Reddit encouragent certains types de contenus et en découragent d’autres. Chandrasekharan et al. identifient une série de normes de différents niveaux : certaines normes sont encouragées ou découragées globalement sur le site alors que d’autres ne sont appliquées que dans certaines communautés. Les contenus et les commentaires racistes et homophobes, par exemple, contreviennent aux normes sociales générales du site de Reddit et sont retirés par les différentes équipes de modération (Chandrasekharan et al., 2018, p.16-20). Les utilisatrices d’une communauté en ligne seraient encouragées à partager du contenu si elles reçoivent de la rétroaction forte (Lee et al., 2014, p.351-352).
Tout cela pour dire que : nous comprenons la rétroaction positive (les posivotes, les commentaires positifs et constructifs, les récompenses) comme étant des éléments qui aident les « bons » contenus à être plus visibles, alors que la rétroaction négative (les négavotes et les commentaires négatifs) sont utilisés par une communauté pour rejeter certains types de contenus. Avec l’aide de ces outils de rétroaction, la communauté peut socialiser les utilisatrices à voir certains types de contenus comme étant bons et pertinents et à en voir d’autres comme « hors-normes » et « mauvais. »
Une communauté sur Reddit avec plus de 200 000 abonnés, /r/UnearthedArcana a été choisie parce qu’elle est dédiée spécifiquement à la modification des règlements du jeu. En date du 5 décembre 2021, sa description dit : « A subreddit for D&D 5e homebrew. Fun and smart additions to the game, the friendly Discord of Many Things, and thousands of past submissions to search. » La communauté prend son nom de l’initiative de l’éditeur de D&D 5e de publier du contenu non officiel afin de permettre à la communauté de les tester. La communauté fait partie d’un écosystème plus large sur Reddit dédié aux discussions sur Donjons et Dragons.
Les publications populaires sur /r/UnearthedArcana sont un mélange d’outils pour les meneuses du jeu, de nouvelles options pour les joueuses, ainsi que de nouveaux systèmes de règlements pour le jeu D&D 5e.
Une ethnographie en ligne qualitative de 10 publications publiées sur /r/UnearthedArcana a été effectuée. La moitié ont été choisies avec l’aide de l’outil « Meilleures Publications » de Reddit (qui classe les publications selon leur nombre de posivotes) et l’autre moitié avec l’outil « Controversé » (qui présente les publications qui ont reçu un taux plus élevé de négavotes). Les publications controversées avec peu de commentaires ont été écartées, afin de privilégier les publications qui ont reçu plus de rétroaction analysable.
Les publications archivées sont accessibles dans un article connexe, mais des captures d'écran seront aussi présentées tout au long du texte.
Des dix publications sélectionnées, quatre ajoutent des options pour les personnages des joueuses, deux sont des ajouts de mécaniques au jeu, deux sont des objets magiques et deux sont des révisions de sorts publiés dans le Guide des joueurs de D&D 5e.
En général, nous constatons que les contenus sélectionnés encouragent l’ajout d’options et de contenu au jeu. Seulement 2 des 10 publications sélectionnées ont comme prémisse de modifier directement le contenu publié. Plutôt, les publications sélectionnées cherchent à créer des options qui se « glissent dans » le système de D&D 5e.
La forme que prennent les publications sélectionnées est très codifiée. Les publications sélectionnées semblent mettre un effort considérable pour copier l’esthétique des livres de règlements de D&D 5e autant en ce qui a trait à l’utilisation d’images fantastiques que la disposition de l’information.
La seule publication sélectionnée qui dévie significativement de la direction esthétique des livres de règlements (la publication 9) a reçu un taux de négavotes beaucoup plus haut que la plupart et a reçu de la rétroaction négative dans les commentaires à cause de son apparence.
Plus encore, nous remarquons que les utilisatrices copient la façon dont les règles sont écrites. Wizards of the Coast, afin de maintenir une cohérence dans ses nombreuses procédures, a créé une structure et des formulations de phrases précises pour présenter les règles de son jeu. Ceci est aussi imité par les utilisatrices de la communauté.
Nous pouvons interpréter cette utilisation du style des livres de règlements comme une forme d’appel à l’autorité. L’imitation des choix esthétiques de l’autrice primaire semble être un facteur important pour être visible sur /r/UnearthedArcana. Les utilisatrices sont socialisés à publier des contenus avec une esthétique peaufinée et qui ressemble au contenu original. L'omniprésence de ces choix esthétiques dans les publications sélectionnées nous mène à croire que les utilisatrices doivent faire appel à l'autorité visuelle du texte primaire pour que leur contenu soit accepté par la communauté.
Les utilisatrices de /r/UnearthedArcana se préoccupent aussi avec le « balancing » : l’équilibrage. L'équilibrage, ici, est l'idée que les habiletés dans le jeu doivent avoir un niveau de puissance similaire en jeu. La communauté compare les contenus publiés aux règlements officiels publiés afin de déterminer sa validité:
Ces commentaires qui se préoccupent avec l’équilibrage sont aussi présents sous les publications controversées, mais ont un ton notamment plus désobligeant ou négatif. Certains de ces commentaires ne sont pas constructifs.
Nous remarquons aussi l’usage de ce que j’appellerais du theorycrafting argumentatoire dans les commentaires. Certaines utilisatrices inventent des scénarios et combinent des effets afin de prouver que le contenu d’une publication est déséquilibré. Ce type de commentaire reçoit fréquemment des posivotes.
Cette méthode est quasi-scientifique : en montrant comment les habiletés tirées du jeu interagissent avec les modifications proposées, les utilisatrices « prouvent » l'aspect déséquilibré du contenu et fabriquent une justification pour le rejeter ou pour demander qu’il soit modifié.
Les efforts des membres de la communauté d’encourager les modifications « équilibrées » et de critiquer les modifications « déséquilibrées » génèrent donc un environnement où les règles originales sont employées comme ultimes décideuses de la pertinence d’une modification.
Certaines des publications sélectionnées (1, 7, 9) ont généré des commentaires qui décourageaient certains types de modification.
Dans la publication 1, l’utilisation des mécaniques des feats et du attunement étaient jugées comme incohérentes avec les intentions du jeu. Pour ceux qui ne connaissent pas le jeu, les feats sont des habiletés optionnelles que les personnages peuvent débloquer et l’attunement est une règle qui stipule qu’un personnage doit « se connecter » magiquement avec certains objets magiques puissants pour gagner ses bénéfices. Normalement, un personnage peut être attuned à un maximum de trois objets magiques.
Dans la publication 7, le fait que l’utilisatrice ait associé une des habiletés de son arme magique à une « Action » plutôt qu’à une « Attaque » est vivement critiqué.
Dans la seule série de commentaires sous la publication 9, l’utilisatrice Bjorn_styrkr argumente avec la créatrice que le contenu de sa publication est déséquilibré parce qu’elle contrevient à plusieurs principes du jeu.
Dans les trois publications où le phénomène a été constaté, les utilisatrices argumentent qu’il y a une bonne façon d’utiliser les mécaniques du jeu dans les modifications. Les attunements ne devraient pas être un bénéfice offert à tous, les armes magiques doivent être plus puissantes sur les personnages qui utilisent des armes martiales, le soin de Points de Vie doit être déployé d’une certaine façon, etc.
Dans ces trois exemples, des membres de la communauté semblent avoir interprété des intentions de design aux livres de règlements de D&D 5e. Ces intentions de design sont imprécises et vagues, mais, quelles qu’elles soient, les utilisatrices sont socialisées à les respecter et à utiliser leurs outils de rétroaction pour les imposer aux autres utilisatrices.
Nous avons argumenté que la modification des règlements est une forme d’appropriation. Les publications sélectionnées sont, en plus de cela, des remédiations. Ce sont des produits média, créés par des utilisatrices inspirées par le jeu original. D’une certaine façon, les modifications de jeux de rôles sont des fanfictions de jeux de rôles sur table : l’utilisatrice utilise sa créativité et le contenu du jeu pour créer son propre contenu, qu’elle présente ensuite à la communauté.
Sur /r/UnearthedArcana, plusieurs appropriations ne sont pas jugées pertinentes. La communauté semble avoir décidé que la définition d’une modification de règles est l’ajout de contenus et de systèmes qui ne déséquilibrent pas l’expérience et qui respectent les intentions de design de D&D 5e. Les publications controversées contreviennent, d’une façon ou d’une autre à cette interprétation. Les outils de rétroaction de Reddit sont employés pour limiter la visibilité des publications avec des idées considérées déséquilibrées ou des idées qui « utilisent mal les règles ».
La communauté semble avoir décidé que la définition d’une modification de règles est l’ajout de contenus et de systèmes qui ne déséquilibrent pas l’expérience et qui respectent les intentions de design de D&D 5e.
Il est intéressant de noter que les deux publications qui proposaient des changements à des règlements publiés ont été trouvées avec l’outil « Controversé ». Dans les commentaires, les utilisatrices ne critiquaient pas l’idée de changer ces sorts, mais plutôt la façon dont ils ont été modifiés. Ainsi, nous hypothétisons que la « preuve sociale » nécessaire pour modifier directement des systèmes publiés est plus grande.
La grande majorité des publications, plutôt, prennent la forme d'ajouts aux règlements du jeu : des nouvelles sous-classes, des nouveaux objets magiques, des nouvelles mécaniques, etc. Ces ajouts respectent le contenu publié et mettent un effort important pour mimer l’esthétique et les formulations des livres originaux. 9 des publications sélectionnées ont fait l’effort de copier la disposition de l’information, la formulation des règles et l’esthétique du contenu publié.
Cette section applique les concepts avancés par Jessica Hammer (2008) aux observations précédemment identifiées. Cette recherche ne peut présumer le rôle que joue chaque utilisatrice dans la création d’un texte de jeu de rôles et, finalement, ne peut observer que les discussions médiatisées à propos du phénomène. Ceci signifie, concrètement, que le seul texte auquel les utilisatrices de /r/UnearthedArcana ont toutes accès est le texte primaire, les livres de règlements.
D’une certaine façon, la communauté négocie son agentivité sur le cadrage avec le texte primaire. Les livres de règlements sont la source d’autorité principale sur /r/UnearthedArcana. Cette autorité se traduit par une préoccupation importante de la part des utilisatrices pour que le contenu soit « équilibré » avec le reste du jeu. La comparaison avec le contenu du livre, le theorycrafting argumentatoire et les arguments basés sur le respect des intentions de design sont employées pour dénoncer les publications qui « s’attaquent » aux principes de D&D 5e. Les outils de rétroaction de Reddit sont employés pour socialiser les abonnées à créer des modifications qui ne contreviennent pas aux procédures établies de D&D 5e.
Il est pertinent de noter que les livres de règlements ne sont pas intouchables. La publication controversée 6 propose de modifier le sort True Strike. Dans les commentaires, les utilisatrices ne critiquent pas la prémisse de modifier ce sort (même que certaines sont en accord que ce sort n'est pas assez puissant), mais restent critiques envers l’utilisatrice en ce qui a trait à l’équilibrage de la proposition. Les publications populaires 1 et 4 contiennent toutes deux des utilisatrices qui affirment que les modifications proposées sont pertinentes à cause d’un manquement perçu dans les règlements du jeu.
Ainsi, la communauté s’octroie l’agentivité d’ajouter des éléments aux règlements de D&D 5e ou de les modifier, mais codifie la façon dont cette agentivité peut être employée. La communauté impose l’autorité des règlements lorsque des déviations sont constatées, en dénonçant le contenu dans les commentaires ou en laissant des négavotes.
La négociation avec le texte primaire se déroule aussi entre les utilisatrices qui publient et la communauté. Empruntons à Stricklin son concept des autrices de différents ordres. Les utilisatrices qui publient se présentent à la communauté comme des autrices primaires d’ordre inférieur aux textes publiés. Les publications sont donc des textes primaires d’ordre inférieur, en comparaison aux livres de règlements, qui sont d'un ordre supérieur.
Les utilisatrices qui publient ces contenus n’ont aucune autorité à la base, et ont une agentivité limitée par l’autorité du texte primaire et par l’approbation de la communauté. L’utilisatrice doit gagner son autorité par l’entremise du contenu qu’elle publie. La publication elle-même représente un argumentaire visuel et textuel pour se justifier comme ajout potentiel au texte primaire.
Revenons à l’appel à l’autorité, que nous avons mentionné plus tôt. L’utilisation de l’esthétique des livres de règlements publiés, de la syntaxe des textes de règlements et le respect de l’équilibrage du texte primaire sont des efforts de négociation pour montrer la pertinence de la publication comme texte primaire. Ces éléments sont ce qui permettent, aux yeux de la communauté, à des règles inventées d’être intégrées au texte primaire d’une partie.
« J’ajouterais cette règle à ma partie » est donc l’ultime forme d’approbation d’une règle modifiée sur /r/UnearthedArcana, parce que cela signifie que la communauté juge la publication assez bonne pour l'intégrer au texte primaire.
Évidemment, cet ajout est purement hypothétique: les utilisatrices de /r/UnearthedArcana parlent de D&D 5e, mais ne jouent pas à D&D 5e. La modification du cadrage, la modification les règles, est décidée par chaque groupe de jeu individuellement.
Le présent travail a employé les concepts des niveaux d’autrices de Jessica Hammer, l’appropriation selon Maude Bonenfant et la socialisation en ligne pour comprendre comment les modifications du jeu D&D 5e prennent forme sur la communauté en ligne sur Reddit /r/UnearthedArcana. En étudiant le contenu, les commentaires et les votes de 10 publications qui ont généré un haut taux de rétroaction durant le mois de novembre 2021, certains constats se sont présentés.
La communauté de /r/UnearthedArcana place le texte primaire du jeu comme la plus importante source d’autorité pour déterminer la qualité des publications soumises par les utilisatrices. Les publications populaires sont celles qui adoptent l’apparence et le style linguistique des règles officielles. Cet effort esthétique fonctionne comme un « appel à l’autorité » : si les règles sont bien présentées, ce sont des modifications « sérieuses. »
Plus encore, nous avons remarqué que la communauté socialise ses utilisatrices à créer des contenus équilibrés avec les classes, habiletés et objets magiques publiés par Wizards of the Coast. Le contenu jugé déséquilibré reçoit plus de rétroaction négative et de commentaires désobligeants, alors que les contenus jugés équilibrés reçoivent davantage de rétroaction positive et constructive.
Sur /r/UnearthedArcana, la modification de règlements rime avec l’ajout de contenu équilibré au jeu. Les bonnes modifications des règlements sont des contenus qui respectent les « intentions de design » de D&D 5e et qui se glissent aisément dans les règlements publiés. Ainsi, la communauté encourage certaines appropriations du jeu au détriment d’autres.
Il est important de spécifier que cette analyse ethnographique exploratoire a une portée très limitée. Seulement 10 publications ont été sélectionnées pour la recherche et ces publications ne représentent qu’une minime partie des contenus publiés dans la communauté étudiée durant la période. Les résultats ne sont donc pas généralisables. De plus, le présent travail ne considère pas la démographie et les motivations des membres de la communauté /r/UnearthedArcana.
Ceci étant dit, l’étude des 10 publications sélectionnées nous permet de voir que /r/UnearthedArcana a développé une relation avec les règlements de D&D 5e qui cadre la modification des règlements comme l’ajout de contenu, plutôt que comme le remplacement de contenu. Les contenus jugés déséquilibrés ou qui n’adoptent pas les intentions de design identifiés communalement sont écartés avec l’aide des outils de rétroaction de Reddit. Les utilisatrices ne sont pas toutes en accord sur les détails de ce qui peut être modifié, mais, globalement, la communauté encourage les contenus esthétiquement similaires au jeu original et les contenus jugés équilibrés. Les livres de règlements, comme seule littérature commune, sont employés comme l’ultime source d’autorité pour déterminer la pertinence d’une modification des règlements.
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nomiddlename303. (2021, 9 novembre). Rogue Optional Feature: Debilitate - Spend your Sneak Attack dice to inflict debuffs on your foes! [reddit post]. r/UnearthedArcana. Repéré le 7 décembre 2021 à www.reddit.com/r/UnearthedArcana/comments/qq1cv8/rogue_optional_feature_debilitate_spend_your/
Numbers1999. (2021, 11 novembre). Sword of 10,000 Cuts — A real samurai’s sword [reddit post]. r/UnearthedArcana. Repéré le 7 décembre 2021 à www.reddit.com/r/UnearthedArcana/comments/qrliyc/sword_of_10000_cuts_a_real_samurais_sword/
SenReddit. (2021, 4 décembre). The Martial Artist - a Fighter Archetype [reddit post]. r/UnearthedArcana. Repéré le 7 décembre 2021 à www.reddit.com/r/UnearthedArcana/comments/r8r4v3/the_martial_artist_a_fighter_archetype/
Thudnfer. (2021, 16 novembre). Witch Lance - Gods Damn It, I Revised Witch Bolt. Are You Happy Now? [reddit post]. r/UnearthedArcana. Repéré le 7 décembre 2021 à www.reddit.com/r/UnearthedArcana/comments/qv3ktp/witch_lance_gods_damn_it_i_revised_witch_bolt_are/
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J’avais 15 ou 16 ans, je pense. Je travaillais dans un restaurant de chaîne. Un soir où c’était particulièrement tranquille, je me souviens avoir pris un stylo et une napkin et, sur le coin d’un comptoir, j’ai inventé un monde. J’ai dessiné une forme sans-sens, que je savais être une large péninsule, le territoire où plusieurs créatures différentes vivaient.
Pendant que je rangeais la vaisselle, je me suis imaginé des peuples, des personnages, leurs religions et leur histoire. Parfois, je notais quelques mots.
Je m’en souviens parce que je connais encore ce monde. Depuis, j’ai écris des milliers de mots sur ses peuples, sur sa géographie, sur ses cultures et sur ses étrangetés. C’est un monde que j’ai invité des dizaines d’amis à découvrir, à travers des textes et par l’entremise des jeux de rôles sur table.
J’avais 15 ou 16 ans, je pense, quand j’ai inventé Reghas, un monde que j’ai depuis découvert pendant des heures et des heures.
Ce que j’ai fait, peut-être sans ma rendre compte, c’était du worldbuilding.
Le worldbuilding, c’est l’activité de construire des mondes imaginaires. En gros, c’est surtout de créer l’illusion que ces univers se tiennent logiquement.
C’est J.R.R Tolkien, l’auteur du Seigneur des Anneaux, qui a popularisé l'idée que les histoires pouvaient se passer dans un monde « logique ». La Terre du Milieu n’est pas le premier monde imaginaire, mais c’est définitivement celui qui a impacté le plus notre culture.
Depuis, nous assumons tous que nos histoires préférées doivent se dérouler dans un univers complexe. Nous adorons les mondes imaginaires complets, comme dans Game of Thrones, Harry Potter, Witcher, Skyrim, World of Warcraft… la liste, honnêtement, n’arrête pas.
Il y a plein de raisons, en fait. La première est la plus évidente. Plusieurs bâtissent des mondes qui n’existent pas pour un projet précis. Tous les mondes que j'ai mentionné en sont des exemples : ce sont des mondes imaginaires qui ont été créés pour un produit médiatique, que ce soit pour un livre, pour un film ou pour un jeu vidéo.
Les spectateurs, dès qu’ils sont investis dans une histoire, adorent découvrir toujours plus sur les mondes dans lesquels ces histoires se déroulent. Qui n'a pas fouillé sur le wiki d’Harry Potter pour découvrir des informations qu'il avait manqué? Qui n'es pas allé trouver des vidéos explicatives sur la politique dans Game of Thrones pour mieux comprendre ce qui se déroulait dans la série? (No shame, parce que same.)
En fait, c’est un phénomène média vraiment intéressant. Un article là-dessus pourrait être intéressant, qui sait?
Il y a aussi beaucoup de gens qui inventent des mondes… entièrement pour le fun.
Tolkien, lui, a bâti un monde parce que sa passion était la linguistique. Il avait un passe-temps d’inventer des langues de toutes pièces. À un moment donné, il s’est dit qu’il devrait créer un monde où ces langues-là pourraient exister… donc il a créé la Terre du Milieu.
En ligne, il y a maintenant d’immenses communautés en ligne qui inventent des mondes. Je pense tout particulièrement à des sous-reddits comme /r/worldbuilding (735 000 abonnés) et à des sites web comme worldbuilding.stackexchange.com. C'est sans mentionner la panoplie de YouTubeurs qui ont fait leur carrière sur parler de mondes inventés.
Pour moi, les jeux de rôles sur table sont le principal motivateur pour inventer des mondes. Je suis souvent le maître du jeu. Pour réussir à mon rôle, j'ai besoin, au minimum, d’inventer des personnages, des pièces, des endroits. Il faut que je construise des choses qui sont vraies dans un monde qui n’est pas le nôtre. Tsé.
Mais, dans le fond, j’invente surtout des mondes pour le plaisir de le faire.
Je n’ai pas bâti un site web pour envoyer des parodies du Journal de Montréal à mes joueurs parce que j’étais obligé. Je ne fais pas des cartes des régions que mes joueurs visitent parce qu’ils m’ont tordu le bras. J’ai beau dire « oui, je fais ça pour Donjons et Dragons », mais... les jeux de rôles, c'est plus mon excuse pour découvrir plus sur mes univers.
Pour des jeux de rôles, j'ai beaucoup inventé des mondes. Je me suis amusé à imaginer la Nouvelle-France dans le monde d’Harry Potter. J’ai imaginé le Montréal dystopique du sombre futur de 2023 dans l’univers de Cyberpunk 2020. J’ai inventé un pays où des hobbits ultrareligieux étaient sur le pied de guerre et tentaient désespérément de défendre l'Empire des hordes d’hommes-rats.
Quand j’étais au secondaire et au CÉGEP, j’aimais bien créer des mondes pour des histoires. Lorsque j’étais adolescent, j’ai inventé une version post-apocalyptique du Québec pour une trilogie de romans que je ne terminerai jamais (et que personne n’a le droit de lire). Durant ma phase de Witchermania, je m'étais demandé de quoi aurait l'air un univers fantastique qui faisait avec le folklore québécois ce que Witcher avait fait avec le folklore polonais. Ça aussi, c’était pour une nouvelle que je ne terminerai probablement jamais.
Il y a quelque chose d'un peu... enfantin à tout ça, n'est-ce pas?
« Je m'imagine des mondes dans ma tête! »
En même temps, être créatif pour le plaisir de l'être et pour soi-même, c'est libérateur, je trouve. C'est satisfaisant et, mieux encore, tu ne dépends pas de l'art de quelqu'un d'autre pour avoir du plaisir.
Si cet article a un objectif, j'imagine que ce serait de dire que le worldbuilding, ça existe. Le worldbuilding est devenu un élément omniprésent des médias que nous consommons. Nous adorons l’univers Marvel, la Terre du Milieu, le monde de Harry Potter… l’univers fantastique d’Amos Daragon, même !
Pourtant, la plupart de ces mondes ont commencé sur un coin de table ou durant un moment passé dans la lune dans une salle d’attente. La plupart sont le résultat des rêveries d’auteurs et d’autrices qui ont inventé, pour le plaisir, des mondes qui n’existent pas.
Tu peux le faire aussi, is my point. Personne ne va t'arrêter. Tout le monde est trop occupé pour te juger. C'est l'fun, rêver, de temps en temps.
***
Maîtresse du jeu : | « Monsieur Le Blanc, le représentant de l’organisation criminelle des Hôteliers, vous donne un ultimatum : "Vous avez perturbé nos opérations à Valmois avec vos dernières… actions. Nous ne croyons pas aux “malentendus,” surtout ceux qui mènent à la mort de plusieurs de nos associés. Nous sommes, cependant, généreux. L’Hôtelière vous offre une chance : quittez Valmois avant le lever du soleil de demain, et vous aurez la chance de revoir vos familles." » |
Joueuse 2 : | « Qu’est-ce qu’on fait ? » |
Maîtresse du jeu : | « Est-ce que tu demandes ça à voix haute ? » |
Joueuse 1 : | « euh… non. » |
Maîtresse du jeu : | « Sauf si tu as une façon de communiquer avec les autres sans que Le Blanc soit au courant, pas le droit de communiquer avec les autres. » |
(Un silence, les joueuses pensent.) | |
Joueuse 2 : | « Heille, il nous menace, right ? Mon personnage ne va pas se faire traiter de même. Est-ce qu’il y a une chaise de vide dans la pièce ? » |
Maîtresse du jeu : | « Oui. Juste à côté de toi, il y a une chaise de bois. » |
Joueuse 2 : | « Je la prends et je la casse sur la tête de Le Blanc pour le faire tomber inconscient ! » |
Joueuse 1 : | « Attends – » |
Maîtresse du jeu : | « Tu es sûre, joueuse 2 ? » |
Joueuse 2 : | « Définitivement. » |
Maîtresse du jeu : | « Parfait, dans ce cas-là, pourrais-tu me faire un jet de… » |
***
Il y a une infinité de façons de terminer cette situation dans Donjons et Dragons. Question alors: comment est-ce que différents types de joueuses casseraient la chaise ?
Dans le fond, j'ai dans l'idée que toutes les joueuses de Donjons et Dragons aiment des choses différentes dans le jeu. Un groupe qui aime le combat va utiliser les règles d'une certaine façon, un groupe qui aime jouer des rôles utiliseront les règles d'une autre façon. Dans les dernières semaines (entre mes moments de procrastination), j'ai lu sur comment les gens ont étudié les joueuses de jeux de rôles dans le passé, pour voir s'il existe des modèles que je pourrai emprunter pour mon mémoire.
Et pour parler de ça, je me suis dit que je pourrais casser des chaises.
S’il y a quelque chose que les théoriciens des jeux de rôles adorent faire, c’est créer des catégories. Dans son chapitre du livre « Role-Playing Game Studies », Evan Torner agglomère l’histoire de la théorisation sur les jeux de rôles et parlent entre autres de comment les gens ont divisé les joueuses en types.
La typologie la plus connue des jeux de rôles est sans aucun doute celle des types de joueuses de Bartle. Richard Bartle avait créé ce modèle théorique pour étudier les différents types de joueuses dans les Multi-User Dungeons, des jeux vidéo maintenant obsolètes qui prenaient la forme de… chatrooms glorifiées, dans le fond. C’est un modèle théorique qui s’applique encore très bien à tous les jeux multijoueurs avec un monde virtuel, comme les MMORPG (World of Warcraft, par exemple).
La grille est découpée selon deux axes. Sur l'axe horizontal, Bartle divise deux extrêmes: une joueuse qui préfère faire des agir avec les joueuses ou si elle préfère agir dans le monde. Sur le deuxième axe, on divise les joueuses qui préfèrent interagir avec ou agir sur les autres joueuses ou sur le monde.
Celles qui aiment agir sur les joueuses sont des « killers » ;
Celles qui aiment agir sur le monde sont des « achievers » ;
Celles qui aiment interagir avec les joueuses sont des « socializers » ;
Celles qui aiment interagir avec le monde sont des « explorers ».
Ce modèle est omniprésent en études du jeu. Peut-être même qu'on l'utilise trop, selon Bartle. La théorie est intéressante et me sera probablement utile, mais j’ai de la difficulté à me baser sur un modèle bâti pour des mondes virtuels.
Oui, on pourrait dire que la relation des joueuses avec Donjons et Dragons est comme la relation des joueuses avec un monde virtuel... j'imagine. Cependant, j’ai tendance à me demander s'il y a des modèles pour les jeux de rôles ?
Cependant, on peut s'imaginer qu'un joueur achiever aime utiliser les règles pour casser la chaise sur la tête du méchant parce que cela lui donne du pouvoir sur le monde, qu'un joueur killer casserait la chaise pour faire réagir les autres et ainsi de suite. Ça peut être intéressant d'utiliser ce modèle pour comprendre ce qui motive les joueuses autour de la table.
Plusieurs typologies (le nom fancy pour des modèles qui divisent des choses en types) ont été construites spécifiquement pour catégoriser les joueuses de jeux de rôles sur tables. La plupart sont bâties à partir d’observations et visent spécifiquement les designers de jeux de rôles.
Evan Torner, sur le sujet de la théorisation sur les jeux de rôles, mentionne la typologie d’Aaron Allston, bâtie pour le jeu Champions en 1988. C'était la première fois que quelqu'un publiait une catégorisation des joueuses « officielle ». Allston avait comme objectif de diviser les joueuses en types, pour donner des conseils aux maîtresses du jeu (Torner, 2018, 29).
Ensuite, Robin D. Laws a produit une des premières typologies sérieuses dans son livre, Laws of Good Game Mastering (2001). Robin Laws a divisé les joueuses en Power Gamers (qui souhaitent gagner et améliorer leurs personnages), les butt kickers (qui aiment se battre dans le jeu), les tacticians (qui recherchent des défis stratégiques), les specialists (qui adorent leur personnage particulier), les method actors (qui aiment s’exprimer à travers leur personnage), les storytellers (qui veulent co-créer une histoire) et les casual gamers (qui jouent pour socialiser avec des amis) (Torner, 2018, 29-30). Laws avait basé sa catégorisation sur des observations et des études de marchées de Wizard of the Coast (les créatrices de Donjons et Dragons).
Les « agendas créatifs », ou le « GMS » de Ron Edwards ont été publiés pour la première fois sur la communauté en ligne The Forge (Torner, 2018 : 30). Fondamentalement, son objectif était de créer un lexique plus précis et complet pour parler de la pratique du jeu de rôles et pour aider les designers à mieux cerner leurs joueuses (Edwards, 2001 : 1). Résumons ce qu'il dit rapidement.
Quand la joueuse se lance dans un jeu de rôles, elle prend contact avec le jeu par l’entremise d’une variété d’éléments. La joueuse voit le jeu à travers son personnage, le système qu’elle joue, le setting dans lequel se déroule la partie, les situations dans lesquelles elle est placée et avec la « couleur » du jeu (les détails et les images dans le jeu et en dehors du jeu qui génèrent une certaine atmosphère lors de la partie). Ces éléments sont uniques à chaque système de jeu et à chaque groupe de jeu (Edwards, 2001 : 2).
Ensuite, il y a les trois axes décisionnels. On pourrait aussi les appeler des styles de jeu:
Finalement, Edward parle de la posture que chaque joueuse adopte lorsqu’elle joue son personnage. Il y en a quatre :
Quelque chose d’important à mentionner ici, c’est que les joueuses ne restent jamais seulement dans une posture et dans un style de jeu préféré. Une joueuse peut prendre des décisions « gamist », puis adopter un style « simulationniste » juste après. La posture d’une joueuse peut changer entre chaque fois qu’elle prend la parole.
Appliquons le modèle de Ron Edwards à la situation que j’ai présenté plus tôt.
Où plutôt, ce que je devrais dire, c'est que je vais m’amuser à présenter des exemples de comment différents groupes pourraient utiliser le même jeu, les mêmes règles, pour résoudre la situation différemment. Plus encore, je présenterai comment ces règles peuvent être modifiées pour satisfaire aux différents agendas créatifs.
Joueuse 1 : « Qu’est-ce qu’on fait ? »
Maîtresse du jeu : « Est-ce que tu demandes ça à voix haute ? »
Joueuse 1 : « euh… non. »
Maîtresse du jeu : « Sauf si tu as une façon de communiquer avec les autres sans que Le Blanc soit au courant, pas le droit de communiquer avec les autres. »
Ici, on voit une interaction entre la maîtresse du jeu et la joueuse 1. La décision de la MdJ est ancrée dans un style simulationniste : il n’y a pas réellement de règles dans le jeu de Donjons et Dragons 5e qui empêche les joueuses de discuter entres elles dans une telle situation. « Réalistiquement », cependant, les personnages n’ont pas de façon de communiquer sans mettre Le Blanc au courant. La joueuse ne pouvait pas communiquer son désaccord sauf si son personnage l’exprimait aussi à voix haute. Elle a décidé de ne pas prendre le risque.
Joueuse 2 : « Heille, il nous menace, right ? Mon personnage ne va pas se faire traiter de même. Est-ce qu’il y a une chaise de vide dans la pièce ? »
Maîtresse du jeu : « Oui. Juste à côté de toi, il y a une chaise de bois. »
Joueuse 2 : « Je la prends et je vais la casser sur la tête de Le Blanc pour le faire tomber inconscient ! »
La joueuse 2 a adopté ici une posture de directrice : elle décide que la chaise, de 1, existe à côté d’elle, que l’utiliser rendra Le Blanc inconscient et que la chaise cassera. Évidemment, la maîtresse du jeu a le mot final sur toutes ces décisions, mais nous pouvons voir comment la joueuse a « fait apparaître » des éléments dans la situation.
C'est le temps de casser la chaise.
Dans un style simulationniste, la maîtresse du jeu pourrait argumenter que d’utiliser la chaise serait difficile et qu’elle ne cassera probablement pas. La MdJ considérerait probablement la chaise serait comme une arme improvisée (Player’s Handbook, 2014 : 147-148). Elle pourrait cependant appliquer un malus à l’attaque, puisqu’elle pourrait raisonner qu’une chaise n’est pas une arme super ergonomique, contrairement à quelque chose comme une bouteille de verre, qui est aussi une arme improvisée. Ceci est une déviation des règles, quoique mineure.
Dans un style gamist, la MdJ appliquerait probablement les règles sur les armes improvisées à la lettre. Ce serait injuste de modifier les règles qui ont un impact tactique, après tout.
Dans un style narrativiste, la question se poserait : est-ce que c’est plus dramatique si tout se déroule exactement comme la joueuse 2 le souhaite ? Les règles de Donjons et Dragons stipulent qu’une attaque ne peut rendre inconscient une créature que si elle tombe à 0 point de vie. Une vulgaire chaise ne fait clairement pas assez de dégât, mais, en même temps… n’est-ce pas dramatique que Le Blanc tombe inconscient aussi rapidement ? Si la joueuse 2, enragée, attaque le représentant d’un groupe sans consulter les autres ? Comment est-ce que les joueuses réagiront ? Que vont-elles faire, maintenant? Vont-elles prendre Le Blanc otage ? Vont-elles le tuer ?
Évidemment, ce ne sont que des exemples imaginés pour ce blogue, mais je crois que vous voyez où je veux en venir. Selon le style de jeu d’un groupe et selon les préférences des joueuses, les règlements du jeu peuvent être perçues et utilisées différemment. Si les joueuses d’un groupe cherchent à raconter des histoires, elles vont ajouter ou ignorer des règles pour mieux raconter des histoires. Si les joueuses adorent l’aspect tactique des combats, les règles existeront pour préserver cet aspect, et, si de nouvelles règles sont ajoutées, ce sera pour améliorer cet aspect du jeu.
Honnêtement, je ne sais pas si j'aurai réellement besoin de diviser les joueuses que j'étudierai en types lors de mon étude. Comprendre les motivations des joueuses de Donjons et Dragons ne nécessitera peut-être pas nécessairement d'emprunter des modèles du genre, après tout.
En plus, j'admets être emêté, puisque les modèles que j'ai trouvé répondent aux besoins des designers, pas nécessairement à mes besoins. Ils ne se traduiront possiblement pas super bien à une recherche en communication comme la mienne.
Mais bon, comme l'expression le dit, on ne peut pas faire un mémoire sans casser quelques chaises.
Messemble que c'est ça l'expression, en tout cas.
Bartle, R. (1996). Hearts, Clubs, Diamonds, Spades: Players Who suit MUDs. MUD.co.uk. https://mud.co.uk/richard/hcds.htm
Edwards, R. (2001). GNS and Other Matters of Role-playing Theory. The Forge. http://www.indie-rpgs.com/articles/1/
Torner, E. (2018). RPG Theorizing by Designers and Players. Dans Role-Playing Game Studies: Transmedia Foundations (p. 56). Routledge.
Wizard of the Coast. (2014). Dungeons & Dragons, 5th edition, Player’s Handbook. Wizard of the Coast.
Arrêtez-moi si vous avez déjà vécu cela.
Vous étudiez pour un examen, dans deux jours. Sur votre écran, caché derrière un PDF, un Powerpoint et un document Word, il y a un stream YouTube d’ouvert, qui envoie à tes écouteurs une musique relaxante, des rythmes synthétiques légers entrecoupées de grésillements, de pops et de quelques paroles disparates.
Sur l’écran, caché derrière, il y a une fille, assise à son bureau, qui, un peu comme toi, s’affaire à étudier, en boucle. Parfois, elle jette un regard vers l’extérieur et semble se perdre un instant dans l’horizon. Puis, elle se retourne vers ses feuilles, accotée sur une main.
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Il y a, depuis quelques années, une explosion de la musique "nostalgique" pour les années 1980 et 1990 sur YouTube. Je pense entre autres à des genres musicaux influents comme le vaporwave, le synthwave, le chillwave, le City Pop et le maintenant iconique lofi hip-hop. Ce sont des genres qui utilisent des synthétiseurs, des rythmes dépassés et qui intègrent des paroles de produits banals d'époques passées. On trouve des sons tirés de publicités, de discours de politiciens décédés et des extraits de série télévisuelles.
Dans son article « Reconstruced Nostalgia », Paul Ballam-Cross apporte le terme du nostalgia genre continuum, le continuum du genre nostalgique. C’est un terme qu’il utilise pour parler du Chillwave, du Synthwave, du Vaporwave et de leurs dérivés. C’est un concept que j’aime bien, puisque, fondamentalement, le continuum nostalgique sur YouTube prend plusieurs formes. Le continuum nostalgique prolifère sur YouTube sous la forme de radios en ligne ou de longues vidéos musicales de 40 à 100 minutes. Les images qu'utilisent ces vidéos sont bourrées de symboles dépassés, des télévisions cathodiques, des cassettes, des VHS, des couleurs criardes typique des années 1980 et 1990. Il y a visiblement un sentiment mélancolique qui est évoqué ici, un souvenir d'un passé nébuleux où les choses semblaient mieux.
Le vaporwave est probablement le premier genre musical créé sur l’internet et le premier exemple historique du continuum nostalgique. L’exemple iconique du mouvement est Floral Shoppe de Macintosh Plus, un album de musique électronique qui échantillonne des voix distantes, des sons de synthétiseur et même des musiques d’ascenseur pour imaginer une musique rétro et onirique. La couverture de l’album elle-même est un mélange hétéroclite de symboles. Il y a un plancher mosaïque rose et noir, un buste ancien d’Helios et une photo de l’horizon New-Yorkais pré-11 septembre. Le titre est présenté la fois en anglais et en japonais. Le tout a comme objectif de créer un sentiment de nostalgie pour un passé qui n’a jamais réellement existé (Cramer Bornemann, 2017).
Un genre particulièrement fascinant qui semble s’être développé en parallèle est le « Sovietwave. » Originaire des républiques de l’ex-Union Soviétique, le sovietwave est un style de synthpop, entrecoupé de sons typiques des années 80 dans le deuxième monde. On entend, entre les beeps et les boops, des échantillons tirés de dessins-animés russes ou des discours de politiciens soviétiques. On illustre ces morceaux musicaux de propagande soviétique ou d’illustrations qui présentent le rêve de la course à l’espace. Dans la musique, les synthétiseurs mettent de l’avant des mélodies rétrofuturistes : on invente la musique du futur, selon les années 80 et 90 (Cheung, 2019). Même sans avoir vécu en Union Soviétique, les morceaux génèrent un sentiment de nostalgie pour ce rêve perdu.
Impossible ici de ne pas mentionner au passage l’apparition du « City Pop » dans l’imaginaire populaire occidental. C’est une vidéo maintenant iconique de la chanson de Mariya Takeuchi « Plastic Love » (1984) qui est responsable de l’explosion en popularité récente du genre sur YouTube et en Occident. La chanson « Mayonaka no Door / Stay With Me » a aussi fait partie d’un trend viralsur Tiktok en octobre dernier. Des jeunes faisaient écouter la chanson à leurs mères. La chanson faisait grandement réagir celles qui s’en souvenaient. (Zhang, 2021).
Le City Pop, fondamentalement, c’est de la musique pop japonaise des années 1970 et 1980. C’est un mélange exubérant de jazz, de rock, de disco, de funk américain, typique de cette époque, mais adapté au monde Japonais (Zhang, 2021).
« lofi hip hop radio - beats to relax/study to » est une diffusion continue en direct d’une playlist de lofi hip hop. C’est l’exemple le plus iconique de ce genre musical, particulièrement apprécié des étudiants et les jeunes adultes. Le lofi hip-hop est souvent utilisé comme son de fond lors de de séances d’étude, à cause de ses rythmes relaxants et tamisés.
Dans leur article sur le sujet, Emma Winston et Laurence Saywood argumentent que le style est un dérivé du hip-hop traditionnel avec un son typiquement « low-fidelity ». « Low Fidelity »au sens que les créateurs s’efforcent d’émuler les technologies du passé, à créer un son malmené. On ajoute des grésillements, des pops, des extraits vocaux de différentes sources (Winston et Saywood, 2019 : 44), à la manière du vaporwave.
Ces derniers exemples, en soi, semblent déconnectés, mais font partie de ce que plusieurs ont identifié comme un engouement pour la musique sur YouTube qui aborde la nostalgie, la mélancolie et les rêves du passé (Cheung, 2019). Si nous explorons les commentaires sous ces vidéos, ceux abordant la nostalgie sont nombreux.
Évidemment, les commentaires ne portent pas tous sur ce sentiment, mais on remarque des exemples sous tous les vidéos étudiés. Peu importe si ces genres évoquent l’idéal d’une société capitaliste prometteuse, la promesse d’un futur brillant ou simplement la nostalgie pour un passé inexistant, on aperçoit un engouement pour ce sentiment. Les auditeurs parlent de nostalgie et sont mélancoliques. Ils se tournent vers un moment, imaginaire, où les choses semblaient mieux, ou les idées qu’évoquent ces genres musicaux semblaient réalistes.
Dans son article pour le Journal of Popular Music Studies, Paul Ballam-Cross parle de « nostalgie reconstruite ». Les créateurs et créatrices mélangent les différents styles musicaux, les références d’époque et les instruments. L’esthétique des genres qu’il étudie est ancré dans la technologie analogue : une fétichisation des cassettes, des VHS, des tournes disques. (Ballam-Cross, 2021 : 73-74) et des artefacts de la période : les centres commerciaux, le surréalisme, l’été et la mer et les textes orientaux (l’écriture japonaise sur Floral Shoppe, par exemple.) (Ballam-Cross, 2021 : 80). La nostalgie reconstruite est l’idée que le nostalgia genre continuum utilise l’imagerie des années 1980 et 1990, mais forment ensemble une idée d’une époque qui n’a jamais réellement existé, créant donc quelque chose qui est à la fois nostalgique et nouveau (Ballam-Cross, 2021 : 72).
En parlant de lo-fi hip-hop, Winston et Saywood soulignent particulièrement l’intégration d’un échantillon audio de la série Legend of Korra (2012-2014). Une inclusion qui brise le lien temporel avec les années 1980 et 1990, mais, qui pourtant, ne casse pas le potentiel nostalgique du morceau. Les auditeurs entrent dans le jeu. Un commentaire qu’elles ont relevé dit : « I’ve never seen Korra, but remember it from when I was a kid, » (Dreamwave, 2017, cité dans Winston et Saywood, 2019 : 46). La combinaison de la musique « analogique » des rythmes modernes et des échantillons, mènent les auditeurs à s’inventer un « souvenir » de leur enfance. (Winston et Saywood, 2019 : 47).
La fascination dans l’Ouest avec le City Pop rappelle aussi cette nostalgie pour un passé imaginé. Ce sont des chansons qui rappellent les années 1970 et 1980 mais… incorrectement. La musique sonne comme du funk, comme du jazz, comme du soul, mais il y a quelque chose qui cloche. La chanteuse est Japonaise, les rythmes sont juste assez différents pour être étranges. C’est une musique qui nous « rappelle » un souvenir impossible du passé. Comme le commentateur sous Plastic Love l’a si bien dit, « Anyone else remember that time you weren’t in Tokyo in the 80s? Yeah, me too. »
Cet engouement actuel pour le continuum nostalgique, pour une musique qui imagine une ère plus détendue, plus simple, n’est peut-être pas si aléatoire que ça.
Mes générations (les milléniaux et la génération Z) sont parmi les plus stressées, anxieuses et déprimées de l’histoire. Les milléniaux ont dû surmonter la récession de 2008, un événement « qui n’arrive qu’une fois dans une vie, » …qui s’est ensuite reproduit avec la récession causée par la pandémie de la Covid-19 en 2020-2021. Mes générations ont eu à prendre des emplois difficiles, sans prospects d’avenirs. Leurs salaires ont stagné et leurs conditions de travail ont empirées, et ce, bien que ce sont probablement les générations les plus éduquées… ever. (McMaster, 2021 :
Les gens de mon âge ont aussi eu ont eu à repousser les jalons de la vie adulte :
« "They're not homeowners, they're not in relationships, they're not getting married. They're living in the basement of their parents' home. There's all kinds of things that have frustrated their efforts to get ahead.
The generation as a whole is among the most educated it has ever been, but the path to success is also less clear." »
Geoff McMaster, Université de l’Alberta.
Il est généralement assumé que la prochaine génération aura des meilleures conditions que celle d’avant. Tout porte à croire que c’est une règle qui ne s’appliquera pas à nous. Je ne mentionne ici que les réalités matérielles de mes générations, mais… le réchauffement climatique est une réalité qui met au défi cette idée que les choses s’amélioreront pour nous dans le futur
Le lofi les nombreux genres du continuum nostalgique rassurent et réconfortent. En étant subtilement nostalgique pour un passé mystérieux et disjoncté, la trame sonore de la fille lofi est devenue iconique pour une partie particulièrement « en ligne » de mes générations.
Je me souviens du rêve d’explorer les étoiles de la course à l’espace, du bonheur de magasiner au centre commercial avec mes amis, de mes soirées froides passées à explorer Tokyo. C’était bien, les années 1990.
Sur l’écran, il y a une fille, assise à son bureau, qui, un peu comme moi, s’affaire à étudier, en boucle. Parfois, elle jette un regard vers l’extérieur et semble se perdre un instant dans l’horizon. Puis, je me retourne vers mes feuilles, accotée sur une main.
Ballam-Cross, P. (2021). Reconstructed Nostalgia: Aesthetic Commonalities and Self-Soothing in Chillwave, Synthwave, and Vaporwave. Journal of Popular Music Studies, 33(1), 70‑93. https://doi.org/10.1525 /jpms.2021.33.1.70
Bornemann, T. C. (2017, 8 décembre). Vaporwave, Revisited: A Second Look at the Forever-Mutating Genre. Medium. https://medium.com/@Thorcb/ vaporwave-revisited-a-second-look-at-the- forever-mutating-genre-b7da26d76ca3
Cheung, N. (2019, 11 novembre). Nostalgia for the future: what Sovietwave has taught me. PHASER. https://phasermagazine.com/ main/2019/11/11/nostalgia- for-the-future-what-sovietwave-has- taught-me
Mcmaster, G. (2020, 28 janvier). Millennials and Gen Z are more anxious than previous generations: here’s why. University of Alberta. https://www.ualberta.ca/folio/ 2020/01/millennials-and-gen-z-are- more-anxious-than-previous-generations- heres-why.html
Winston, E. et Saywood, L. (2019). Beats to Relax/Study To: Contradiction and Paradox in Lofi Hip Hop. IASPM Journal, 9(2), 40‑54.
Zhang, C. (2021, 24 février). The Endless Life Cycle of Japanese City Pop. Pitchfork. https://pitchfork.com/features/ article/the-endless-life-cycle-of-japanese- city-pop/
Ceux qui me connaissent savent que je suis « un peu » passionné par les jeux de rôles sur table. Assez passionné, du moins, pour en faire mon sujet de recherche pour mon mémoire de maîtrise. Si cet article à une utilité quelconque, c’est de résumer mon sujet de recherche, qui va m'occuper pendant un an de ma vie.
Je ne suis pas intimidé du tout par l’idée, de quoi tu jases ?
Pour cet article, je souhaite expliquer « rapidement » ce que je vais (fort probablement) étudier dans mon mémoire de maîtrise : les règles de la 5e édition de Donjons et Dragons (DnD 5e).
J'utilise le féminin pour alléger le texte.
Je maintiens l’opinion, que j’ai volé à un certain Matt Colville, que Donjons et Dragons est l’activité la plus amusante à faire avec son cerveau. Cependant, c’est une activité qui se résume difficilement, parce que c’est à la fois… euh… simple ET compliqué.
Fondamentalement un jeu de rôles sur table, c’est une hallucination collective. C’est l’activité de s’imaginer une histoire en groupe, à laquelle chaque joueuse participe. Les joueuses contrôlent un personnage. Elles décident comment leur personnage agit, pense et réagit aux situations dans l’histoire. Une des joueuses endosse le rôle de maîtresse du jeu. Celle-ci décrit l’espace, les événements de l’histoire et les réactions du monde aux actions des personnages. Ces deux rôles sont « contraints » (nous reviendrons à cette idée, promis) par les règles du jeu, qui proposent des façons de décider comment le résultat de certaines situations dramatiques devrait être décidé.
La partie « hallucination collective » arrive quand on comprend que toutes ces actions ne sont souvent qu’imaginées. La plupart des joueuses n’utilisent des figurines, des cartes et des objets que dans certaines situations (comme des combats). La plupart du temps, les situations dramatiques sont racontées à l’oral.
***
« Ton personnage grimpe par-dessus l’escarpement et aperçoit un ravin, à quelques mètres devant. Qu’est-ce que tu fais ? »
« Je veux prendre un élan et sauter par-dessus le ravin ! »
« Parfait. Ce serait un jet d’Athlétisme, ça. Peux-tu me faire ça ? »
« 18 ! »
« Ton personnage prend son élan et se lance par-dessus le ravin creux de plusieurs dizaines de mètres. Tes pieds touchent le sol de l’autre côté sans problème. »
***
Écrire une histoire, ça prend une autrice. Je ne vous apprends rien ici, je l’espère. Le Seigneur des anneaux n’existerait pas sans J.R.R. Tolkien. Garfield n’existerait pas sans Jim Davis.
(Nommer ces deux auteurs un à côté de l’autre est sacrilège, je sais, mais je ne m’excuserai pas.)
Cependant, qu’arrive-t-il lorsqu’une histoire a plusieurs autrices simultanément ? C’est compliqué, mais, dans le fond, les jeux de rôles sur table en sont un exemple.
Dans l’exemple de la joueuse qui fait sauter son personnage par-dessus un ravin, on voit toutes ces autrices en jeu. Jessica Hammer parle des différents « textes » qui se disputent l’autorité dans le cadre d’une partie de jeu de rôles. Ces textes sont primaires, secondaires et tertiaires. Le jeu est le texte primaire : il codifie les règles du jeu. Le texte secondaire provient de la maîtresse du jeu, qui établit l’environnement et les défis à surmonter. La joueuse agit dans le texte tertiaire lorsqu’elle prend la décision que son personnage sauterait par-dessus le ravin (Hammer, 2007 : 70-71).
Pourtant, la joueuse a un pouvoir d’autrice très grand. Que serait-il arrivé si la joueuse avait décidé d’analyser l’environnement pour trouver une autre façon de traverser le ravin ? La maîtresse du jeu aurait eu à réagir à cette demande d’informations. Dans sa réaction, celle-ci aurait eu à prendre d’autres décisions créatives. Y a-t-il une autre façon de traverser ? Si oui, est-ce que cette méthode est suffisamment évidente au personnage pour que la joueuse n’ait pas à rouler ? Si découvrir une autre façon de traverser demande un jet, quelles règles du jeu la maîtresse devrait-elle utiliser ?
Le jeu aussi est une autrice (ou du moins, l’équipe qui a écrit le jeu est une autrice) à considérer durant une partie de jeu de rôles. Dans les règles du jeu, il est dit que ce genre de défis périlleux (sauter par-dessus le ravin) devrait être réglé par un jet de dés, puisqu’il est possible pour le personnage d’échouer.
Ces différentes autrices s’imposent mutuellement des restrictions et ont une certaine autorité sur les autres. Les règles du jeu imposent des procédures à suivre à la maîtresse du jeu, qui crée des défis basés sur ces restrictions. Ces mêmes défis établissent des restrictions pour les possibilités créatives de la joueuse. Cependant, l’inverse est aussi vrai. La joueuse peut inventer des solutions imprévues qui peuvent invalider les décisions créatives de la maîtresse du jeu. La maîtresse du jeu peut choisir de ne pas suivre toutes les règles du jeu et de déroger au contenu préparé pour s’adapter aux demandes créatives de l’autrice tertiaire (la joueuse) (Stricklin, 2017 : 34-35).
« OK, mais, genre, tu es en comm. C’est quoi le rapport entre la communication pis ça ? »
J’y arrive, personne imaginaire, j’te jure.
Un livre de règlements, en tant que tel, c’est un produit médiatisé. C’est un livre, il y a des mots dedans. On comprend ces mots-là et on s’en sert pour déterminer comment on va jouer au jeu. J’invoque le nom d’un gars, Stuart Hall, ici.
Hall dit qu’il n’y a aucun lien entre le message que les créatrices souhaitaient créer en produisant le média et comment le message est interprété par les spectateurs. Dans un film, les images, les mots, les angles de caméra, les couleurs, etc. sont choisis par les créatrices pour tenter de communiquer un message spécifique. Ensuite, les gens comme nous interprètent le contenu du média. Pour interpréter, nous devons nous baser sur ce que nous connaissons du monde et ce que nous croyons personnellement, parce que nous n’avons pas accès à la tête des créatrices. Hall énumère trois types de réceptions d’un message :
Je parlais de Donjons et Dragons au début. J’y reviens. Les règlements des jeux de rôles sur table sont généralement propagés par l’entremise de livres de règlements. Ces jeux sont complexes, mais ne permettent pas de répondre à toutes les situations imaginables par les joueuses dans une partie. Plutôt, le jeu assume que la maîtresse du jeu doit utiliser son pouvoir d’autrice pour improviser des solutions lorsque les règles ne sont pas adéquates. Dans les livres de la nouvelle édition de Donjons et Dragons, c’est même indiqué noir sur blanc dès les premières pages (à la 5e page dans le Player’s Handbook et à la 4e page dans le Dungeon Master’s Guide).
Je porte l’hypothèse, donc, que différentes joueuses ont différentes interprétations des règles et qu’elles vont donc appliquer les règles différemment. Chaque joueuse décide quelles règles sont correctes à changer et celles qui ne devraient pas être changées. Pour reformuler : les joueuses décident parfois d'accepter le message hégémonique du livre, ou elles décident parfois de le rejeter et de forger leur propre interprétation.
Un exemple que j’ai trouvé particulièrement intéressant sur comment la relation avec les règles change d’une personne à l’autre vient du mémoire d’Émilie Paquin sur les dynamiques de groupe dans les jeux de rôles, publié l’an passé. Elle a effectué des observations non participantes de trois groupes en jeu. Dans une section, elle résume leur relation avec les règles.
Dans le premier groupe, les joueuses se sont révélées conformistes avec les règles : les joueuses se restreignaient aux possibilités encouragées par les règles du jeu. Dans un autre groupe, les joueuses testaient les limites de leur jeu et questionnaient directement la maîtresse du jeu sur si certaines règles pouvaient être changées. La maîtresse du jeu dans ce groupe décidait parfois d’ignorer des résultats de dés, afin de faciliter la progression de l’histoire. Dans un troisième groupe, les joueuses, moins habituées aux jeux de rôles, se référaient aux procédures du système et aux connaissances de la maîtresse du jeu. La maîtresse du jeu, dans ce groupe, avait inventé des règlements pour récompenser « […] les joueurs qui faisaient des actions innovantes qui étaient en cohérence avec leur personnage » (Paquin, 2020 : 133). La maîtresse du jeu adaptait aussi les règlements aux actions que les joueuses souhaitaient effectuer (Paquin, 2020 : 131-134).
Son sujet de recherche n’est qu’indirectement lié avec le mien, mais permet quand même d’entrevoir que la relation avec les règles change radicalement d’un groupe à l’autre. Certaines joueuses respectent les limites imposées par les règles, au point de baser leurs décisions sur ce que le jeu « permet » de faire, alors que d’autres s’attendent à ce que les règles s’adaptent à leurs choix en jeu. Dans certains cas, les joueuses ont inventé des règles pour encourager certains comportements.
Ça ne prend que quelques discussions avec des joueuses de DnD pour voir à quel point cette relation varie de groupe en groupe. Il y a des groupes où les races (elfes, nains, etc.) sont remplacées par d’autres espèces fantastiques. Dans d’autres groupes, il y a des classes bâties sur mesure pour les joueuses et des monstres créés de toutes pièces. Certains créent des règles pour des systèmes inexistants, comme des règles pour permettre aux joueuses de fabriquer des potions, pour faciliter l’exploration de monde ou pour négocier le prix d’un item avec un marchand. Sur des communautés en ligne, des milliers de joueuses se partagent des modifications de règlements, comme sur /r/DnDBehindTheScreen (408 k abonnés), /r/DnDHomebrew (119 k abonnés) et /r/UnearthedArcana (179 k abonnés), pour ne nommer que des communautés sur Reddit.
Enfin, nous arrivons à mon sujet de recherche. Pour de vrai, cette fois. Je préfère éviter de formuler une question de recherche complète, question d’éviter de m’embarrasser jusqu’à ce que celle-ci soit décidée pour vrai, mais allons-y.
Ce qui me rend curieux dans tout ça, c’est de voir comment l’interprétation des règles varie de joueuse en joueuse. Pourquoi est-ce que certaines joueuses, mais pas toutes, changent les règlements ? Quels règlements sont changés ? Pourquoi changer ces règlements, mais pas d’autres ?
L’objectif de mon projet de recherche sera d’établir une fondation théorique plus approfondie et d’aller interviewer des joueuses de DnD 5e. Je veux comprendre comment elles interprètent les règlements, et plus encore, comment celles-ci ont choisi de créer leurs propres changements aux règlements. Dans le futur, je souhaite utiliser 4 cafés comme mon espace pour partager mon progrès et mes découvertes sur le sujet. Ça risque de changer fréquemment!
Si c’est un sujet qui vous fascine, contactez-moi ! Ça me ferait plaisir de voir vos opinions et de discuter !
Hall, S. (1973). Encoding and Decoding in the television discourse, 22.
Hammer, J. (2007). Agency and authority in role-playing texts. Dans M. Knobel et C. Lankshear (sous la direction de.), A new literacies sampler (vol. 29, p. 67‑94). Peter Lang Publishing.
Paquin, É. (2020, avril). Dynamiques des groupes restreints dans les jeux de rôle sur table [mémoire accepté]. Université du Québec à Montréal.
Stricklin, C. (2017, mai). Off the Rails: Convergence through Tabletop Role-Playing Modules [University of Wyoming].
Wizard of the Coast. (2014a). Dungeons & Dragons, 5th edition, Dungeon Master’s Guide. Wizard of the Coast.
Wizard of the Coast. (2014b). Dungeons & Dragons, 5th edition, Player’s Handbook. Wizard of the Coast.
Tu aperçois un camp. Il y a deux tours, chacune avec un arbalétrier. L’un d’eux utilise des flèches de glace. Tu te transformes en Amber, puis tu tires une flèche enflammée sur le hillichurl. Il tombe de la tour maintenant en train de brûler. Le camp, maintenant alerté, se tourne vers moi. Tu as un autre atout, cependant : Lumine. Tu utilises son habileté : une tornade qui entraîne ta victime enflammée vers le reste du camp. La tornade s’enflamme. Le camp des hillicurls au complet est emporté dans l’infernale tempête et tous meurent instantanément. Tu récoltes les items sur leurs corps : des items basiques, des Mora, de la nourriture.
On se croirait dans Breath of the Wild, le jeu de Nintendo de 2017 qui a charmé les joueurs pour son dynamisme. Pourtant, c’est un gacha game gratuit, disponible sur ton téléphone.
Un jeu qui, en te tordant le bras de 15 façons différentes, te demande poliment de payer pour avoir du plaisir.
Honnêtement? C’est compliqué.
Pas dans le sens que le concept est compliqué, comprenez-moi. Le nom vient de gachapon, une sorte de machine distributrice japonaise avec des collections de jouets. Collectionner tous les jouets fait partie du plaisir. Par contre, il est impossible de savoir lequel tu vas obtenir quand tu mets de l'argent dans la machine: puisque le jouet que tu reçois est aléatoire. Les jeux gacha, pour leur part, sont des jeux, typiquement sur appareils mobiles, dans lesquels les joueurs sont amenés à amasser une collection de personnages avec diverses habiletés, pour pouvoir surmonter les défis lancés par le jeu.
Ah, ben là! C’pas tant compliqué.
Vrai, mais… les gacha, ce sont aussi des jeux où tu dois gérer des dizaines de ressources différentes, où tu dois améliorer tes personnages pour ne pas être bloqué, où tu dois te procurer des nouveaux personnages, où tu dois obtenir du meilleur équipement, où tu dois récolter des ressources pour améliorer ton équipement, où tu dois améliorer tes personnages, où tu dois combiner des personnages ensemble pour créer des synergies, où tu dois, au fond, toujours maximiser ton efficacité.
Mais ce sont aussi des jeux où tu ne peux pas maximiser ton efficacité. La difficulté augmente à un rythme trop rapide et il est facile de s'embourber dans la progression du jeu.
Les gachas proposent deux solutions : être très patient et maximiser tes ressources pour lentement mais sûrement améliorer tes personnages… ou payer.
En fait, la beauté des gacha, c’est qu’il faut des dizaines d’heures de jeux pour comprendre les nombreux systèmes du jeu et, au moment où ceux-ci sont démystifiés, ben, le jeu… arrête. Un mur est apparu alors que tu ne regardais pas et tu réalises que de continuer de progresser dans le jeu demandera de grands efforts.
Les gacha games sont conçus pour être compliqués.
La partie fascinante de Genshin : Impact, c’est que c’est un jeu gacha qui n’en a pas l’air d’un du tout. La direction artistique du jeu est époustouflante. Les environnements du jeu sont beaux et colorés. Le monde est développé et complètement explorable. Tu peux retrouver des dizaines de personnages non-joueurs avec des choses intéressantes à dire sont partout. Un archéologue ici, un enfant rêveur là, un citoyen inquiet ici.
Le monde est ouvert aux joueurs: tu peux choisir une direction et partir par-là. Il y a des mécaniques de déplacement, comme un mini deltaplane et des jauges d'endurance pour grimper, comme dans Breath of the Wild.
Ce qui est intéressant avec Genshin : Impact, c’est qu’il délaisse en partie les fondements des RPG de style gacha. Souvent, ces jeux sont conceptualisés de façon à abstraire les capacités des personnages, afin de faire des statistiques numériques l'aspect le plus important des personnages (Bycer, 2017). Lorsque tu joues à un jeu, comme Raid : Shadow Legends, Azur Lane ou AFK Arena, si ton personnage n’a pas des statistiques suffisamment hautes, tu ne peux tout simplement pas continuer à progresser. Genshin : Impact fonctionne similairement, dans le sens que les statistiques des personnages sont cruciales, mais propose une jouabilité plus permissive. Plutôt que de devenir impossible, au fil du temps Genshin : Impact devient presque impossible. C’est mieux, techniquement!
Pendant que tu joues, tu es bombardé de récompenses. Chaque mission te donne six ressources différentes. Au début, leurs noms ne veulent rien dire, mais à force de les utiliser, tu apprends. Tu reçois des personnages à utiliser, un peu comme dans des jeux de rôles à l’ancienne : tu bâtis une escouade de personnages avec des habiletés complémentaires.
Après plusieurs heures de jeu, cependant, ces mêmes ressources commencent à manquer. Il faut les dépenser pour améliorer ses personnages et ses équipements. Les items de crafting sont fastidieux à obtenir, et les missions qui offrent beaucoup de récompenses disparaissent, remplacées par des missions quotidiennes et hebdomadaires. On manque d’argent, et on tombe à court de façon d’augmenter le niveau des personnages.
Pour maximiser tes chances d’obtenir des améliorations sans payer, le jeu t’encourage à te connecter chaque jour pour effectuer quelques missions quotidiennes. Ceci te permet de lentement accumuler des ressources pour améliorer tes personnages, en obtenir des nouveaux et améliorer leur équipement. On apprend aussi que des trente personnages du jeu, seulement quatre sont disponibles gratuitement. Les synergies entre les personnages gratuits sont limitées et certains donjons sont presque impossibles à surmonter sans avoir certains types de personnages.
Il y a une autre façon de régler ce problème : les wish. Les wish, qu'on achète avec une ressource qui s'appelle les primogems (ou les Genesis Crystals, nous y reviendront), peuvent être utilisés pour gagner des nouveaux personnages ou de l’équipement plus puissant. On tente sa chance.
Les jeux gratuits sont parmi les plus grands utilisateurs du design désagréable. « Design désagréable », ici, ne signifie pas « mauvais design », mais plutôt, un choix de design qui rend l’usage d’un objet désagréable par choix. C'est un concept qui vient du monde de l'architecture. Les bancs anti-sans-abris et l’architecture qui empêche de faire du skateboard en sont des exemples fragrants.
Un exemple utile ici : as-tu déjà remarqué qu’il n’y a pas assez de sièges à l’aéroport pour tout le monde ? Par contre, les restaurants à proximité ont des sièges, eux. Il ne suffit que d’aller commander dans le restaurant pour pouvoir s’y asseoir. Si tu dépenses, tu peux t’éviter l’inconfort d’attendre ton vol debout.
Genshin : Impact, utilise de ce type de design en rendant inconfortable et insatisfaisante l’expérience de jeu après avoir investi beaucoup de ton temps. Quand tu termines le mode histoire, les tâches deviennent répétitives, difficiles et monotones. Les récompenses deviennent inintéressantes, rationnées et longues à obtenir. Après un certain temps, tu es mené à conclure que cet inconfort pourrait être réglé en allant faire un petit tour sur la machine à sous.
C’est là le truc des gacha. Après un certain point, on a besoin de nouveaux personnages et d’améliorations et on le fait avec des jeux de chance. Il y a une solution, aller faire des wish. On peut aller wish en dépensant des primogems, qui sont la ressource gratuite que le jeu utilise pour permettre au joueur d’obtenir des personnages de meilleure qualité et des récompenses utiles.
Les nombreux personnages du jeu existent en cinq niveaux de qualité, allant de 1 étoile à 5 étoiles. Les chances que le joueur reçoive un personnage 5 étoiles sont de 0.6%. Il y a des systèmes en place pour augmenter les chances d'obtenir un personnage rare si le joueur est malchanceux. Il est cependant possible d’utiliser 90 wish avant d'obtenir un personnage 5 étoiles.
Cet article de Gamespot évalue que le coût minimum pour aller wish est de 2.94 USD. Donc, maximum 90 fois pour obtenir un personnage ou un équipement 5 étoiles, ça fait 264,60 USD pour ceux qui suivent à la maison. Aussi, il y a toujours plus qu’un item 5 étoiles par offre sur laquelle dépenser des wish. J’espère que tu sera chanceux et que tu recevras le bon personnage 5 étoiles (Kemps, 2020).
Aussi, j’ai bien choisi mes mots : le coût minimum d’un wish est de 2.94 USD. Tu ne peux pas acheter des wish directement. Tu peux acheter des Genesis Crystals qui peuvent être convertis en wish. Le prix des wish varie dépendamment du nombre de Genesis Crystals achetés et de quand ils ont été achetés. La valeur des monnaies imaginaires du jeu est obfusquée volontairement : il est impossible de réellement mettre un prix sur ces monnaies, puisque le prix varie d’un achat à l’autre. Ceci ne considère pas qu'il est aussi possible, techniquement, de lentement accumuler des primogems, une ressource non-payante, pour acheter des wish. Donc, un wish peut aussi techniquement être gratuit, si on s'investit beaucoup d'heures dans le jeu, pendant des semaines.
Tu ne sais pas vraiment combien tu dépenses à chaque fois que tu roules le dé pour obtenir des nouveaux personnages. Fondamentalement, le processus pour obtenir les personnages 5 étoiles est l’équivalent de jouer aux machines à sous. Money in : rewards out, certes, mais la qualité de la récompense est toujours incertaine. La seule façon de découvrir, c'est d'aller dépenser des wish.
Le jeu titille, te laisse te convaincre que la prochaine fois, ce sera la bonne pour finalement avoir le Venti ou la Mona que tu as besoin pour améliorer ton escouade.
Ce qui est intéressant avec des exemples comme Genshin : Impact, c’est que quand on y joue, on se croirait dans un jeu AAA payant. Pourtant, son gameplay réactif, divertissant et complexe, ne sert ici que de contexte pour mettre de l’avant une économie virtuelle qui, expertement, mène le joueur à dépenser sur une machine à sous. La comparaison est apte, selon une étude britannique de la littérature académique. 12 des 13 études sur le sujet de l'achat problématique dans les jeux avec des Loot Boxes ont établi une corrélation entre l’utilisation accrue des récompenses aléatoires et les symptômes de l’utilisation problématique des jeux de chance (Close et Lloyd, 2021).
Cet article existe, en grande partie, parce que j’étais curieux de découvrir comment les jeux gratuits modernes multiplient les points de pression qui mènent le joueur à acheter. Il est fascinant, donc, de voir comment, dans l’exemple de Genshin : Impact, la complexité du jeu est à la fois ce qui le rend intéressant et ce qui le rends convainquant. Apprendre toutes les mécaniques pour améliorer ses personnages et trouver les endroits pour récolter les bons items de crafting est un défi ludique en lui-même. Il y a un aspect perfectionniste et presque compétitif à tout ça. Le jeu utilise la complexité de ces mêmes mécaniques pour convaincre d’acheter.
« Si seulement tu n’avais pas à aller chasser les mêmes monstres encore. Si seulement tu avais assez de morceaux de cristal et de fer pour ton nouvel arc. Si seulement tu avais un meilleur personnage avec des habiletés de feu pour réussir ce donjon plus facilement. Si seulement tu allais souhaiter pour que tous ces problèmes disparaissent. »
Bycer, J. (2017, 28 septembre). The Addictive Pulls of Gacha Design. Gamasutra. https://www.gamasutra.com/blogs/JoshBycer/ 20170928/306639/ The_Addictive_Pulls_of_Gacha_Design.php
Close, J. et Lloyd, J. (2021). Lifting the Lid on Loot Boxes: Chance-Based Purchases in Video Games and the Convergence of Gaming and Gambling. GambleAware. https://www.begambleaware.org/ sites/default/files/ 2021-03/Gaming_and_Gambling_Report_Final.pdf
Kemps, H. (2020, 16 octobre). Genshin Impact Microtransactions: What Are Wishes And How Does Gacha Work. GameSpot. https://www.gamespot.com/articles/ genshin-impact-microtransactions-what-are-wishes-and-how-does-gacha-work/ 1100-6483424/
Teo, M. (2018, 9 avril). Unpleasant Design: The Silent Rise of the Hostile City. Azure Magazine. https://www.azuremagazine.com/article/ unpleasant-design-hostile-architecture/
Une analyse du design et de la culture ludique de Tinder.
Cet article représente une version réduite d’un travail universitaire pour mon cours de ludification à la maîtrise en communication à l’UQAM. J’ai retiré certaines sections, modifié la syntaxe, coupé à peu près la moitié du contenu et effectué des modifications pour rendre la lecture plus agréable.
On connait Tinder. Glisse à gauche. Glisse à droite. Glisse à droite — Ah ! Un match ! Glisse à gauche. Glisse à droite.
Tinder est, fondamentalement, une application de rencontre, un outil de géolocalisation qui permet à différents utilisateurs de se donner un « j’aime » et de démarrer une discussion.
Depuis son lancement en 2012, Tinder s’est catapultée au sommet du marché des applications de rencontre. Son succès est dû à sa mécanique révolutionnaire : le swiping. Glisse à droite pour donner un « j’aime », à gauche pour rejeter le profil. Dans un article pour Business Insider de 2016, Jonathan Badeen, cofondateur de Tinder, parle du design du swiping. Il fait référence à l'idée de classer les profils comme s’ils étaient des cartes. Pour lui, le swiping permettait de ludifier l’application. L’action est satisfaisante, rétroactive et crée une interaction physique qui rend l’expérience addictive (Badeen, 2016).
Le mot ludique est fréquemment employé à outrance. C’est un terme qui se place bien en marketing, pour décrire un peu n’importe quoi. Nous pourrions croire que c’est le cas ici aussi, mais…
Ne connaissez-vous pas quelqu’un qui joue à Tinder ?
Quelqu’un qui va glisser, qui discute avec ses matchs, mais qui, finalement, n’utilise jamais Tinder pour rencontrer des gens ?
Pas de suspens, ce n’est possiblement pas seulement une coïncidence.
Plusieurs études ont conclu que le divertissement représente une des motivations importantes d’utiliser Tinder chez de nombreux participants. Dans une recherche effectuée par Janelle Ward, la quasi-totalité des personnes interviewées a dit utiliser Tinder pour le divertissement et le boost d’ego (Ward, 2017 : 1649-1650). Rhiannon Kallis constate, après 31 entrevues qualitatives, que les utilisateurs utilisent autant Tinder pour se divertir que pour connecter (Kallis, 2020 : 69). Dans une étude pour Telematics and Informatics, des chercheurs ont sondé 266 jeunes adultes, pour découvrir les diverses motivations liées à l’utilisation de Tinder : la validation de soi et le divertissement figurent comme troisième et quatrième motivation (Sumter et coll., 2017 : 73-75). Elisabeth Timmermans et Elien de Caluwé, en développant un modèle de motivations des utilisateurs Tinder, constatent un usage ludique non négligeable, par l’entremise d’entrevues et de sondages (Timmersmans et Calluwé, 2017). Malgré le fait que Tinder soit une application de rencontres, l’application semble avoir développé une microcommunauté de « joueurs ».
Cet usage précis de Tinder sera le sujet à l’étude dans le présent travail. Pourquoi est-il possible pour ces utilisateurs d’utiliser Tinder comme outil de divertissement ?
Un jeu, fondamentalement, est une activité réglée, déconnectée de la réalité à laquelle nous participons pour le plaisir de simplement y participer. Lorsque nous jouons aux échecs, ou jouons à un jeu de société avec des amis, nous jouons pour le plaisir même de jouer. Évidemment, ce n’est pas toujours le cas : pensons à des joueurs professionnels qui, oui, jouent à un jeu, mais y jouent pour gagner de l’argent.
Jaako Stenros distingue les termes « jouer » (« playing ») et « l’esprit ludique » (« playfulness »). Il note que les deux phénomènes sont similaires, mais pas identiques : il est possible de suivre les règles d’un jeu (donc de jouer) sans s’immerger ou les accepter (donc d’être « playful »). L’inverse est possible : il est possible de vivre l’esprit ludique sans les règles explicites d’un jeu (Stenros, 2015 : 202).
L’esprit ludique apparaît lorsqu’une l’activité est effectuée pour le plaisir de l’effectuer (l’activité est autotélique). Jouer au soccer avec des amis est une activité autotélique, puisqu’on joue pour jouer. Ceci s’oppose aux activités effectuées avec un objectif matériel ou externe à l’activité (une activité télique) (Stenros, 2015 : 203). La ludification désigne l’introduction des éléments de jeu, afin de transformer des activités téliques en activités autotéliques (Raessens, 2014 : 95).
La dernière décennie a vu une course à la ludification. Les objectifs de la ludification sont de rendre les activités « utiles » plus amusantes et engageantes par l’entremise d’éléments du domaine du jeu. Par exemple, le concours annuel « Déroule le rebord pour gagner », de Tim Hortons est une ludification de l’achat du café. La possibilité de gagner un prix en déroulant le rebord cartonné d’une tasse de café crée un jeu aléatoire qui motive le client à participer pour le plaisir de participer en lui-même, avec l’effet secondaire rentable d’augmenter les ventes de café de Tim Hortons.
Lorsque nous pensons à « une application ludifiée », on imagine souvent des applications avec un système « BLAP » (Badges, Leaderboards, Achievements, Pointification), mais l’imposition de ce genre d’éléments de design ne représente pas l’unique, ou même la meilleure, façon de ludifier une activité. La ludification peut prendre la forme de systèmes qui facilitent l’expérimentation et l’émergence (Fizek, 2014 : 279-284) et multiplient les possibilités d’appropriations pour les différents types de joueurs (Nicholson, 2014).
Fondamentalement, une expérience ludique dépend autant des systèmes en place dans le jeu que de l’esprit que nous adoptons au moment de participer l’expérience.
Maintenant, allons swiper.
L’application Tinder est relativement simple, en termes de fonctionnalités. Après avoir téléchargé l’application, l’utilisateur peut créer son profil. Il peut choisir des photos qu’il associera à son profil. L’utilisateur peut choisir de montrer des intérêts ou passe-temps, intégrer des informations générales sur lui-même et rédiger une courte biographie de quelque 500 caractères.
Ceci fait, l’utilisateur peut commencer à glisser sur des matchs potentiels. L’application géolocalisée propose des profils d’autres utilisateurs, basés sur son orientation sexuelle et sa localisation. Si un des profils proposés l’intéresse, l’utilisateur peut glisser son doigt à droite ou rejeter le profil en glissant vers la gauche. Il peut aussi choisir de consulter le profil de la personne en détail en cliquant sur la photo.
Lorsque deux utilisateurs se like, ils ont un match et peuvent utiliser l’outil de clavardage intégré pour apprendre à se connaitre. Mécaniquement, Tinder est simple, mais c’est cette simplicité qui permet à son aspect principal, le glissement, de briller.
Choisir dans quelle direction glisser son pouce sur Tinder est le résultat d’une analyse considérée par l’utilisateur, basé sur ses propres préférences et son interprétation des informations fournies dans le profil de la personne. La présente section abordera les différentes facettes du glissement dans l’objectif de constater comment il génère une expérience ludique lors de son utilisation.
Discuter de pourquoi l’action de glisser est ludique implique d’analyser la réalité physique de glisser. Stéphane Vial analyse l’aspect inhéremment ludogène des appareils numériques. Il note que la ludogénéité est intrinsèque à l’appareil numérique, comparé aux outils médiatisés précédemment disponibles à l’humanité. Ceci ne signifie pas que tout ce qui est numérique est nécessairement ludique, mais plutôt que tous les appareils numériques ont le potentiel de le devenir (Vial, 2016 : 11). L’appareil numérique est aussi réversible : il est possible de changer son interaction. Ceci représente une façon de maximiser le nombre d’interactions satisfaisantes avec l’objet (Vial, 2016 : 12).
L’action de glisser sur Tinder, en ce sens, est mécaniquement satisfaisante : la curiosité de voir le résultat d’un glissement pousse l’utilisateur à l’action. La possibilité de glisser à nouveau pousse l’utilisateur à continuer. Avec chaque balayement du pouce, l’utilisateur fait un choix et est ensuite immédiatement récompensé par l’apparition d’un nouveau profil.
Le geste excite, selon Inès Garmon, non pas par la possibilité de la rencontre, mais parce que d’effectuer le geste permet de le refaire. L’utilisateur, dans le moment, se divertit par l’engagement généré par le processus de prendre une décision (Garmon, 2018 : 46). Le glissement du pouce est tactilement satisfaisant, rassurant et facile, en comparaison avec un bouton, qui serait plus décisif (Garmon, 2018 : 47).
Prestement exécuté, le glissement donne à la prise de décision une spontanéité, qui se voit toujours récompensée par la possibilité de reprendre la décision à nouveau. Cette rapidité, combinée avec la pauvreté de l’information présentée et le nombre « infini » de profils disponible, pousse l’utilisateur à agir rapidement (Dulaurans et Marczark, 2019 : 116-117).
Le rejet n’est jamais direct sur Tinder : si l’autre a déjà rejeté le profil de l’utilisateur, il n’est pas averti que son affection n’est pas retournée. Plutôt, la personne est instantanément oubliée par l’apparition du prochain profil.
Glisser, sur Tinder, s’apparente à tirer d’un paquet de cartes, en attendant d’obtenir un match, avec le privilège d’être déconnecté de la rétroaction des autres (Lang, 2016 : 6-8).
Sid Meier, le designer derrière la série Civilization, a donné une définition généraliste des jeux vidéo, qui va comme suit : « Les jeux sont une série de choix intéressants. » (Sid Meier, cité dans Alexander, 2012, ma traduction). Cette définition parfois critiquée est clarifiée par Meiers au Games Developer Conference de 2012. Il considère que les jeux sont une série de choix, certains plus simples et d’autres plus complexes, que le joueur doit effectuer. Les choix « intéressants » sont situationnels, personnels, persistants et informés (Alexander, 2012). Tinder permet de prendre de ce type de décisions et serait donc ludifiable.
La mécanique de balayer le pouce a déjà été réapproprié comme méthode pour prendre des décisions dans un contexte purement ludique. Par exemple, dans le jeu indépendant Reigns (Nerial, 2016), le joueur joue un monarque et est tâché de réagir aux diverses situations qui lui sont présentées. Pour se faire, il est toujours offert deux choix, représentés par la possibilité de glisser à gauche ou de glisser à droite, comme sur Tinder.
Comme nous l’avons vu, l’action mécanique de glisser est ludique en elle-même et offre une rétroaction satisfaisante. À cet élément s’ajoute la décision en elle-même : dans quelle direction l’utilisateur devrait-il glisser ?
L’application, en quelque sorte, pose toujours la même question à l’utilisateur : « est-ce que ce profil t’intéresse ? »
Une question redondante, peut-être, mais dont la réponse sera toujours nécessairement différente : les informations fournies avec le profil de l’autre doivent être réinterprétées à chaque fois. Répondre à la question « est-ce que ce profil t’intéresse ? » oblige nécessairement l’utilisateur à croiser ses propres intérêts et ses motivations avec les informations présentées dans le profil.
Tinder valorise l’information visuelle (les images), mais l’utilisateur peut aussi effectuer un processus de filtration. Janelle Ward étudie ce processus de filtration, qui est basé sur une analyse rapide de la beauté, de la géographie, de l’identité, de la personnalité perçue, de l’intérêt sexuel, des préférences personnelles et l’évaluation du risque (Ward, 2017 : 1649-1650). La décision est possiblement rapide, mais est toujours centrée sur les objectifs personnels de la personne qui la prend.
Même si l’application met l’accent sur les images, certains utilisateurs peuvent tout de même chercher à créer un type de connexion précis avec les profils qu’ils « aiment » (Ward, 2017 : 1654). Pour ces utilisateurs, ce qui motive la prise de décision est radicalement différent.
Dans son texte « A RECIPE for gamification », Scott Nicholson présente un modèle de ludification basé sur la création de motivation intrinsèque au sein des dispositifs de ludification avec l’aide de six concepts. Le « C » dans RECIPE désigne Choice, le choix, en soulignant que le joueur devrait être capable de choisir comment il souhaite s’engager dans le système ludifié. Le dispositif ludifié doit aussi lui fournir suffisamment d’informations, le « I » de RECIPE, qui peuvent l’aider à déterminer par lui-même comment profiter du système (Nicholson, 2014).
La prise de décision sur Tinder est, certes, rapide, en comparaison avec ses compétiteurs, mais Tinder permet tout de même à l’utilisateur de prendre des décisions personnelles, situationnelles et informées.
En soi, la mécanique du swiping pourrait être suffisante pour voir Tinder comme une ludification de la séduction : en rendant la prise de décision satisfaisante en elle-même, Tinder rend agréable le processus de filtration. Il reste cependant intéressant de constater la place de Tinder dans la ludification de la culture de la séduction et comment cette culture mène à percevoir les différents outils de Tinder comme des systèmes jouables. Il semble pertinent d’explorer comment la culture qui entoure Tinder a mené à son usage ludique.
Le monde de la rencontre emprunte fréquemment au vocabulaire ludique : on pense notamment aux « pickup artists », qui approchent le monde du dating à la manière d’un jeu entre les sexes (Kray, 2018 : 43). Il y a ici une prétention que The Game peut être appris et qu'il est possible d'appliquer des stratégies apprises lors de situations de séduction (Kray, 2018 : 52). Les enseignants du Game vont présenter des stratégies globales (comme d’envoyer des signaux mixtes pour « la faire travailler ») (Kray, 2018 : 53), des tactiques lors de la séduction (comme des choix de posture, de langage non verbal) (Kray, 2018 : 54) et de manipulation, dans l’objectif pour l’homme d’être désiré par la femme ciblée (Kray, 2018 : 54).
Le Game véhicule des éléments de masculinité toxique, mais représente tout de même un exemple de la ludification de la culture de la séduction. Cette approche aux relations, vendue par des gourous du Self-help, présente les relations interpersonnelles comme étant « résolubles » : si nous appliquons ces stratégies, pratiquons fréquemment et acceptons les échecs, disent-ils, il est possible de résoudre la séduction, en quelque sorte.
L’utilisation de Tinder est, dans certains sous-groupes, une activité sociale. Dans son mémoire de doctorat en philosophie, Tanya Oishi analyse la performativité de la masculinité sur la sous-communauté Reddit « r/Tinder » en analysant particulièrement un événement éphémère du subreddit, le Profile Review Week, où les membres ont été invité à partager leurs profils Tinder pour recevoir de la rétroaction de la communauté. Les commentaires sous ces publications représentent une négociation de la façon de représenter la masculinité : les commentateurs discutent de l’habillement des utilisateurs, du choix des photographies employées et de la description choisie, afin de produire des profils Tinder plus désirables (Oishi, 2019 : 69).
Similairement, Kenneth Hanson constate l’aspect social de l’application en lien avec la création et la gestion du profil. Elle note comment plusieurs jeunes adultes disent avoir créé leurs profils Tinder avec des amis. Une des jeunes femmes interviewées explique qu'elle a téléchargé l’application à deux heures du matin avec une amie, parce qu’elles s’ennuyaient. Elles ont passé un moment pour créer un profil et pour se divertir avec l’application (Hanson, 2017 : 23). D’un autre côté, plusieurs des répondants soulignent optimiser leur profil Tinder avec l’aide de l’opinion de leurs pairs (Hanson, 2017 : 25-26) et décrivent comment ils choisissent des images et rédigent des descriptions qui leur permettent de projeter un idéal d’eux-mêmes.(Hanson, 2017 : 25). L’expérience de Tinder est aussi souvent commune, dans un sens, parce que plusieurs n’utilisent l’application que lorsqu’ils sont entre amis (Hanson, 2017 : 47). Ceux qui utilisent Tinder pour se divertir auraient aussi davantage tendance à utiliser l’application avec des amis que ceux qui ont d’autres raisons d’utiliser l’application (Snitko, 2016 : 54-55).
Dans un article pour Games and Culture, Maria Garda et Veli-Matti Karhulahti analysent Tinder à la manière d’un jeu. On compare entre autres la notion de créer son profil Tinder à la création d’un avatar (Garda et Karhulahti, 2019 : 2). Cette comparaison semble raisonnable dans le cas de Tinder, dans le sens où les utilisateurs sont contraints de se représenter avec des moyens limités dans une interface qui donne la primauté à seulement certains éléments d’information, comme la photo de profil principale (Garda et Karhulahti, 2019 : 5).
Cet usage social de Tinder représente un rapport ludique avec les fonctionnalités de l’application. Les libertés permises par les outils de Tinder poussent les utilisateurs à créer des représentations optimisées d’eux-mêmes, comme en trouvant les « bonnes » images et en améliorant le contenu de leur description. Sur r/Tinder, les hommes étudiés s’échangent des commentaires sur leurs photos (allant de commentaires sur la résolution de la photographie, le sourire de la personne ou sa position) et proposent des améliorations pertinentes (Oishi, 2019 : 69). Les observations de Hanson soulignent comment la création de profils chez les jeunes universitaires est souvent le résultat de travail d’équipe entre amis, afin de filtrer les photos et de produire un profil qui représente le meilleur de soi-même. Une des jeunes femmes interviewées note comment elle utilise des photographies de différents moments de sa vie, de façon à montrer son teint bronzé ou un corps plus athlétique, qui n’est plus nécessairement représentatif au moment de la création du profil (Hanson, 2017 : 25).
Ces interactions observées sous-entendent qu’il est possible d’augmenter sa performance sur l’application en apprenant à utiliser les systèmes en place, un aspect que nous associons typiquement aux jeux. Il est important de noter que cette optimisation a aussi lieu sans l’aspect communautaire de Tinder : les utilisateurs seuls effectuent aussi des changements à leur profil afin d’améliorer leur performance dans l’application (Ward, 2017 : 1652). La création de stratégies et les discussions sur l’optimisation présentées dans cette section nous permettent de voir comment le contexte de Tinder a créé un besoin de mise en commun chez certains segments de sa communauté pour optimiser leurs « eux-idéals ».
La collaboration entre pairs, discutée précédemment, est aussi présente lors du processus de séduction médié par ordinateur. Les participants interviewés par Hanson discutent de comment leurs amis ont souvent un impact dans la discussion médiée : « Once two people match, conversations are monitored and shared between friends in a group. This is not to say that the motivations for using dating apps are free from personal desires. » (Hanson, 2017 : 26). Jin Lee donne des exemples de comment la communauté r/Tinder discute de stratégies de discussion. Elle note que les utilisateurs observés cautionnaient contre l’intimité trop rapide (Lee, 2019 : 6) et qu’ils partageaient leur opinion sur comment répondre à des situations « anormales » avec un match, comme lorsque c’est la femme qui débute la conversation (Lee, 2019 : 7). Elle constate aussi comment la communauté formule des opinions sur l’environnement Tinder en général (notamment, que seulement les gens considérés beaux peuvent réussir sur l’application) (Lee, 2017 : 8). Lee analyse ces discussions sur la communication médiée d’un angle féministe et souligne comment ces interactions comportent des idées nocives (notamment l’idée que Tinder = application pour des relations sexuelles), mais, nous pouvons voir ces interactions comme des recommandations de groupe sur les stratégies à adopter pour améliorer sa performance ainsi que comment décoder les éléments d’information comme les messages reçus.
L’espace de clavardage de Tinder est aussi ludifiable au sens qu’il peut être employé pour des usages hors-normes. Autant d’hommes que de femmes utilisent Tinder pour le Trolling, c’est-à-dire qu’ils adoptent des comportements offensants, provocants ou menaçants, dans l’objectif de faire réagir l’autre pour leur plaisir (March et coll., 2016 : 139-140). Une utilisatrice a utilisé Tinder pour faire de la promotion d’un parti politique (Duguay, 2018 : 30), des travailleurs et travailleuses du sexe font de la promotion de leurs services, des organisations promeuvent leurs messages, etc. (Duguay, 2018 : 35). Ces appropriations des possibilités de la plateforme pour d’autres objectifs représentent des niveaux de jouabilité plus impliqués (Raessens, 2014 : 106). Sonia Fizek présente l’idée du « emergent playfulness » (amusement émergent) comme étant l’idée que les systèmes ludifiés de façon à faire place à l’amusement multiplient les façons pour l’utilisateur de créer son propre plaisir (Fizek, 2014 : 279). Ces usages hors-normes représentent à la fois des appropriations des affordances de la plateforme pour des gains personnels ou pour le plaisir.
Nous avons observé comment le design de Tinder est en lui-même satisfaisant et ludique, ainsi que comment la ludification de la culture a créé une relation souvent ludique avec l’application de rencontre. La présente section cherche à combiner ces deux aspects de la « jouabilité » de Tinder en employant le modèle RECIPE de Nicholson, un concept précédemment effleuré.
Scott Nicholson, professeur en Design de Jeux vidéo à l’Université Wilfrid Laurier, cherche à créer une définition pour une « bonne » ludification, qui permet à l’utilisateur de générer sa propre motivation pour s’engager avec les systèmes ludifiés. Ce modèle tente d’améliorer les stratégies de ludification omniprésentes au début des années 2010. RECIPE représente 6 axes qui permettent au plus grand nombre de joueurs de se motiver pour accomplir l’activité ludifiée. Il résume les concepts ainsi : «
Ces six concepts seront utilisés pour explorer comment le design de l’application Tinder et la culture qui l’entoure se combinent pour créer une expérience ludifiée intrinsèquement motivante.
Play. Tinder, en termes de design, prend la forme d’outils simples, que l’utilisateur a la liberté d’utiliser comme il le souhaite. Les éléments du profil sont, certes, peu nombreux, mais mènent nécessairement l’utilisateur à les utiliser à leur plein potentiel, afin de pouvoir obtenir des matchs. L’utilisateur peut jouer à déterminer les meilleures photos de lui-même, trouver la description qui le représente le mieux, ou même utiliser ces outils pour un autre objectif complètement. La rétroaction des matchs et des likes permet à l’utilisateur d’adapter son usage de ces outils.
Exposition. L’exposition, au sens de « […] présenter une narration par l’entremise d’éléments de design ludique. » (Nicholson, 2014), peut prendre des formes diverses. Il n’est pas nécessaire de créer un monde en tant que tel, selon Nicholson. La narration émergente, c’est-à-dire générée par le joueur avec le jeu, serait un type de narration qui s’applique à Tinder. Les conversations entre matchs génèrent des anecdotes qui permettent au joueur de refléter sur ses intérêts et sur les personnes sur lesquels ils glissent.
Choice. L’utilisateur adapte ses décisions selon ses intérêts et selon ses motivations. Une personne qui cherche l’amour avec Tinder va donner des « j’aime » à des personnes différentes que quelqu’un qui va sur Tinder pour le plaisir. Simultanément, le profil modifiable et le clavardage permettent à l’utilisateur de faire des choix pertinents pour atteindre l’objectif qu’il souhaite atteindre.
Information. Pendant les séances de swiping, l’utilisateur est doté de suffisamment d’information pour prendre des décisions rapides et importantes pour lui. La primauté donnée à l’image permet de communiquer une grande quantité de signifiants rapidement décodables. Simultanément, les profils construits par les utilisateurs permettent aux utilisateurs d’atteindre leurs objectifs personnels.
Les deux points qui suivent, l’engagement et le reflection sont difficiles à comparer avec les fonctionnalités de Tinder. Cependant, comme il a été observé précédemment, la culture ludique de Tinder pourrait remédier à ce manquement, en quelque sorte.
Engagement. Cet aspect est particulier, puisque Tinder, en lui-même, ne fournit pas vraiment cet élément : à part pour les discussions entre matchs, l’aspect social de Tinder est entièrement informel et indirect. Cependant, il est très présent : les utilisateurs consultent des pairs lorsqu’ils créent leur profil et pour faire valider leurs matchs (Hanson, 2017 : 20-26) ou pour se divertir mutuellement (Snitko, 2016 : 54-55) et les sous-communautés numériques discutent de comment optimiser leurs profils et la façon qu’ils clavardent avec leurs matchs (Lee, 2019 : 6-9 ; Oishi, 2019 : 69-70).
Reflection. La « réflexion » représente comment l’utilisateur est donné la capacité de comparer son expérience avec l’application ou l’expérience ludifiée avec sa propre réalité. Pour ceux qui utilisent Tinder pour se divertir, le nombre de matchs et les discussions générées n’ont pas d’impacts réels en dehors de l’application. Pour ceux qui cherchent des relations amoureuses ou sexuelles, il n’y a pas d’espace dans l’application pour discuter de ce qu’ils auraient pu apprendre, par exemple. Cependant, les plateformes numériques comme r/Tinder et les groupes d’amis peuvent, encore une fois, servir d’endroit de partage sur ce que les utilisateurs ont appris sur eux-mêmes ou parler de comment ils ont atteint leur but.
L’utilisation du RECIPE de Nicholson nous permet de voir comment, à la fois, Tinder est une expérience avec une ludification incomplète, mais aussi comment la communauté et l’usage de l’application ont vraisemblablement comblé les manquements de l’application. Tinder présente à l’utilisateur une façon satisfaisante, rétroactive et presque enivrante de prendre des décisions. Cette fonctionnalité est, en elle-même, ludique et agréable à utiliser, en partie parce que l’utilisateur a le contrôle de comment il souhaite l’utiliser.
Les sources académiques assemblées dans le présent travail nous permettent de peindre un portrait de cette application ultrapopulaire et de pourquoi celle-ci en est venue à dominer le marché des applications de rencontre. Elles nous permettent d’élucider pourquoi un segment important emploie Tinder pour se divertir, plutôt que d’employer l’application pour son utilité donnée (Kallis, 2020 ; Sumter et coll., 2016 ; Timmermans et Caluwé, 2017 : 343 ; Ward, 2017 : 1649-1651).
Tinder ludifie la séduction en étant un jeu. En rendant satisfaisante et rapide la prise de décisions sans conséquence, Tinder motive au-delà de son objectif de créer des connexions (Garda et Karhulahti, 2019 : 10). Il devient possible de s’engager mécaniquement avec l’application, plutôt que socialement : les matchs et de likes deviennent des points dans le jeu (Garda et Karhulahti, 2019 : 3). Cette mécanisation d’un processus qui était auparavant purement social peut mener les utilisateurs à optimiser leurs performances dans l’application en s’appropriant les règles « du jeu ». Simultanément, les utilisateurs sont encouragés à travailler avec leurs amis ou avec des communautés numériques dans l’objectif de maximiser leur succès.
Le présent texte a tenté d’analyser pourquoi une aussi grande quantité d’utilisateurs voient Tinder comme une forme de divertissement, alors que son objectif est axé sur les rencontres amoureuses ou amicales. Par l’entremise de son pilier central, le swiping, Tinder génère une activité ludique liée indirectement à la séduction. L’action de glisser est satisfaisante en elle-même grâce à l’aspect ludogène des appareils numériques (Vial, 2016 : 11) combiné avec la rétroaction que génère Tinder. Tinder permet à l’utilisateur de prendre une décision importante pour lui, et le récompense en lui permettant de le faire à nouveau. C’est un cycle de validation qui donne toujours raison à l’utilisateur, qu’il obtienne des matchs ou non.
Ce rapport ludique à l’application est aussi visible dans la façon que les membres de la communauté cherchent à améliorer leurs profils. Les fonctionnalités liées à la création du profil et du clavardage de Tinder sont ludifiées par les communautés qui analysent les profils des autres et développent des stratégies. C’est notamment le cas sur la communauté Reddit r/Tinder, où les utilisateurs s’aident dans l’objectif d’obtenir plus de matchs ou simplement avec des amis, comme Kenneth Hanson montre dans son mémoire. Les usages non conformes de Tinder abondent, ce qui nous permet de constater que les outils en place sont faciles à approprier et peuvent être joués.
Lorsque comparé avec les caractéristiques recommandées par Scott Nicholson pour créer des activités ludifiées aux motivations intrinsèques, on constate que, si les fonctionnalités de Tinder ne comportent pas toutes les caractéristiques, la culture qui entoure Tinder ludifie son usage. Le pilier central de Tinder, qui permet de prendre des décisions satisfaisantes, est suffisante pour générer une expérience ludique avec l’application, et invite ses utilisateurs à « apprendre à utiliser » Tinder.
La présente recherche n’a pas tenté d’analyser en profondeur le phénomène. Il serait tout aussi pertinent d’étudier comment l’expérience ludique de Tinder est possiblement affectée par le genre. Les réalités démographiques de Tinder (notamment la proportion déséquilibrée entre les hommes et les femmes sur l’application) (Iqlab, 2017, consulté le 8 décembre 2020) ont-elles un effet sur l’expérience des utilisateurs de différents genres ? Malgré les limites de ce présent travail, cependant, le rapport ludique des utilisateurs avec l’application Tinder semble clair et mériterait d’être exploré davantage du point de vue des études du jeu et de la ludification.
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Une étude des YouTubeurs conservateurs Paul Joseph Watson, Lauren Southern et Sargon of Akkad (Carl Benjamin).
Question de donner du contexte: j'ai rédigé ce texte en 2019 dans le cadre d’un cours universitaire. Les influenceurs de droite sont un sujet que je trouve fascinant, épeurant et, concrètement, important. J’ai moi-même passé près de sombrer dans le "culte" en 2014. Je m'excuse d'avance du style très académique, internaute inconnu.
***
Les dernières années ont vu les académiciens se pencher sur le phénomène des commentateurs politiques sur YouTube. La droite alternative, que Thomas J. Main étudie dans « The Rise of the Alt-Right » emploie particulièrement YouTube afin de véhiculer ses idéaux.
Ce mouvement politique de droite, que l’éditeur du site web American Renaissance définit comme:
« […] a broad, dissident movement that rejects egalitarian orthodoxies. These orthodoxies require us to believe that the sexes are equivalent, that race is meaningless, that all cultures and religions are equally valuable, and that any erotic orientation or identification is healthy. » (Main, 2018, p.4)
C’est ce mouvement controversé et des influenceurs qui en font partie qui seront le sujet d’étude de cette ressource. Depuis, 2014, plusieurs créateurs ont développé une communauté, que la chercheuse Rebecca Lewis a appelé le « Réseau des médias alternatifs » qui, ensemble « […] provide [s] an alternative media source for viewers to obtain news and political commentary, […] » (R. Lewis, 2018, p.4) L’importance qu’a gagnée ce réseau fortement associé à la droite alternative le rend fort convaincant et pourrait, selon certains experts, mener à la radicalisation.
Afin d’approcher le sujet, une recherche de la littérature académique ainsi qu’une étude quantitative du contenu produit par Carl Benjamin (900 000 abonnés), Lauren Southern (700 000 abonnés) et Paul Joseph Watson (1,6 million d’abonnés) ont été effectuées. Ces influenceurs seront sommairement présentés, puis une analyse d’une vingtaine de leurs plus récentes vidéos donnera un aperçu de comment ils présentent leurs arguments. Seront ensuite explorées leurs stratégies et leurs motivations, afin de déterminer l’effet que la combinaison de ces éléments peut entraîner.
Carl Benjamin est une personnalité britannique anti-justice sociale qui apparait sur YouTube en 2014. Il critique et s’attaque au féminisme en ligne avec le mouvement #GamerGate, qui dénonçait féminisme abusif qui menaçait de « détruire l’industrie du jeu vidéo. » (Poland, 2016, p.152). Benjamin s’est depuis réorienté : il s’est engagé pour l’UKIP (le United Kingdom Independance Party, un parti de droite pro-Brexit) en tant que candidat pour les élections européennes de 2019. (Kentish, 2019)
Lauren Southern est une journaliste citoyenne, commentatrice politique canadienne et ex-contributrice pour le site web canadien d’extrême droite Rebel Media. Elle publie du contenu antiféministe, anti-Islam et anti-immigration. (R. Lewis, 2018, p.47-48). En 2018, elle réoriente son contenu YouTube et se lance dans la production de documentaires, dont le premier, « Farmlands », s’intéresse aux crimes antiblancs en Afrique du Sud.
Paul Joseph Watson est un youtubeur depuis 2011 et éditeur pour le site web conspirationniste d’extrême droite InfoWars.com. Il s’est installé au sein de la communauté conservatrice avec ses critiques des mouvements de justice sociale, des institutions médiatiques et de la culture. (R. Lewis, 2018, p.48).
Vingt vidéos récentes ont été analysées pour chaque créateur sélectionné. Celles-ci ont été catégorisées selon leur sujet et leur format. Les résultats complets sont disponibles ici.
Des soixante vidéos analysées, les catégories de sujets traités les plus importantes sont :
Les influenceurs choisissent majoritairement (53 %) d’aborder ces sujets sous forme de monologue devant caméra. Les seconds formats les plus populaires sont
Afin de mieux comprendre le phénomène des influenceurs conservateurs sur YouTube, il est crucial de se pencher sur les stratégies employées. Rebecca Lewis identifie une ligne directrice dans son étude: la fabrication d’une identité conservatrice commune.
Selon Lewis, les youtubeurs de droite énoncent constamment qu’ils sont persécutés pour leurs opinions. (R. Lewis, 2018) Francesca Tripodi a constaté que cette stratégie est aussi très présente chez les consommateurs de médias conservateurs traditionnels :
« While none of my respondents had ever been personally harassed for their political opinions, it was clear in my observations that these groups were galvanized by the overarching notion that the intolerant ‘Left’ was silencing conservative expression. » (Tripodi, 2018)
Ce sentiment prend souvent la forme de la dénonciation du « de-platforming ». Par exemple, Carl Benjamin a publié la vidéo « This is How They Will Erase You », dans lequel il dénonce Facebook, YouTube et Twitter pour la fermeture des comptes de l’activiste Tommy Robinson. Il débute en disant que Robinson est « systématiquement effacé » des réseaux sociaux pour ses opinions, (Benjamin, 2019, 0 : 00 à 0 : 19) mais fait fi de mentionner que Robinson a cofondé le groupe islamophobe English Defence League et que celui-ci a été arrêté pour outrage au tribunal en 2017 et pour deux cas d’agressions violentes. (The Scotsman, 2018)
Les influenceurs présentent le conservateur du 21 siècle comme un individu cool et rebelle. Pour rejoindre leur auditoire technophile et jeune, les youtubeurs de droite bâtissent « a shared identity based on hipness and edginess » (R. Lewis, 2018) Paul Joseph Watson, par exemple, a publié, en février 2017, la vidéo « Conservatism is the NEW Counter-Culture », qui fait l’éloge de cette idée.
Jason Lavelle Griffin, doctorant en philosophie, souligne l’importance de la transgression dans cette nouvelle droite. En s’appropriant l’esthétique transgressive des mouvements de contre-culture du passé, la nouvelle droite se veut attrayante. Les nouveaux conservateurs emploient aussi l’humour comme stratégie de transgression et d’attraction : « A central feature of this transgression is the use of irony, horror, disgust and humour to make the actual ideas of Alt-right leaders more palatable, or at least make the other side appear toxic. » (Griffin, 2017, p.43)
Les influenceurs analysés cherchent à délégitimer d’une façon ou d’une autre les médias qui ne font pas partie de la sphère conservatrice. Dans sa vidéo « The Truth About Russian Collusion », publiée le 25 mars 2019, Paul Joseph Watson affirme :
« CNN, MSNBC, the New York Times, the Washington Post, every late-night comedian, all threw their weight behind a conspiracy theory that caused division across the country and undermined democracy. » (Watson, 2019, 0 h 48 à 1 h 1)
Tripodi ajoute à cela l’exemple de PragerU, une chaîne YouTube qui diffuse des vidéos idéologiques, a, entre autres, produit une vidéo nommée « Why No One Trusts the Mainstream Media. », dans laquelle une journaliste affirme que l’actualité déborde de contenu éditorialisé qui supportent les « idéaux libéraux préconçus. » (Tripodi, 2018, p.39)
Les influenceurs de droite emploient plusieurs autres stratégies qui ne seront pas mentionnées ici. Vous pouvez consulter les études de Data & Society à ce sujet.
La création d’une identité conservatrice numérique pointe vers deux motivations interreliées : les influenceurs souhaitent propager leurs points de vue tout en faisant croître leur présence numérique.
Griffin argumente que la droite alternative emploie l’outrage pour indigner son public et le pousser à agir. (Griffin, 2018, p.46) Pour les influenceurs analysés, cette indignation est dirigée vers des calls to action : les usagers sont invités à s’abonner sur YouTube, Facebook, Twitter ou Instagram. (R. Lewis, 2018, p.28-30)
Cette motivation passe parfois par la demande d’aide financière, comme pour Carl Benjamin et Paul Joseph Watson, qui ne peuvent plus monétiser leurs vidéos YouTube. (Bromwich, 2018) Watson, par exemple invite ses abonnés à l’aider via PayPal. De la même manière, Lauren Southern a annoncé son nouveau documentaire « Borderless », qui traitera de la crise des réfugiés syriens et incite, avec un vocabulaire fort, à participer au financement. (Southern, 2018)
Benjamin, Southern et Watson évoluent dans un environnement numérique composé de créateurs avec des opinions controversées. Est-ce que cet environnement peut avoir un effet social néfaste sur leurs auditoires ?
Pour répondre à cette question, le journaliste de guerre spécialiste en radicalisation Robert Evans a étudié des messages divulgués par une fuite sur des serveurs Discord privés ouvertement fascistes. Il a étudié ce qui a mené les membres de ces groupes à se radicaliser.
Des 75 membres étudiés, 15 créditent YouTube comme étant le facteur qui leur a fait débuter leur conversion et trois créditent directement Carl Benjamin. (Evans, 2018). La bonne question ne semble pas être si, mais plutôt comment YouTube peut mener à la radicalisation.
Plusieurs journalistes ont enquêté sur comment la plateforme de YouTube peut mener à l’extrémisme politique. Jonas Kaiser et Adrian Rauchfleish ont publié sur Medium.com un article étudiant l’algorithme de recommandations de vidéos sur YouTube :
« We are able to identify several distinct communities with a community detection algorithm, but we see more of the same: YouTube lumps Fox News and GOP accounts into the same community as conspiracy theory channels like Alex Jones. » (Kaiser & Rauchfleish, 2018).
L’algorithme de recommandation de YouTube considère toutes les vidéos conservatrices comme étant de même catégorie : quelqu’un qui consulte du contenu de FOX News est à seulement : « un ou deux clics des chaînes de droite extrémiste, de théories du complot et de contenu radical. » (Kaiser & Rauchfleish, 2018).
La sociologue turque Zeynep Tufekci souligne que l’algorithme semble avoir déterminé organiquement que le contenu violent et controversé capte l’utilisateur et le fait participer davantage. (P. Lewis, 2018).
Ce rapprochement n’est pas qu’algorithmique : les influenceurs approchables et modérés exposent leurs auditoires à du contenu radicalisant en réseautant avec des radicaux. La vidéo « The Truth about Lakemba » mentionnée précédemment, est un exemple. Rebecca Lewis conclut d’ailleurs son rapport en disant :
« Content creators have employed the tactics used by brand influencers, along with social networking, to establish an alternative to mainstream news, convey their ideas to audiences, and monetize their content. As a result, audiences and influencers alike are accessing, producing, and supporting extremist and often harmful content. » (R. Lewis, 2018, p.43)
Autant accidentellement que volontairement, les commentateurs politiques peuvent exposer leurs auditoires à des contenus racistes, extrémistes ou conspirationnistes.
Dans son livre #Republic, Cass Sunstein montre comment les opinions extrêmes se popularisent lorsque les utilisateurs se regroupent. Elle explique ce phénomène par trois raisons :
Elle détaille ensuite l’importance de l’identité de groupe lors du processus : « Group polarization will significantly increase if people think of themselves as part of a group having a shared identity and a degree of solidarity. If they think of themselves in this way, group polarization is both more likely and more extreme. » (Sunstein, 2018, p.75)
Les influenceurs analysés encouragent leurs communautés à se rejoindre et à discuter ensemble. Carl Benjamin, par exemple, encourage ses admirateurs à se joindre à son serveur Discord. Le doctorant en philosophie Michael George Blight souligne que ces actions permettent aux auditeurs de développer un sentiment de communauté et d’appartenance. (Blight, 2016, p.5) Sunstein note aussi que le niveau de polarisation est plus élevé dans les communautés relativement anonymes, avec des identités de groupe fortes. (Sunstein, 2018, p.77-78) L’identité néo-conservatrice, discutée précédemment, correspond très bien à ces critères.
La sphère conservatrice sur YouTube est particulièrement attirante pour les jeunes hommes isolés et émotionnellement vulnérables. Ce réseau d’influenceurs semble distant, mais pourtant, la tuerie de la Mosqué de Québec de 2017 a été fort probablement causé par ce processus de radicalisation. Le perpétrateur de 29 ans, Alexandre Bissonnette, consultait fréquemment le contenu d'influenceurs de l’Alt-Right sur Twitter, selon l’enquête de la police. (Coletta, 2018) Parmi eux, on remarque, entre autres, Ben Shapiro, Tucker Carlson... et des gens que je vous ai précédemment présenté comme Paul Joseph Watson et Stefan Molyneux.
Je ne prétends pas avoir la solution, mais nous pouvons améliorer la situation en cessant de sous-estimer le potentiel d'influence de ces acteurs.
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