Pour mon mémoire, j’étudie pourquoi les joueuses de jeux de rôles sur table modifient les règles des jeux de rôles sur table. Dans le cadre du cours Jeux vidéo et société à l’UQÀM, pour mon travail de fin de session, j’ai décidé de faire une recherche qualitative liée à ce sujet en étudiant comment les utilisatrices d’une communauté en ligne modifient les règlements du jeu. Cet article est une version réduite de ce travail.

Le féminin est utilisé pour alléger le texte.

Les publications archivées mentionnées dans cet article sont accessibles dans un article connexe.


La Publication 3, une des publications sélectionnées

La cinquième édition de Donjons et Dragons (D&D 5e) est actuellement le jeu de rôles le plus populaire sur le marché. Le jeu a attiré plus de 50 millions de joueuses en 2020 (Wieland, 2021).

La modification des règlements dans les jeux de rôles est une réalité omniprésente dans les communautés dédiées aux jeux de rôles. Sur des plateformes comme DriveThruRPG.com et dmsguild.com, des créatrices indépendantes partagent des règles, des aventures et du contenu optionnel que les joueuses peuvent intégrer à leurs parties.

Sur Reddit, les amatrices du jeu partagent des règles alternatives, des contenus maisons et des modifications de règlements dans des communautés comme /r/DnD (2,5 millions d’abonnés), /r/dndnext (552 000 abonnés), /r/DMAcademy (467 000 abonnés), /r/dndmaps (224 000 membres), /r/dndmemes (894 000 membres).

Afin d'étudier une des manifestations de ce phénomène, cet article se penche sur la manière dont la pratique apparaît dans une communauté en ligne dédiée à D&D 5e. Nous posons donc la question de recherche suivante : comment les membres de la communauté en ligne sur Reddit « /r/UnearthedArcana  » négocient-elles leur relation avec les règlements originaux de la 5e édition de Donjons et Dragons ?

CADRE CONCEPTUEL

Pour étudier comment la communauté en ligne /r/UnearthedArcana modifie les règlements, j’emploie trois idées principales

La modification des règlements comme une forme d’appropriation

L’appropriation est ce qui arrive nécessairement lorsque nous jouons. Lorsque nous jouons, nous avons une liberté d’action : si nous n’appuyons pas sur les boutons, nous ne jouons pas. Cependant, le jeu ne peut pas nous forcer à effectuer des actions précises. Cela est sous le contrôle de chaque joueuse. (Bonenfant, 2008, p.63).

Dans un jeu vidéo, ceci signifie que, s’il est vrai que nous ne contrôlons pas les règles du jeu, nous choisissons comment nous les utilisons. Une joueuse peut sauter sur place pendant 10 minutes si elle le souhaite.

Ceci est différent dans les jeux de rôles sur table. Les règles des jeux de rôles sur table ne sont pas préprogrammées. Plutôt, ça fait partie du rôle des joueuses et des meneuses d’appliquer les règlements suggérées dans les livres de règlements. Étant donné que ceci est fait par les joueuses, l'application même des règlements fait partie de l’espace d’appropriation de ce type de jeu.

Ainsi, nous percevons les modifications de règlements comme des appropriations de la part des joueuses.

Qui a le droit de modifier les règles?

Dans son chapitre Agency and Authority in Role-Playing « Texts » du livre New literacies sampler, Jessica Hammer argumente que ce genre de décision fait partie du processus collaboratif inhérent aux jeux de rôles (Hammer, 2007, p. 70).

La Publication 2

Plusieurs autrices se disputent l’autorité dans le cadre d’une partie de jeu de rôles. Les jeux de rôles, écrit-elle, sont le résultat de trois textes différents qui ensemble, créent une histoire. Il y a l’autrice primaire, qui écrit les règles et codifie le monde du jeu. L’autrice secondaire, souvent la meneuse du jeu, qui crée des scénarios avec les règles et l’univers du jeu. Les autrices tertiaires sont les joueuses, qui écrivent, avec leurs actions en jeu, le texte final qui est lu durant la séance de jeu (Hammer, 2007 : 70-71).

Chacune de ces autrices est dotée d’une autorité (c’est-à-dire, le pouvoir de prendre les décisions finales en lien avec le texte) et d’une agentivité (c’est-à-dire, le pouvoir d’agir dans la création du texte) (Hammer, 2007, p. 74). Une joueuse, par exemple, a l’agentivité de déclarer qu’elle tente d’effectuer une action, mais la meneuse emploie son autorité pour lui dire qu’elle doit rouler un dé pour réussir son action. Dans ce cas-ci, la meneuse a l’autorité d’encadrer les actions de la joueuse.

Colin Stricklin, dans son mémoire, propose d'ajouter le concept des autrices de « différent ordres » au modèle de Hammer. Les autrices d’ordre inférieur possèdent moins d’autorité ou d’agentivité relativement à une autrice d’ordre supérieur, malgré le fait qu’elles occupent sensiblement le même rôle dans la création du texte final (Stricklin, 2017, p.34). Stricklin argumente que l'écrivaine d'un module d'aventure (un livre qui contient un scénario qui guide les joueuses dans une aventure) est une autrice secondaire d’ordre supérieur à la meneuse du jeu. Le module d’aventure crée un scénario contraint par le texte primaire, mais est aussi considéré comme plus autoritaire que la meneuse du jeu, parce que l’aventure est un contenu officiel imprimé par la compagnie.

Dans le contexte de cet article, la négociation de l’agentivité est perceptible à travers la façon dont les utilisatrices décident quelles règles sont « modifiables » et celles qui « ne se changent pas. »

La participation et la socialisation dans les communautés en ligne

Dans le cadre de cette étude, nous observerons comment les communautés encouragent et découragent certains types de contenu. La socialisation est le processus durant lequel des individus internalisent et apprennent les règles d’une communauté sociale. Ce phénomène se déroule aussi dans les communautés en ligne (IGI Global, 2022).

Nous étudions spécifiquement une communauté sur Reddit. Reddit est un site web communautaire d’agglomération de contenu. Les utilisatrices s'abonnent à des communautés qui agglomèrent des partages de liens, des images et des publications textuelles. Les utilisatrices ont la possibilité de s’inscrire à des sous-communautés précises, afin de déterminer le type de contenu qu’elles souhaitent voir sur le site. Ces sous-communautés, nommées subreddits (« sous-reddits »), ont souvent leurs propres règles, types de contenus, et normes sociales (Chandrasekharan et al., 2018, p.2-3 ; Fiesler, 2018).

La Publication 10

Sur Reddit, il est possible de voter sur une publication, lui donner une récompense ou publier un commentaire sous la publication. Cette rétroaction affecte la visibilité de la publication. Les publications avec plus de posivotes (upvotes) attirent davantage de rétroaction positive (Lee et al., 2014, p.351-352).

Avec l’aide de ces outils de rétroaction, les utilisatrices des communautés Reddit encouragent certains types de contenus et en découragent d’autres. Chandrasekharan et al. identifient une série de normes de différents niveaux : certaines normes sont encouragées ou découragées globalement sur le site alors que d’autres ne sont appliquées que dans certaines communautés. Les contenus et les commentaires racistes et homophobes, par exemple, contreviennent aux normes sociales générales du site de Reddit et sont retirés par les différentes équipes de modération (Chandrasekharan et al., 2018, p.16-20). Les utilisatrices d’une communauté en ligne seraient encouragées à partager du contenu si elles reçoivent de la rétroaction forte (Lee et al., 2014, p.351-352).

Tout cela pour dire que : nous comprenons la rétroaction positive (les posivotes, les commentaires positifs et constructifs, les récompenses) comme étant des éléments qui aident les « bons » contenus à être plus visibles, alors que la rétroaction négative (les négavotes et les commentaires négatifs) sont utilisés par une communauté pour rejeter certains types de contenus. Avec l’aide de ces outils de rétroaction, la communauté peut socialiser les utilisatrices à voir certains types de contenus comme étant bons et pertinents et à en voir d’autres comme « hors-normes » et « mauvais. »

La communauté /r/UnearthedArcana

Une communauté sur Reddit avec plus de 200 000 abonnés, /r/UnearthedArcana a été choisie parce qu’elle est dédiée spécifiquement à la modification des règlements du jeu. En date du 5 décembre 2021, sa description dit : « A subreddit for D&D 5e homebrew. Fun and smart additions to the game, the friendly Discord of Many Things, and thousands of past submissions to search. » La communauté prend son nom de l’initiative de l’éditeur de D&D 5e de publier du contenu non officiel afin de permettre à la communauté de les tester. La communauté fait partie d’un écosystème plus large sur Reddit dédié aux discussions sur Donjons et Dragons.

Les publications populaires sur /r/UnearthedArcana sont un mélange d’outils pour les meneuses du jeu, de nouvelles options pour les joueuses, ainsi que de nouveaux systèmes de règlements pour le jeu D&D 5e.

Méthodologie

Une ethnographie en ligne qualitative de 10 publications publiées sur /r/UnearthedArcana a été effectuée. La moitié ont été choisies avec l’aide de l’outil « Meilleures Publications » de Reddit (qui classe les publications selon leur nombre de posivotes) et l’autre moitié avec l’outil « Controversé » (qui présente les publications qui ont reçu un taux plus élevé de négavotes). Les publications controversées avec peu de commentaires ont été écartées, afin de privilégier les publications qui ont reçu plus de rétroaction analysable.

Les publications archivées sont accessibles dans un article connexe, mais des captures d'écran seront aussi présentées tout au long du texte.

Analyse

Le fond et la forme des publications sur /r/UnearthedArcana

Des dix publications sélectionnées, quatre ajoutent des options pour les personnages des joueuses, deux sont des ajouts de mécaniques au jeu, deux sont des objets magiques et deux sont des révisions de sorts publiés dans le Guide des joueurs de D&D 5e.

En général, nous constatons que les contenus sélectionnés encouragent l’ajout d’options et de contenu au jeu. Seulement 2 des 10 publications sélectionnées ont comme prémisse de modifier directement le contenu publié. Plutôt, les publications sélectionnées cherchent à créer des options qui se « glissent dans » le système de D&D 5e.

La forme que prennent les publications sélectionnées est très codifiée. Les publications sélectionnées semblent mettre un effort considérable pour copier l’esthétique des livres de règlements de D&D 5e autant en ce qui a trait à l’utilisation d’images fantastiques que la disposition de l’information.


La seule publication sélectionnée qui dévie significativement de la direction esthétique des livres de règlements (la publication 9) a reçu un taux de négavotes beaucoup plus haut que la plupart et a reçu de la rétroaction négative dans les commentaires à cause de son apparence.

Plus encore, nous remarquons que les utilisatrices copient la façon dont les règles sont écrites. Wizards of the Coast, afin de maintenir une cohérence dans ses nombreuses procédures, a créé une structure et des formulations de phrases précises pour présenter les règles de son jeu. Ceci est aussi imité par les utilisatrices de la communauté.


Nous pouvons interpréter cette utilisation du style des livres de règlements comme une forme d’appel à l’autorité. L’imitation des choix esthétiques de l’autrice primaire semble être un facteur important pour être visible sur /r/UnearthedArcana. Les utilisatrices sont socialisés à publier des contenus avec une esthétique peaufinée et qui ressemble au contenu original. L'omniprésence de ces choix esthétiques dans les publications sélectionnées nous mène à croire que les utilisatrices doivent faire appel à l'autorité visuelle du texte primaire pour que leur contenu soit accepté par la communauté.

La préoccupation avec l’équilibre

Les utilisatrices de /r/UnearthedArcana se préoccupent aussi avec le « balancing » : l’équilibrage. L'équilibrage, ici, est l'idée que les habiletés dans le jeu doivent avoir un niveau de puissance similaire en jeu. La communauté compare les contenus publiés aux règlements officiels publiés afin de déterminer sa validité:

Commentaires à propos de l'équilibrage sous la Publication 2 de u/EthanielMjolnir
Commentaire à propos de l’équilibrage de la Publication 4
Commentaires à propos de l'équilibrage de la Publication 5
Commentaires à propos de l'équilibrage de la Publication 1

Ces commentaires qui se préoccupent avec l’équilibrage sont aussi présents sous les publications controversées, mais ont un ton notamment plus désobligeant ou négatif. Certains de ces commentaires ne sont pas constructifs.

Commentaires négatifs sous la Publication 7
Commentaires négatifs sous la Publication 8
Commentaire négatif sous la Publication 10.

Nous remarquons aussi l’usage de ce que j’appellerais du theorycrafting argumentatoire dans les commentaires. Certaines utilisatrices inventent des scénarios et combinent des effets afin de prouver que le contenu d’une publication est déséquilibré. Ce type de commentaire reçoit fréquemment des posivotes.

Les utilisatrices inventent un scénario pour prouver qu'un élément de la Publication 4 devrait être modifié.
Les utilisatrices combinent des habiletés pour prouver qu'un élément de la Publication 10 devrait être modifié.
Une discussion entre deux utilisatrices sous la Publication 10.

Cette méthode est quasi-scientifique : en montrant comment les habiletés tirées du jeu interagissent avec les modifications proposées, les utilisatrices « prouvent » l'aspect déséquilibré du contenu et fabriquent une justification pour le rejeter ou pour demander qu’il soit modifié.

Les efforts des membres de la communauté d’encourager les modifications « équilibrées » et de critiquer les modifications « déséquilibrées » génèrent donc un environnement où les règles originales sont employées comme ultimes décideuses de la pertinence d’une modification.

Les limitations imposées par la communauté

Certaines des publications sélectionnées (1, 7, 9) ont généré des commentaires qui décourageaient certains types de modification.

Dans la publication 1, l’utilisation des mécaniques des feats et du attunement étaient jugées comme incohérentes avec les intentions du jeu. Pour ceux qui ne connaissent pas le jeu, les feats sont des habiletés optionnelles que les personnages peuvent débloquer et l’attunement est une règle qui stipule qu’un personnage doit « se connecter » magiquement avec certains objets magiques puissants pour gagner ses bénéfices. Normalement, un personnage peut être attuned à un maximum de trois objets magiques.

Commentaire sous la Publication 1. L’utilisatrice u/epibits argumente que les feats supplémentaires ne devraient pas être donnés à seulement certaines joueuses.
Des utilisatrices argumentent que d’augmenter le nombre d’attunements empiète sur les habiletés d’une autre classe, le Artificer.

Dans la publication 7, le fait que l’utilisatrice ait associé une des habiletés de son arme magique à une « Action » plutôt qu’à une « Attaque » est vivement critiqué.

Des utilisatrices argumentent que d'augmenter le nombre d'attunements empiète sur les habiletés d'une autre classe, le Artificer.

Dans la seule série de commentaires sous la publication 9, l’utilisatrice Bjorn_styrkr argumente avec la créatrice que le contenu de sa publication est déséquilibré parce qu’elle contrevient à plusieurs principes du jeu. 

Dans les trois publications où le phénomène a été constaté, les utilisatrices argumentent qu’il y a une bonne façon d’utiliser les mécaniques du jeu dans les modifications. Les attunements ne devraient pas être un bénéfice offert à tous, les armes magiques doivent être plus puissantes sur les personnages qui utilisent des armes martiales, le soin de Points de Vie doit être déployé d’une certaine façon, etc.

Dans ces trois exemples, des membres de la communauté semblent avoir interprété des intentions de design aux livres de règlements de D&D 5e. Ces intentions de design sont imprécises et vagues, mais, quelles qu’elles soient, les utilisatrices sont socialisées à les respecter et à utiliser leurs outils de rétroaction pour les imposer aux autres utilisatrices.

DISCUSSION

La « bonne façon » de modifier les règles

Nous avons argumenté que la modification des règlements est une forme d’appropriation. Les publications sélectionnées sont, en plus de cela, des remédiations. Ce sont des produits média, créés par des utilisatrices inspirées par le jeu original. D’une certaine façon, les modifications de jeux de rôles sont des fanfictions de jeux de rôles sur table : l’utilisatrice utilise sa créativité et le contenu du jeu pour créer son propre contenu, qu’elle présente ensuite à la communauté.

Sur /r/UnearthedArcana, plusieurs appropriations ne sont pas jugées pertinentes. La communauté semble avoir décidé que la définition d’une modification de règles est l’ajout de contenus et de systèmes qui ne déséquilibrent pas l’expérience et qui respectent les intentions de design de D&D 5e. Les publications controversées contreviennent, d’une façon ou d’une autre à cette interprétation. Les outils de rétroaction de Reddit sont employés pour limiter la visibilité des publications avec des idées considérées déséquilibrées ou des idées qui « utilisent mal les règles ».

La communauté semble avoir décidé que la définition d’une modification de règles est l’ajout de contenus et de systèmes qui ne déséquilibrent pas l’expérience et qui respectent les intentions de design de D&D 5e.

Il est intéressant de noter que les deux publications qui proposaient des changements à des règlements publiés ont été trouvées avec l’outil « Controversé ». Dans les commentaires, les utilisatrices ne critiquaient pas l’idée de changer ces sorts, mais plutôt la façon dont ils ont été modifiés. Ainsi, nous hypothétisons que la « preuve sociale » nécessaire pour modifier directement des systèmes publiés est plus grande.

La grande majorité des publications, plutôt, prennent la forme d'ajouts aux règlements du jeu : des nouvelles sous-classes, des nouveaux objets magiques, des nouvelles mécaniques, etc. Ces ajouts respectent le contenu publié et mettent un effort important pour mimer l’esthétique et les formulations des livres originaux. 9 des publications sélectionnées ont fait l’effort de copier la disposition de l’information, la formulation des règles et l’esthétique du contenu publié.

L’autorité des livres de règlements

Cette section applique les concepts avancés par Jessica Hammer (2008) aux observations précédemment identifiées. Cette recherche ne peut présumer le rôle que joue chaque utilisatrice dans la création d’un texte de jeu de rôles et, finalement, ne peut observer que les discussions médiatisées à propos du phénomène. Ceci signifie, concrètement, que le seul texte auquel les utilisatrices de /r/UnearthedArcana ont toutes accès est le texte primaire, les livres de règlements.

D’une certaine façon, la communauté négocie son agentivité sur le cadrage avec le texte primaire. Les livres de règlements sont la source d’autorité principale sur /r/UnearthedArcana. Cette autorité se traduit par une préoccupation importante de la part des utilisatrices pour que le contenu soit « équilibré » avec le reste du jeu. La comparaison avec le contenu du livre, le theorycrafting argumentatoire et les arguments basés sur le respect des intentions de design sont employées pour dénoncer les publications qui « s’attaquent » aux principes de D&D 5e. Les outils de rétroaction de Reddit sont employés pour socialiser les abonnées à créer des modifications qui ne contreviennent pas aux procédures établies de D&D 5e.

Il est pertinent de noter que les livres de règlements ne sont pas intouchables. La publication controversée 6 propose de modifier le sort True Strike. Dans les commentaires, les utilisatrices ne critiquent pas la prémisse de modifier ce sort (même que certaines sont en accord que ce sort n'est pas assez puissant), mais restent critiques envers l’utilisatrice en ce qui a trait à l’équilibrage de la proposition. Les publications populaires 1 et 4 contiennent toutes deux des utilisatrices qui affirment que les modifications proposées sont pertinentes à cause d’un manquement perçu dans les règlements du jeu.

Des commentaires sous la Publication 1 critiquent les bénéfices associés avec l'Intelligence dans D&D 5e.
Des utilisatrices critiquent le nombre limité d’habiletés disponibles aux classes martiales dans D&D 5e sous la Publication 4

Ainsi, la communauté s’octroie l’agentivité d’ajouter des éléments aux règlements de D&D 5e ou de les modifier, mais codifie la façon dont cette agentivité peut être employée. La communauté impose l’autorité des règlements lorsque des déviations sont constatées, en dénonçant le contenu dans les commentaires ou en laissant des négavotes.

La négociation de l’autrice amatrice avec la communauté

La négociation avec le texte primaire se déroule aussi entre les utilisatrices qui publient et la communauté. Empruntons à Stricklin son concept des autrices de différents ordres. Les utilisatrices qui publient se présentent à la communauté comme des autrices primaires d’ordre inférieur aux textes publiés. Les publications sont donc des textes primaires d’ordre inférieur, en comparaison aux livres de règlements, qui sont d'un ordre supérieur.

Les utilisatrices qui publient ces contenus n’ont aucune autorité à la base, et ont une agentivité limitée par l’autorité du texte primaire et par l’approbation de la communauté. L’utilisatrice doit gagner son autorité par l’entremise du contenu qu’elle publie. La publication elle-même représente un argumentaire visuel et textuel pour se justifier comme ajout potentiel au texte primaire.

Revenons à l’appel à l’autorité, que nous avons mentionné plus tôt. L’utilisation de l’esthétique des livres de règlements publiés, de la syntaxe des textes de règlements et le respect de l’équilibrage du texte primaire sont des efforts de négociation pour montrer la pertinence de la publication comme texte primaire. Ces éléments sont ce qui permettent, aux yeux de la communauté, à des règles inventées d’être intégrées au texte primaire d’une partie.

« J’ajouterais cette règle à ma partie » est donc l’ultime forme d’approbation d’une règle modifiée sur /r/UnearthedArcana, parce que cela signifie que la communauté juge la publication assez bonne pour l'intégrer au texte primaire.

Évidemment, cet ajout est purement hypothétique: les utilisatrices de /r/UnearthedArcana parlent de D&D 5e, mais ne jouent pas à D&D 5e. La modification du cadrage, la modification les règles, est décidée par chaque groupe de jeu individuellement.

CONCLUSION

Le présent travail a employé les concepts des niveaux d’autrices de Jessica Hammer, l’appropriation selon Maude Bonenfant et la socialisation en ligne pour comprendre comment les modifications du jeu D&D 5e prennent forme sur la communauté en ligne sur Reddit /r/UnearthedArcana. En étudiant le contenu, les commentaires et les votes de 10 publications qui ont généré un haut taux de rétroaction durant le mois de novembre 2021, certains constats se sont présentés.

La communauté de /r/UnearthedArcana place le texte primaire du jeu comme la plus importante source d’autorité pour déterminer la qualité des publications soumises par les utilisatrices. Les publications populaires sont celles qui adoptent l’apparence et le style linguistique des règles officielles. Cet effort esthétique fonctionne comme un « appel à l’autorité » : si les règles sont bien présentées, ce sont des modifications « sérieuses. »

Plus encore, nous avons remarqué que la communauté socialise ses utilisatrices à créer des contenus équilibrés avec les classes, habiletés et objets magiques publiés par Wizards of the Coast. Le contenu jugé déséquilibré reçoit plus de rétroaction négative et de commentaires désobligeants, alors que les contenus jugés équilibrés reçoivent davantage de rétroaction positive et constructive.

Sur /r/UnearthedArcana, la modification de règlements rime avec l’ajout de contenu équilibré au jeu. Les bonnes modifications des règlements sont des contenus qui respectent les « intentions de design » de D&D 5e et qui se glissent aisément dans les règlements publiés. Ainsi, la communauté encourage certaines appropriations du jeu au détriment d’autres.

Il est important de spécifier que cette analyse ethnographique exploratoire a une portée très limitée. Seulement 10 publications ont été sélectionnées pour la recherche et ces publications ne représentent qu’une minime partie des contenus publiés dans la communauté étudiée durant la période. Les résultats ne sont donc pas généralisables. De plus, le présent travail ne considère pas la démographie et les motivations des membres de la communauté /r/UnearthedArcana.

Ceci étant dit, l’étude des 10 publications sélectionnées nous permet de voir que /r/UnearthedArcana a développé une relation avec les règlements de D&D 5e qui cadre la modification des règlements comme l’ajout de contenu, plutôt que comme le remplacement de contenu. Les contenus jugés déséquilibrés ou qui n’adoptent pas les intentions de design identifiés communalement sont écartés avec l’aide des outils de rétroaction de Reddit. Les utilisatrices ne sont pas toutes en accord sur les détails de ce qui peut être modifié, mais, globalement, la communauté encourage les contenus esthétiquement similaires au jeu original et les contenus jugés équilibrés. Les livres de règlements, comme seule littérature commune, sont employés comme l’ultime source d’autorité pour déterminer la pertinence d’une modification des règlements.

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Publications sélectionnées

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Tiagobgos. (2021, 24 novembre). Oath of the Working Class Paladin: Protect the workers, incite the revolution. [reddit post]. r/UnearthedArcana. Repéré le 7 décembre 2021 à www.reddit.com/r/UnearthedArcana/comments/r1e9vz/oath_of_the_working_class_paladin_protect_the/

Arrêtez-moi si vous avez déjà vécu cela.

Vous étudiez pour un examen, dans deux jours. Sur votre écran, caché derrière un PDF, un Powerpoint et un document Word, il y a un stream YouTube d’ouvert, qui envoie à tes écouteurs une musique relaxante, des rythmes synthétiques légers entrecoupées de grésillements, de pops et de quelques paroles disparates.

Sur l’écran, caché derrière, il y a une fille, assise à son bureau, qui, un peu comme toi, s’affaire à étudier, en boucle. Parfois, elle jette un regard vers l’extérieur et semble se perdre un instant dans l’horizon. Puis, elle se retourne vers ses feuilles, accotée sur une main.

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La musique de YouTube

Il y a, depuis quelques années, une explosion de la musique "nostalgique" pour les années 1980 et 1990 sur YouTube. Je pense entre autres à des genres musicaux influents comme le vaporwave, le synthwave, le chillwave, le City Pop et le maintenant iconique lofi hip-hop. Ce sont des genres qui utilisent des synthétiseurs, des rythmes dépassés et qui intègrent des paroles de produits banals d'époques passées. On trouve des sons tirés de publicités, de discours de politiciens décédés et des extraits de série télévisuelles.

Dans son article « Reconstruced Nostalgia », Paul Ballam-Cross apporte le terme du nostalgia genre continuum, le continuum du genre nostalgique. C’est un terme qu’il utilise pour parler du Chillwave, du Synthwave, du Vaporwave et de leurs dérivés. C’est un concept que j’aime bien, puisque, fondamentalement, le continuum nostalgique sur YouTube prend plusieurs formes. Le continuum nostalgique prolifère sur YouTube sous la forme de radios en ligne ou de longues vidéos musicales de 40 à 100 minutes. Les images qu'utilisent ces vidéos sont bourrées de symboles dépassés, des télévisions cathodiques, des cassettes, des VHS, des couleurs criardes typique des années 1980 et 1990. Il y a visiblement un sentiment mélancolique qui est évoqué ici, un souvenir d'un passé nébuleux où les choses semblaient mieux.

Le Vaporwave

La couverture de l'album Floral Shoppe, de Macintosh Plus.

Le vaporwave est probablement le premier genre musical créé sur l’internet et le premier exemple historique du continuum nostalgique. L’exemple iconique du mouvement est Floral Shoppe de Macintosh Plus, un album de musique électronique qui échantillonne des voix distantes, des sons de synthétiseur et même des musiques d’ascenseur pour imaginer une musique rétro et onirique. La couverture de l’album elle-même est un mélange hétéroclite de symboles. Il y a un plancher mosaïque rose et noir, un buste ancien d’Helios et une photo de l’horizon New-Yorkais pré-11 septembre. Le titre est présenté la fois en anglais et en japonais. Le tout a comme objectif de créer un sentiment de nostalgie pour un passé qui n’a jamais réellement existé (Cramer Bornemann, 2017). 

Le Sovietwave

Un genre particulièrement fascinant qui semble s’être développé en parallèle est le « Sovietwave. » Originaire des républiques de l’ex-Union Soviétique, le sovietwave est un style de synthpop, entrecoupé de sons typiques des années 80 dans le deuxième monde. On entend, entre les beeps et les boops, des échantillons tirés de dessins-animés russes ou des discours de politiciens soviétiques. On illustre ces morceaux musicaux de propagande soviétique ou d’illustrations qui présentent le rêve de la course à l’espace. Dans la musique, les synthétiseurs mettent de l’avant des mélodies rétrofuturistes : on invente la musique du futur, selon les années 80 et 90 (Cheung, 2019). Même sans avoir vécu en Union Soviétique, les morceaux génèrent un sentiment de nostalgie pour ce rêve perdu.

Le Sovietwave, un genre musical inventé dans l'ex-Union Soviétique, est nostalgique du rêve détruit d'explorer les étoiles.

Le City Pop

La photo de la jeune Mariya Takeuchi, capturée par Alan Levenson.

Impossible ici de ne pas mentionner au passage l’apparition du « City Pop » dans l’imaginaire populaire occidental. C’est une vidéo maintenant iconique de la chanson de Mariya Takeuchi « Plastic Love » (1984) qui est responsable de l’explosion en popularité récente du genre sur YouTube et en Occident. La chanson « Mayonaka no Door / Stay With Me » a aussi fait partie d’un trend viralsur Tiktok en octobre dernier. Des jeunes faisaient écouter la chanson à leurs mères. La chanson faisait grandement réagir celles qui s’en souvenaient. (Zhang, 2021).

Le City Pop, fondamentalement, c’est de la musique pop japonaise des années 1970 et 1980. C’est un mélange exubérant de jazz, de rock, de disco, de funk américain, typique de cette époque, mais adapté au monde Japonais (Zhang, 2021).

Le lofi hip-hop

 « lofi hip hop radio - beats to relax/study to » est une diffusion continue en direct d’une playlist de lofi hip hop. C’est l’exemple le plus iconique de ce genre musical, particulièrement apprécié des étudiants et les jeunes adultes. Le lofi hip-hop est souvent utilisé comme son de fond lors de de séances d’étude, à cause de ses rythmes relaxants et tamisés.

Dans leur article sur le sujet, Emma Winston et Laurence Saywood argumentent que le style est un dérivé du hip-hop traditionnel avec un son typiquement « low-fidelity ». « Low Fidelity »au sens que les créateurs s’efforcent d’émuler les technologies du passé, à créer un son malmené. On ajoute des grésillements, des pops, des extraits vocaux de différentes sources (Winston et Saywood, 2019 : 44), à la manière du vaporwave.

La "lofi girl" est devenue la mascotte du lofi hip-hop.

Des commentaires qui en disent long

Ces derniers exemples, en soi, semblent déconnectés, mais font partie de ce que plusieurs ont identifié comme un engouement pour la musique sur YouTube qui aborde la nostalgie, la mélancolie et les rêves du passé (Cheung, 2019). Si nous explorons les commentaires sous ces vidéos, ceux abordant la nostalgie sont nombreux.

Sous la vidéo « Reflection – Sovietwave Mix »

Sous la vidéo « Plastic Love »

Sous la vidéo « Macintosh Plus - Floral Shoppe (FULL ALBUM!!) »

Sous la vidéo « 1 A.M Study Session 📚 - [lofi hip hop/chill beats] »

Évidemment, les commentaires ne portent pas tous sur ce sentiment, mais on remarque des exemples sous tous les vidéos étudiés. Peu importe si ces genres évoquent l’idéal d’une société capitaliste prometteuse, la promesse d’un futur brillant ou simplement la nostalgie pour un passé inexistant, on aperçoit un engouement pour ce sentiment. Les auditeurs parlent de nostalgie et sont mélancoliques. Ils se tournent vers un moment, imaginaire, où les choses semblaient mieux, ou les idées qu’évoquent ces genres musicaux semblaient réalistes.

Un passé qui n’a jamais réellement existé

Dans son article pour le Journal of Popular Music Studies, Paul Ballam-Cross parle de « nostalgie reconstruite ».  Les créateurs et créatrices mélangent les différents styles musicaux, les références d’époque et les instruments. L’esthétique des genres qu’il étudie est ancré dans la technologie analogue : une fétichisation des cassettes, des VHS, des tournes disques. (Ballam-Cross, 2021 : 73-74) et des artefacts de la période : les centres commerciaux, le surréalisme, l’été et la mer et les textes orientaux (l’écriture japonaise sur Floral Shoppe, par exemple.) (Ballam-Cross, 2021 : 80). La nostalgie reconstruite est l’idée que le nostalgia genre continuum utilise l’imagerie des années 1980 et 1990, mais forment ensemble une idée d’une époque qui n’a jamais réellement existé, créant donc quelque chose qui est à la fois nostalgique et nouveau (Ballam-Cross, 2021 : 72).

En parlant de lo-fi hip-hop, Winston et Saywood soulignent particulièrement l’intégration d’un échantillon audio de la série Legend of Korra (2012-2014). Une inclusion qui brise le lien temporel avec les années 1980 et 1990, mais, qui pourtant, ne casse pas le potentiel nostalgique du morceau. Les auditeurs entrent dans le jeu. Un commentaire qu’elles ont relevé dit : « I’ve never seen Korra, but remember it from when I was a kid, » (Dreamwave, 2017, cité dans Winston et Saywood, 2019 : 46). La combinaison de la musique « analogique » des rythmes modernes et des échantillons, mènent les auditeurs à s’inventer un « souvenir » de leur enfance. (Winston et Saywood, 2019 : 47).

La fascination dans l’Ouest avec le City Pop rappelle aussi cette nostalgie pour un passé imaginé. Ce sont des chansons qui rappellent les années 1970 et 1980 mais… incorrectement. La musique sonne comme du funk, comme du jazz, comme du soul, mais il y a quelque chose qui cloche. La chanteuse est Japonaise, les rythmes sont juste assez différents pour être étranges. C’est une musique qui nous « rappelle » un souvenir impossible du passé. Comme le commentateur sous Plastic Love l’a si bien dit, « Anyone else remember that time you weren’t in Tokyo in the 80s? Yeah, me too. »

Le mensonge d’un futur meilleur

Cet engouement actuel pour le continuum nostalgique, pour une musique qui imagine une ère plus détendue, plus simple, n’est peut-être pas si aléatoire que ça.

Mes générations (les milléniaux et la génération Z) sont parmi les plus stressées, anxieuses et déprimées de l’histoire. Les milléniaux ont dû surmonter la récession de 2008, un événement « qui n’arrive qu’une fois dans une vie, » …qui s’est ensuite reproduit avec la récession causée par la pandémie de la Covid-19 en 2020-2021. Mes générations ont eu à prendre des emplois difficiles, sans prospects d’avenirs. Leurs salaires ont stagné et leurs conditions de travail ont empirées, et ce, bien que ce sont probablement les générations les plus éduquées… ever. (McMaster, 2021 :

Les gens de mon âge ont aussi eu ont eu à repousser les jalons de la vie adulte :

« "They're not homeowners, they're not in relationships, they're not getting married. They're living in the basement of their parents' home. There's all kinds of things that have frustrated their efforts to get ahead.

The generation as a whole is among the most educated it has ever been, but the path to success is also less clear." »

Geoff McMaster, Université de l’Alberta.

Il est généralement assumé que la prochaine génération aura des meilleures conditions que celle d’avant. Tout porte à croire que c’est une règle qui ne s’appliquera pas à nous. Je ne mentionne ici que les réalités matérielles de mes générations, mais… le réchauffement climatique est une réalité qui met au défi cette idée que les choses s’amélioreront pour nous dans le futur

… et la fille qui étudie

Le lofi les nombreux genres du continuum nostalgique rassurent et réconfortent. En étant subtilement nostalgique pour un passé mystérieux et disjoncté, la trame sonore de la fille lofi est devenue iconique pour une partie particulièrement « en ligne » de mes générations.

Je me souviens du rêve d’explorer les étoiles de la course à l’espace, du bonheur de magasiner au centre commercial avec mes amis, de mes soirées froides passées à explorer Tokyo. C’était bien, les années 1990.

Sur l’écran, il y a une fille, assise à son bureau, qui, un peu comme moi, s’affaire à étudier, en boucle. Parfois, elle jette un regard vers l’extérieur et semble se perdre un instant dans l’horizon. Puis, je me retourne vers mes feuilles, accotée sur une main.

Sources.

Ballam-Cross, P. (2021). Reconstructed Nostalgia: Aesthetic Commonalities and Self-Soothing in Chillwave, Synthwave, and Vaporwave. Journal of Popular Music Studies, 33(1), 70‑93. https://doi.org/10.1525 /jpms.2021.33.1.70

Bornemann, T. C. (2017, 8 décembre). Vaporwave, Revisited: A Second Look at the Forever-Mutating Genre. Medium. https://medium.com/@Thorcb/ vaporwave-revisited-a-second-look-at-the- forever-mutating-genre-b7da26d76ca3

Cheung, N. (2019, 11 novembre). Nostalgia for the future: what Sovietwave has taught me. PHASER. https://phasermagazine.com/ main/2019/11/11/nostalgia- for-the-future-what-sovietwave-has- taught-me

Mcmaster, G. (2020, 28 janvier). Millennials and Gen Z are more anxious than previous generations: here’s why. University of Alberta. https://www.ualberta.ca/folio/ 2020/01/millennials-and-gen-z-are- more-anxious-than-previous-generations- heres-why.html

Winston, E. et Saywood, L. (2019). Beats to Relax/Study To: Contradiction and Paradox in Lofi Hip Hop. IASPM Journal, 9(2), 40‑54.

Zhang, C. (2021, 24 février). The Endless Life Cycle of Japanese City Pop. Pitchfork. https://pitchfork.com/features/ article/the-endless-life-cycle-of-japanese- city-pop/

Une analyse du design et de la culture ludique de Tinder.

Cet article représente une version réduite d’un travail universitaire pour mon cours de ludification à la maîtrise en communication à l’UQAM. J’ai retiré certaines sections, modifié la syntaxe, coupé à peu près la moitié du contenu et effectué des modifications pour rendre la lecture plus agréable.

Jouons à Tinder

On connait Tinder. Glisse à gauche. Glisse à droite. Glisse à droite — Ah ! Un match ! Glisse à gauche. Glisse à droite.

Tinder est, fondamentalement, une application de rencontre, un outil de géolocalisation qui permet à différents utilisateurs de se donner un « j’aime » et de démarrer une discussion.

Depuis son lancement en 2012, Tinder s’est catapultée au sommet du marché des applications de rencontre. Son succès est dû à sa mécanique révolutionnaire : le swiping. Glisse à droite pour donner un « j’aime », à gauche pour rejeter le profil. Dans un article pour Business Insider de 2016, Jonathan Badeen, cofondateur de Tinder, parle du design du swiping. Il fait référence à l'idée de classer les profils comme s’ils étaient des cartes. Pour lui, le swiping permettait de ludifier l’application. L’action est satisfaisante, rétroactive et crée une interaction physique qui rend l’expérience addictive (Badeen, 2016).

La première interface graphique de Tinder. L’idée des profils comme un paquet de cartes est graphiquement représentée.

Le mot ludique est fréquemment employé à outrance. C’est un terme qui se place bien en marketing, pour décrire un peu n’importe quoi. Nous pourrions croire que c’est le cas ici aussi, mais…

Ne connaissez-vous pas quelqu’un qui joue à Tinder ?

Quelqu’un qui va glisser, qui discute avec ses matchs, mais qui, finalement, n’utilise jamais Tinder pour rencontrer des gens ?

Pas de suspens, ce n’est possiblement pas seulement une coïncidence.

Plusieurs études ont conclu que le divertissement représente une des motivations importantes d’utiliser Tinder chez de nombreux participants. Dans une recherche effectuée par Janelle Ward, la quasi-totalité des personnes interviewées a dit utiliser Tinder pour le divertissement et le boost d’ego (Ward, 2017 : 1649-1650). Rhiannon Kallis constate, après 31 entrevues qualitatives, que les utilisateurs utilisent autant Tinder pour se divertir que pour connecter (Kallis, 2020 : 69). Dans une étude pour Telematics and Informatics, des chercheurs ont sondé 266 jeunes adultes, pour découvrir les diverses motivations liées à l’utilisation de Tinder : la validation de soi et le divertissement figurent comme troisième et quatrième motivation (Sumter et coll., 2017 : 73-75). Elisabeth Timmermans et Elien de Caluwé, en développant un modèle de motivations des utilisateurs Tinder, constatent un usage ludique non négligeable, par l’entremise d’entrevues et de sondages (Timmersmans et Calluwé, 2017). Malgré le fait que Tinder soit une application de rencontres, l’application semble avoir développé une microcommunauté de « joueurs ».

Cet usage précis de Tinder sera le sujet à l’étude dans le présent travail. Pourquoi est-il possible pour ces utilisateurs d’utiliser Tinder comme outil de divertissement ?

Comment quelque chose devient-il « ludique » ?

Un jeu, fondamentalement, est une activité réglée, déconnectée de la réalité à laquelle nous participons pour le plaisir de simplement y participer. Lorsque nous jouons aux échecs, ou jouons à un jeu de société avec des amis, nous jouons pour le plaisir même de jouer. Évidemment, ce n’est pas toujours le cas : pensons à des joueurs professionnels qui, oui, jouent à un jeu, mais y jouent pour gagner de l’argent.

Jaako Stenros distingue les termes « jouer » (« playing ») et « l’esprit ludique » (« playfulness »). Il note que les deux phénomènes sont similaires, mais pas identiques : il est possible de suivre les règles d’un jeu (donc de jouer) sans s’immerger ou les accepter (donc d’être « playful »). L’inverse est possible : il est possible de vivre l’esprit ludique sans les règles explicites d’un jeu (Stenros, 2015 : 202).

L’esprit ludique apparaît lorsqu’une l’activité est effectuée pour le plaisir de l’effectuer (l’activité est autotélique). Jouer au soccer avec des amis est une activité autotélique, puisqu’on joue pour jouer. Ceci s’oppose aux activités effectuées avec un objectif matériel ou externe à l’activité (une activité télique) (Stenros, 2015 : 203). La ludification désigne l’introduction des éléments de jeu, afin de transformer des activités téliques en activités autotéliques (Raessens, 2014 : 95).

La dernière décennie a vu une course à la ludification. Les objectifs de la ludification sont de rendre les activités « utiles » plus amusantes et engageantes par l’entremise d’éléments du domaine du jeu. Par exemple, le concours annuel « Déroule le rebord pour gagner », de Tim Hortons est une ludification de l’achat du café. La possibilité de gagner un prix en déroulant le rebord cartonné d’une tasse de café crée un jeu aléatoire qui motive le client à participer pour le plaisir de participer en lui-même, avec l’effet secondaire rentable d’augmenter les ventes de café de Tim Hortons.

Lorsque nous pensons à « une application ludifiée », on imagine souvent des applications avec un système « BLAP » (Badges, Leaderboards, Achievements, Pointification), mais l’imposition de ce genre d’éléments de design ne représente pas l’unique, ou même la meilleure, façon de ludifier une activité. La ludification peut prendre la forme de systèmes qui facilitent l’expérimentation et l’émergence (Fizek, 2014 : 279-284) et multiplient les possibilités d’appropriations pour les différents types de joueurs (Nicholson, 2014).

Fondamentalement, une expérience ludique dépend autant des systèmes en place dans le jeu que de l’esprit que nous adoptons au moment de participer l’expérience.

Maintenant, allons swiper.

Bienvenue sur Tinder

L’application Tinder est relativement simple, en termes de fonctionnalités. Après avoir téléchargé l’application, l’utilisateur peut créer son profil. Il peut choisir des photos qu’il associera à son profil. L’utilisateur peut choisir de montrer des intérêts ou passe-temps, intégrer des informations générales sur lui-même et rédiger une courte biographie de quelque 500 caractères.

L’utilisateur peut glisser à gauche pour « aimer » et à droite pour rejeter un profil.

Ceci fait, l’utilisateur peut commencer à glisser sur des matchs potentiels. L’application géolocalisée propose des profils d’autres utilisateurs, basés sur son orientation sexuelle et sa localisation. Si un des profils proposés l’intéresse, l’utilisateur peut glisser son doigt à droite ou rejeter le profil en glissant vers la gauche. Il peut aussi choisir de consulter le profil de la personne en détail en cliquant sur la photo.

Lorsque deux utilisateurs se like, ils ont un match et peuvent utiliser l’outil de clavardage intégré pour apprendre à se connaitre. Mécaniquement, Tinder est simple, mais c’est cette simplicité qui permet à son aspect principal, le glissement, de briller.

Aimer ou ne pas aimer ? Analyse du design du swiping

Choisir dans quelle direction glisser son pouce sur Tinder est le résultat d’une analyse considérée par l’utilisateur, basé sur ses propres préférences et son interprétation des informations fournies dans le profil de la personne. La présente section abordera les différentes facettes du glissement dans l’objectif de constater comment il génère une expérience ludique lors de son utilisation.

L’action de glisser sur Tinder

Discuter de pourquoi l’action de glisser est ludique implique d’analyser la réalité physique de glisser. Stéphane Vial analyse l’aspect inhéremment ludogène des appareils numériques. Il note que la ludogénéité est intrinsèque à l’appareil numérique, comparé aux outils médiatisés précédemment disponibles à l’humanité. Ceci ne signifie pas que tout ce qui est numérique est nécessairement ludique, mais plutôt que tous les appareils numériques ont le potentiel de le devenir (Vial, 2016 : 11). L’appareil numérique est aussi réversible : il est possible de changer son interaction. Ceci représente une façon de maximiser le nombre d’interactions satisfaisantes avec l’objet (Vial, 2016 : 12).

L’action de glisser sur Tinder, en ce sens, est mécaniquement satisfaisante : la curiosité de voir le résultat d’un glissement pousse l’utilisateur à l’action. La possibilité de glisser à nouveau pousse l’utilisateur à continuer. Avec chaque balayement du pouce, l’utilisateur fait un choix et est ensuite immédiatement récompensé par l’apparition d’un nouveau profil.

Le geste excite, selon Inès Garmon, non pas par la possibilité de la rencontre, mais parce que d’effectuer le geste permet de le refaire. L’utilisateur, dans le moment, se divertit par l’engagement généré par le processus de prendre une décision (Garmon, 2018 : 46). Le glissement du pouce est tactilement satisfaisant, rassurant et facile, en comparaison avec un bouton, qui serait plus décisif (Garmon, 2018 : 47).

Prestement exécuté, le glissement donne à la prise de décision une spontanéité, qui se voit toujours récompensée par la possibilité de reprendre la décision à nouveau. Cette rapidité, combinée avec la pauvreté de l’information présentée et le nombre « infini » de profils disponible, pousse l’utilisateur à agir rapidement (Dulaurans et Marczark, 2019 : 116-117).

Tinder affiche un écran distinct lorsqu'un « match » a eu lieu entre deux utilisateurs.

Le rejet n’est jamais direct sur Tinder : si l’autre a déjà rejeté le profil de l’utilisateur, il n’est pas averti que son affection n’est pas retournée. Plutôt, la personne est instantanément oubliée par l’apparition du prochain profil.

Glisser, sur Tinder, s’apparente à tirer d’un paquet de cartes, en attendant d’obtenir un match, avec le privilège d’être déconnecté de la rétroaction des autres (Lang, 2016 : 6-8).

La décision de glisser sur Tinder

Sid Meier, designer de jeux vidéo au Game Developers Conference en 2012 (Source: Gamasutra).

Sid Meier, le designer derrière la série Civilization, a donné une définition généraliste des jeux vidéo, qui va comme suit : « Les jeux sont une série de choix intéressants. » (Sid Meier, cité dans Alexander, 2012, ma traduction). Cette définition parfois critiquée est clarifiée par Meiers au Games Developer Conference de 2012. Il considère que les jeux sont une série de choix, certains plus simples et d’autres plus complexes, que le joueur doit effectuer. Les choix « intéressants » sont situationnels, personnels, persistants et informés (Alexander, 2012). Tinder permet de prendre de ce type de décisions et serait donc ludifiable.

La mécanique de balayer le pouce a déjà été réapproprié comme méthode pour prendre des décisions dans un contexte purement ludique. Par exemple, dans le jeu indépendant Reigns (Nerial, 2016), le joueur joue un monarque et est tâché de réagir aux diverses situations qui lui sont présentées. Pour se faire, il est toujours offert deux choix, représentés par la possibilité de glisser à gauche ou de glisser à droite, comme sur Tinder.

La mécanique du glissement dans le jeu Reigns

Comme nous l’avons vu, l’action mécanique de glisser est ludique en elle-même et offre une rétroaction satisfaisante. À cet élément s’ajoute la décision en elle-même : dans quelle direction l’utilisateur devrait-il glisser ?

L’application, en quelque sorte, pose toujours la même question à l’utilisateur : « est-ce que ce profil t’intéresse ? »

Une question redondante, peut-être, mais dont la réponse sera toujours nécessairement différente : les informations fournies avec le profil de l’autre doivent être réinterprétées à chaque fois. Répondre à la question « est-ce que ce profil t’intéresse ? » oblige nécessairement l’utilisateur à croiser ses propres intérêts et ses motivations avec les informations présentées dans le profil.

Tinder valorise l’information visuelle (les images), mais l’utilisateur peut aussi effectuer un processus de filtration. Janelle Ward étudie ce processus de filtration, qui est basé sur une analyse rapide de la beauté, de la géographie, de l’identité, de la personnalité perçue, de l’intérêt sexuel, des préférences personnelles et l’évaluation du risque (Ward, 2017 : 1649-1650). La décision est possiblement rapide, mais est toujours centrée sur les objectifs personnels de la personne qui la prend.

Même si l’application met l’accent sur les images, certains utilisateurs peuvent tout de même chercher à créer un type de connexion précis avec les profils qu’ils « aiment » (Ward, 2017 : 1654). Pour ces utilisateurs, ce qui motive la prise de décision est radicalement différent.

Dans son texte « A RECIPE for gamification », Scott Nicholson présente un modèle de ludification basé sur la création de motivation intrinsèque au sein des dispositifs de ludification avec l’aide de six concepts. Le « C » dans RECIPE désigne Choice, le choix, en soulignant que le joueur devrait être capable de choisir comment il souhaite s’engager dans le système ludifié. Le dispositif ludifié doit aussi lui fournir suffisamment d’informations, le « I » de RECIPE, qui peuvent l’aider à déterminer par lui-même comment profiter du système (Nicholson, 2014).

La prise de décision sur Tinder est, certes, rapide, en comparaison avec ses compétiteurs, mais Tinder permet tout de même à l’utilisateur de prendre des décisions personnelles, situationnelles et informées.

La culture ludique de Tinder

En soi, la mécanique du swiping pourrait être suffisante pour voir Tinder comme une ludification de la séduction : en rendant la prise de décision satisfaisante en elle-même, Tinder rend agréable le processus de filtration. Il reste cependant intéressant de constater la place de Tinder dans la ludification de la culture de la séduction et comment cette culture mène à percevoir les différents outils de Tinder comme des systèmes jouables. Il semble pertinent d’explorer comment la culture qui entoure Tinder a mené à son usage ludique.

Le monde de la rencontre emprunte fréquemment au vocabulaire ludique : on pense notamment aux « pickup artists », qui approchent le monde du dating à la manière d’un jeu entre les sexes (Kray, 2018 : 43). Il y a ici une prétention que The Game peut être appris et qu'il est possible d'appliquer des stratégies apprises lors de situations de séduction (Kray, 2018 : 52). Les enseignants du Game vont présenter des stratégies globales (comme d’envoyer des signaux mixtes pour « la faire travailler ») (Kray, 2018 : 53), des tactiques lors de la séduction (comme des choix de posture, de langage non verbal) (Kray, 2018 : 54) et de manipulation, dans l’objectif pour l’homme d’être désiré par la femme ciblée (Kray, 2018 : 54).

Le Game véhicule des éléments de masculinité toxique, mais représente tout de même un exemple de la ludification de la culture de la séduction. Cette approche aux relations, vendue par des gourous du Self-help, présente les relations interpersonnelles comme étant « résolubles » : si nous appliquons ces stratégies, pratiquons fréquemment et acceptons les échecs, disent-ils, il est possible de résoudre la séduction, en quelque sorte.

Créer un profil optimisé ensemble

L’utilisation de Tinder est, dans certains sous-groupes, une activité sociale. Dans son mémoire de doctorat en philosophie, Tanya Oishi analyse la performativité de la masculinité sur la sous-communauté Reddit « r/Tinder » en analysant particulièrement un événement éphémère du subreddit, le Profile Review Week, où les membres ont été invité à partager leurs profils Tinder pour recevoir de la rétroaction de la communauté. Les commentaires sous ces publications représentent une négociation de la façon de représenter la masculinité : les commentateurs discutent de l’habillement des utilisateurs, du choix des photographies employées et de la description choisie, afin de produire des profils Tinder plus désirables (Oishi, 2019 : 69).

Similairement, Kenneth Hanson constate l’aspect social de l’application en lien avec la création et la gestion du profil. Elle note comment plusieurs jeunes adultes disent avoir créé leurs profils Tinder avec des amis. Une des jeunes femmes interviewées explique qu'elle a téléchargé l’application à deux heures du matin avec une amie, parce qu’elles s’ennuyaient. Elles ont passé un moment pour créer un profil et pour se divertir avec l’application (Hanson, 2017 : 23). D’un autre côté, plusieurs des répondants soulignent optimiser leur profil Tinder avec l’aide de l’opinion de leurs pairs (Hanson, 2017 : 25-26) et décrivent comment ils choisissent des images et rédigent des descriptions qui leur permettent de projeter un idéal d’eux-mêmes.(Hanson, 2017 : 25). L’expérience de Tinder est aussi souvent commune, dans un sens, parce que plusieurs n’utilisent l’application que lorsqu’ils sont entre amis (Hanson, 2017 : 47). Ceux qui utilisent Tinder pour se divertir auraient aussi davantage tendance à utiliser l’application avec des amis que ceux qui ont d’autres raisons d’utiliser l’application (Snitko, 2016 : 54-55).

Dans un article pour Games and Culture, Maria Garda et Veli-Matti Karhulahti analysent Tinder à la manière d’un jeu. On compare entre autres la notion de créer son profil Tinder à la création d’un avatar (Garda et Karhulahti, 2019 : 2). Cette comparaison semble raisonnable dans le cas de Tinder, dans le sens où les utilisateurs sont contraints de se représenter avec des moyens limités dans une interface qui donne la primauté à seulement certains éléments d’information, comme la photo de profil principale (Garda et Karhulahti, 2019 : 5).

Tinder est parfois une activité de groupe. Les utilisateurs collaborent pour améliorer leur performance ou s'amuser.

Cet usage social de Tinder représente un rapport ludique avec les fonctionnalités de l’application. Les libertés permises par les outils de Tinder poussent les utilisateurs à créer des représentations optimisées d’eux-mêmes, comme en trouvant les « bonnes » images et en améliorant le contenu de leur description. Sur r/Tinder, les hommes étudiés s’échangent des commentaires sur leurs photos (allant de commentaires sur la résolution de la photographie, le sourire de la personne ou sa position) et proposent des améliorations pertinentes (Oishi, 2019 : 69). Les observations de Hanson soulignent comment la création de profils chez les jeunes universitaires est souvent le résultat de travail d’équipe entre amis, afin de filtrer les photos et de produire un profil qui représente le meilleur de soi-même. Une des jeunes femmes interviewées note comment elle utilise des photographies de différents moments de sa vie, de façon à montrer son teint bronzé ou un corps plus athlétique, qui n’est plus nécessairement représentatif au moment de la création du profil (Hanson, 2017 : 25).

Ces interactions observées sous-entendent qu’il est possible d’augmenter sa performance sur l’application en apprenant à utiliser les systèmes en place, un aspect que nous associons typiquement aux jeux. Il est important de noter que cette optimisation a aussi lieu sans l’aspect communautaire de Tinder : les utilisateurs seuls effectuent aussi des changements à leur profil afin d’améliorer leur performance dans l’application (Ward, 2017 : 1652). La création de stratégies et les discussions sur l’optimisation présentées dans cette section nous permettent de voir comment le contexte de Tinder a créé un besoin de mise en commun chez certains segments de sa communauté pour optimiser leurs « eux-idéals ».

La collaboration entre pairs, discutée précédemment, est aussi présente lors du processus de séduction médié par ordinateur. Les participants interviewés par Hanson discutent de comment leurs amis ont souvent un impact dans la discussion médiée : « Once two people match, conversations are monitored and shared between friends in a group. This is not to say that the motivations for using dating apps are free from personal desires. » (Hanson, 2017 : 26). Jin Lee donne des exemples de comment la communauté r/Tinder discute de stratégies de discussion. Elle note que les utilisateurs observés cautionnaient contre l’intimité trop rapide (Lee, 2019 : 6) et qu’ils partageaient leur opinion sur comment répondre à des situations « anormales » avec un match, comme lorsque c’est la femme qui débute la conversation (Lee, 2019 : 7). Elle constate aussi comment la communauté formule des opinions sur l’environnement Tinder en général (notamment, que seulement les gens considérés beaux peuvent réussir sur l’application) (Lee, 2017 : 8). Lee analyse ces discussions sur la communication médiée d’un angle féministe et souligne comment ces interactions comportent des idées nocives (notamment l’idée que Tinder = application pour des relations sexuelles), mais, nous pouvons voir ces interactions comme des recommandations de groupe sur les stratégies à adopter pour améliorer sa performance ainsi que comment décoder les éléments d’information comme les messages reçus.

L’espace de clavardage de Tinder est aussi ludifiable au sens qu’il peut être employé pour des usages hors-normes. Autant d’hommes que de femmes utilisent Tinder pour le Trolling, c’est-à-dire qu’ils adoptent des comportements offensants, provocants ou menaçants, dans l’objectif de faire réagir l’autre pour leur plaisir (March et coll., 2016 : 139-140). Une utilisatrice a utilisé Tinder pour faire de la promotion d’un parti politique (Duguay, 2018 : 30), des travailleurs et travailleuses du sexe font de la promotion de leurs services, des organisations promeuvent leurs messages, etc. (Duguay, 2018 : 35). Ces appropriations des possibilités de la plateforme pour d’autres objectifs représentent des niveaux de jouabilité plus impliqués (Raessens, 2014 : 106). Sonia Fizek présente l’idée du « emergent playfulness » (amusement émergent) comme étant l’idée que les systèmes ludifiés de façon à faire place à l’amusement multiplient les façons pour l’utilisateur de créer son propre plaisir (Fizek, 2014 : 279). Ces usages hors-normes représentent à la fois des appropriations des affordances de la plateforme pour des gains personnels ou pour le plaisir.

Tinder, le jeu

Nous avons observé comment le design de Tinder est en lui-même satisfaisant et ludique, ainsi que comment la ludification de la culture a créé une relation souvent ludique avec l’application de rencontre. La présente section cherche à combiner ces deux aspects de la « jouabilité » de Tinder en employant le modèle RECIPE de Nicholson, un concept précédemment effleuré.

Scott Nicholson, professeur en Design de Jeux vidéo à l’Université Wilfrid Laurier, cherche à créer une définition pour une « bonne » ludification, qui permet à l’utilisateur de générer sa propre motivation pour s’engager avec les systèmes ludifiés. Ce modèle tente d’améliorer les stratégies de ludification omniprésentes au début des années 2010. RECIPE représente 6 axes qui permettent au plus grand nombre de joueurs de se motiver pour accomplir l’activité ludifiée. Il résume les concepts ainsi : « 

Ces six concepts seront utilisés pour explorer comment le design de l’application Tinder et la culture qui l’entoure se combinent pour créer une expérience ludifiée intrinsèquement motivante.

Play.  Tinder, en termes de design, prend la forme d’outils simples, que l’utilisateur a la liberté d’utiliser comme il le souhaite. Les éléments du profil sont, certes, peu nombreux, mais mènent nécessairement l’utilisateur à les utiliser à leur plein potentiel, afin de pouvoir obtenir des matchs. L’utilisateur peut jouer à déterminer les meilleures photos de lui-même, trouver la description qui le représente le mieux, ou même utiliser ces outils pour un autre objectif complètement. La rétroaction des matchs et des likes permet à l’utilisateur d’adapter son usage de ces outils.

Exposition. L’exposition, au sens de « […] présenter une narration par l’entremise d’éléments de design ludique. » (Nicholson, 2014), peut prendre des formes diverses. Il n’est pas nécessaire de créer un monde en tant que tel, selon Nicholson. La narration émergente, c’est-à-dire générée par le joueur avec le jeu, serait un type de narration qui s’applique à Tinder. Les conversations entre matchs génèrent des anecdotes qui permettent au joueur de refléter sur ses intérêts et sur les personnes sur lesquels ils glissent.

Choice. L’utilisateur adapte ses décisions selon ses intérêts et selon ses motivations. Une personne qui cherche l’amour avec Tinder va donner des « j’aime » à des personnes différentes que quelqu’un qui va sur Tinder pour le plaisir. Simultanément, le profil modifiable et le clavardage permettent à l’utilisateur de faire des choix pertinents pour atteindre l’objectif qu’il souhaite atteindre.

Information. Pendant les séances de swiping, l’utilisateur est doté de suffisamment d’information pour prendre des décisions rapides et importantes pour lui. La primauté donnée à l’image permet de communiquer une grande quantité de signifiants rapidement décodables. Simultanément, les profils construits par les utilisateurs permettent aux utilisateurs d’atteindre leurs objectifs personnels.

Les deux points qui suivent, l’engagement et le reflection sont difficiles à comparer avec les fonctionnalités de Tinder. Cependant, comme il a été observé précédemment, la culture ludique de Tinder pourrait remédier à ce manquement, en quelque sorte.

Engagement. Cet aspect est particulier, puisque Tinder, en lui-même, ne fournit pas vraiment cet élément : à part pour les discussions entre matchs, l’aspect social de Tinder est entièrement informel et indirect. Cependant, il est très présent : les utilisateurs consultent des pairs lorsqu’ils créent leur profil et pour faire valider leurs matchs (Hanson, 2017 : 20-26) ou pour se divertir mutuellement (Snitko, 2016 : 54-55) et les sous-communautés numériques discutent de comment optimiser leurs profils et la façon qu’ils clavardent avec leurs matchs (Lee, 2019 : 6-9 ; Oishi, 2019 : 69-70).

Reflection. La « réflexion » représente comment l’utilisateur est donné la capacité de comparer son expérience avec l’application ou l’expérience ludifiée avec sa propre réalité. Pour ceux qui utilisent Tinder pour se divertir, le nombre de matchs et les discussions générées n’ont pas d’impacts réels en dehors de l’application. Pour ceux qui cherchent des relations amoureuses ou sexuelles, il n’y a pas d’espace dans l’application pour discuter de ce qu’ils auraient pu apprendre, par exemple. Cependant, les plateformes numériques comme r/Tinder et les groupes d’amis peuvent, encore une fois, servir d’endroit de partage sur ce que les utilisateurs ont appris sur eux-mêmes ou parler de comment ils ont atteint leur but.

L’utilisation du RECIPE de Nicholson nous permet de voir comment, à la fois, Tinder est une expérience avec une ludification incomplète, mais aussi comment la communauté et l’usage de l’application ont vraisemblablement comblé les manquements de l’application. Tinder présente à l’utilisateur une façon satisfaisante, rétroactive et presque enivrante de prendre des décisions. Cette fonctionnalité est, en elle-même, ludique et agréable à utiliser, en partie parce que l’utilisateur a le contrôle de comment il souhaite l’utiliser.

Les sources académiques assemblées dans le présent travail nous permettent de peindre un portrait de cette application ultrapopulaire et de pourquoi celle-ci en est venue à dominer le marché des applications de rencontre. Elles nous permettent d’élucider pourquoi un segment important emploie Tinder pour se divertir, plutôt que d’employer l’application pour son utilité donnée (Kallis, 2020 ; Sumter et coll., 2016 ; Timmermans et Caluwé, 2017 : 343 ; Ward, 2017 : 1649-1651).

Tinder ludifie la séduction en étant un jeu. En rendant satisfaisante et rapide la prise de décisions sans conséquence, Tinder motive au-delà de son objectif de créer des connexions (Garda et Karhulahti, 2019 : 10). Il devient possible de s’engager mécaniquement avec l’application, plutôt que socialement : les matchs et de likes deviennent des points dans le jeu (Garda et Karhulahti, 2019 : 3). Cette mécanisation d’un processus qui était auparavant purement social peut mener les utilisateurs à optimiser leurs performances dans l’application en s’appropriant les règles « du jeu ». Simultanément, les utilisateurs sont encouragés à travailler avec leurs amis ou avec des communautés numériques dans l’objectif de maximiser leur succès.

Conclusion

Le présent texte a tenté d’analyser pourquoi une aussi grande quantité d’utilisateurs voient Tinder comme une forme de divertissement, alors que son objectif est axé sur les rencontres amoureuses ou amicales. Par l’entremise de son pilier central, le swiping, Tinder génère une activité ludique liée indirectement à la séduction. L’action de glisser est satisfaisante en elle-même grâce à l’aspect ludogène des appareils numériques (Vial, 2016 : 11) combiné avec la rétroaction que génère Tinder. Tinder permet à l’utilisateur de prendre une décision importante pour lui, et le récompense en lui permettant de le faire à nouveau. C’est un cycle de validation qui donne toujours raison à l’utilisateur, qu’il obtienne des matchs ou non.

Ce rapport ludique à l’application est aussi visible dans la façon que les membres de la communauté cherchent à améliorer leurs profils. Les fonctionnalités liées à la création du profil et du clavardage de Tinder sont ludifiées par les communautés qui analysent les profils des autres et développent des stratégies. C’est notamment le cas sur la communauté Reddit r/Tinder, où les utilisateurs s’aident dans l’objectif d’obtenir plus de matchs ou simplement avec des amis, comme Kenneth Hanson montre dans son mémoire. Les usages non conformes de Tinder abondent, ce qui nous permet de constater que les outils en place sont faciles à approprier et peuvent être joués.

Lorsque comparé avec les caractéristiques recommandées par Scott Nicholson pour créer des activités ludifiées aux motivations intrinsèques, on constate que, si les fonctionnalités de Tinder ne comportent pas toutes les caractéristiques, la culture qui entoure Tinder ludifie son usage. Le pilier central de Tinder, qui permet de prendre des décisions satisfaisantes, est suffisante pour générer une expérience ludique avec l’application, et invite ses utilisateurs à « apprendre à utiliser » Tinder.

La présente recherche n’a pas tenté d’analyser en profondeur le phénomène. Il serait tout aussi pertinent d’étudier comment l’expérience ludique de Tinder est possiblement affectée par le genre. Les réalités démographiques de Tinder (notamment la proportion déséquilibrée entre les hommes et les femmes sur l’application) (Iqlab, 2017, consulté le 8 décembre 2020) ont-elles un effet sur l’expérience des utilisateurs de différents genres ? Malgré les limites de ce présent travail, cependant, le rapport ludique des utilisateurs avec l’application Tinder semble clair et mériterait d’être exploré davantage du point de vue des études du jeu et de la ludification.

BIBLIOGRAPHIE

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Badeen, J. (2016). Tinder cofounder reveals how he came up with the app’s game-changing « swipe » feature in the shower. Business Insider. https://www.businessinsider.com/tinder-swipe-right-inventor-how-he-came-up-with-it-2016-11

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Iqlab, M. (2017, 21 août). Tinder Revenue and Usage Statistics (2020). Business of Apps. https://www.businessofapps.com/data/tinder-statistics/

LaVallee, A. (2009, 17 août). App Watch: Grindr Says It’s More Than a Hook-Up Service. Wall Street Journal. https://www.wsj.com/articles/BL-DGB-5716

Tinder | Rencontres, amour et amitié. (s. d.). Tinder. https://tinder.com

5. Jeux mentionnés

Reigns. (2016). Nerial.

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