Pour mon mémoire, j’étudie pourquoi les joueuses de jeux de rôles sur table modifient les règles des jeux de rôles sur table. Dans le cadre du cours Jeux vidéo et société à l’UQÀM, pour mon travail de fin de session, j’ai décidé de faire une recherche qualitative liée à ce sujet en étudiant comment les utilisatrices d’une communauté en ligne modifient les règlements du jeu. Cet article est une version réduite de ce travail.

Le féminin est utilisé pour alléger le texte.

Les publications archivées mentionnées dans cet article sont accessibles dans un article connexe.


La Publication 3, une des publications sélectionnées

La cinquième édition de Donjons et Dragons (D&D 5e) est actuellement le jeu de rôles le plus populaire sur le marché. Le jeu a attiré plus de 50 millions de joueuses en 2020 (Wieland, 2021).

La modification des règlements dans les jeux de rôles est une réalité omniprésente dans les communautés dédiées aux jeux de rôles. Sur des plateformes comme DriveThruRPG.com et dmsguild.com, des créatrices indépendantes partagent des règles, des aventures et du contenu optionnel que les joueuses peuvent intégrer à leurs parties.

Sur Reddit, les amatrices du jeu partagent des règles alternatives, des contenus maisons et des modifications de règlements dans des communautés comme /r/DnD (2,5 millions d’abonnés), /r/dndnext (552 000 abonnés), /r/DMAcademy (467 000 abonnés), /r/dndmaps (224 000 membres), /r/dndmemes (894 000 membres).

Afin d'étudier une des manifestations de ce phénomène, cet article se penche sur la manière dont la pratique apparaît dans une communauté en ligne dédiée à D&D 5e. Nous posons donc la question de recherche suivante : comment les membres de la communauté en ligne sur Reddit « /r/UnearthedArcana  » négocient-elles leur relation avec les règlements originaux de la 5e édition de Donjons et Dragons ?

CADRE CONCEPTUEL

Pour étudier comment la communauté en ligne /r/UnearthedArcana modifie les règlements, j’emploie trois idées principales

La modification des règlements comme une forme d’appropriation

L’appropriation est ce qui arrive nécessairement lorsque nous jouons. Lorsque nous jouons, nous avons une liberté d’action : si nous n’appuyons pas sur les boutons, nous ne jouons pas. Cependant, le jeu ne peut pas nous forcer à effectuer des actions précises. Cela est sous le contrôle de chaque joueuse. (Bonenfant, 2008, p.63).

Dans un jeu vidéo, ceci signifie que, s’il est vrai que nous ne contrôlons pas les règles du jeu, nous choisissons comment nous les utilisons. Une joueuse peut sauter sur place pendant 10 minutes si elle le souhaite.

Ceci est différent dans les jeux de rôles sur table. Les règles des jeux de rôles sur table ne sont pas préprogrammées. Plutôt, ça fait partie du rôle des joueuses et des meneuses d’appliquer les règlements suggérées dans les livres de règlements. Étant donné que ceci est fait par les joueuses, l'application même des règlements fait partie de l’espace d’appropriation de ce type de jeu.

Ainsi, nous percevons les modifications de règlements comme des appropriations de la part des joueuses.

Qui a le droit de modifier les règles?

Dans son chapitre Agency and Authority in Role-Playing « Texts » du livre New literacies sampler, Jessica Hammer argumente que ce genre de décision fait partie du processus collaboratif inhérent aux jeux de rôles (Hammer, 2007, p. 70).

La Publication 2

Plusieurs autrices se disputent l’autorité dans le cadre d’une partie de jeu de rôles. Les jeux de rôles, écrit-elle, sont le résultat de trois textes différents qui ensemble, créent une histoire. Il y a l’autrice primaire, qui écrit les règles et codifie le monde du jeu. L’autrice secondaire, souvent la meneuse du jeu, qui crée des scénarios avec les règles et l’univers du jeu. Les autrices tertiaires sont les joueuses, qui écrivent, avec leurs actions en jeu, le texte final qui est lu durant la séance de jeu (Hammer, 2007 : 70-71).

Chacune de ces autrices est dotée d’une autorité (c’est-à-dire, le pouvoir de prendre les décisions finales en lien avec le texte) et d’une agentivité (c’est-à-dire, le pouvoir d’agir dans la création du texte) (Hammer, 2007, p. 74). Une joueuse, par exemple, a l’agentivité de déclarer qu’elle tente d’effectuer une action, mais la meneuse emploie son autorité pour lui dire qu’elle doit rouler un dé pour réussir son action. Dans ce cas-ci, la meneuse a l’autorité d’encadrer les actions de la joueuse.

Colin Stricklin, dans son mémoire, propose d'ajouter le concept des autrices de « différent ordres » au modèle de Hammer. Les autrices d’ordre inférieur possèdent moins d’autorité ou d’agentivité relativement à une autrice d’ordre supérieur, malgré le fait qu’elles occupent sensiblement le même rôle dans la création du texte final (Stricklin, 2017, p.34). Stricklin argumente que l'écrivaine d'un module d'aventure (un livre qui contient un scénario qui guide les joueuses dans une aventure) est une autrice secondaire d’ordre supérieur à la meneuse du jeu. Le module d’aventure crée un scénario contraint par le texte primaire, mais est aussi considéré comme plus autoritaire que la meneuse du jeu, parce que l’aventure est un contenu officiel imprimé par la compagnie.

Dans le contexte de cet article, la négociation de l’agentivité est perceptible à travers la façon dont les utilisatrices décident quelles règles sont « modifiables » et celles qui « ne se changent pas. »

La participation et la socialisation dans les communautés en ligne

Dans le cadre de cette étude, nous observerons comment les communautés encouragent et découragent certains types de contenu. La socialisation est le processus durant lequel des individus internalisent et apprennent les règles d’une communauté sociale. Ce phénomène se déroule aussi dans les communautés en ligne (IGI Global, 2022).

Nous étudions spécifiquement une communauté sur Reddit. Reddit est un site web communautaire d’agglomération de contenu. Les utilisatrices s'abonnent à des communautés qui agglomèrent des partages de liens, des images et des publications textuelles. Les utilisatrices ont la possibilité de s’inscrire à des sous-communautés précises, afin de déterminer le type de contenu qu’elles souhaitent voir sur le site. Ces sous-communautés, nommées subreddits (« sous-reddits »), ont souvent leurs propres règles, types de contenus, et normes sociales (Chandrasekharan et al., 2018, p.2-3 ; Fiesler, 2018).

La Publication 10

Sur Reddit, il est possible de voter sur une publication, lui donner une récompense ou publier un commentaire sous la publication. Cette rétroaction affecte la visibilité de la publication. Les publications avec plus de posivotes (upvotes) attirent davantage de rétroaction positive (Lee et al., 2014, p.351-352).

Avec l’aide de ces outils de rétroaction, les utilisatrices des communautés Reddit encouragent certains types de contenus et en découragent d’autres. Chandrasekharan et al. identifient une série de normes de différents niveaux : certaines normes sont encouragées ou découragées globalement sur le site alors que d’autres ne sont appliquées que dans certaines communautés. Les contenus et les commentaires racistes et homophobes, par exemple, contreviennent aux normes sociales générales du site de Reddit et sont retirés par les différentes équipes de modération (Chandrasekharan et al., 2018, p.16-20). Les utilisatrices d’une communauté en ligne seraient encouragées à partager du contenu si elles reçoivent de la rétroaction forte (Lee et al., 2014, p.351-352).

Tout cela pour dire que : nous comprenons la rétroaction positive (les posivotes, les commentaires positifs et constructifs, les récompenses) comme étant des éléments qui aident les « bons » contenus à être plus visibles, alors que la rétroaction négative (les négavotes et les commentaires négatifs) sont utilisés par une communauté pour rejeter certains types de contenus. Avec l’aide de ces outils de rétroaction, la communauté peut socialiser les utilisatrices à voir certains types de contenus comme étant bons et pertinents et à en voir d’autres comme « hors-normes » et « mauvais. »

La communauté /r/UnearthedArcana

Une communauté sur Reddit avec plus de 200 000 abonnés, /r/UnearthedArcana a été choisie parce qu’elle est dédiée spécifiquement à la modification des règlements du jeu. En date du 5 décembre 2021, sa description dit : « A subreddit for D&D 5e homebrew. Fun and smart additions to the game, the friendly Discord of Many Things, and thousands of past submissions to search. » La communauté prend son nom de l’initiative de l’éditeur de D&D 5e de publier du contenu non officiel afin de permettre à la communauté de les tester. La communauté fait partie d’un écosystème plus large sur Reddit dédié aux discussions sur Donjons et Dragons.

Les publications populaires sur /r/UnearthedArcana sont un mélange d’outils pour les meneuses du jeu, de nouvelles options pour les joueuses, ainsi que de nouveaux systèmes de règlements pour le jeu D&D 5e.

Méthodologie

Une ethnographie en ligne qualitative de 10 publications publiées sur /r/UnearthedArcana a été effectuée. La moitié ont été choisies avec l’aide de l’outil « Meilleures Publications » de Reddit (qui classe les publications selon leur nombre de posivotes) et l’autre moitié avec l’outil « Controversé » (qui présente les publications qui ont reçu un taux plus élevé de négavotes). Les publications controversées avec peu de commentaires ont été écartées, afin de privilégier les publications qui ont reçu plus de rétroaction analysable.

Les publications archivées sont accessibles dans un article connexe, mais des captures d'écran seront aussi présentées tout au long du texte.

Analyse

Le fond et la forme des publications sur /r/UnearthedArcana

Des dix publications sélectionnées, quatre ajoutent des options pour les personnages des joueuses, deux sont des ajouts de mécaniques au jeu, deux sont des objets magiques et deux sont des révisions de sorts publiés dans le Guide des joueurs de D&D 5e.

En général, nous constatons que les contenus sélectionnés encouragent l’ajout d’options et de contenu au jeu. Seulement 2 des 10 publications sélectionnées ont comme prémisse de modifier directement le contenu publié. Plutôt, les publications sélectionnées cherchent à créer des options qui se « glissent dans » le système de D&D 5e.

La forme que prennent les publications sélectionnées est très codifiée. Les publications sélectionnées semblent mettre un effort considérable pour copier l’esthétique des livres de règlements de D&D 5e autant en ce qui a trait à l’utilisation d’images fantastiques que la disposition de l’information.


La seule publication sélectionnée qui dévie significativement de la direction esthétique des livres de règlements (la publication 9) a reçu un taux de négavotes beaucoup plus haut que la plupart et a reçu de la rétroaction négative dans les commentaires à cause de son apparence.

Plus encore, nous remarquons que les utilisatrices copient la façon dont les règles sont écrites. Wizards of the Coast, afin de maintenir une cohérence dans ses nombreuses procédures, a créé une structure et des formulations de phrases précises pour présenter les règles de son jeu. Ceci est aussi imité par les utilisatrices de la communauté.


Nous pouvons interpréter cette utilisation du style des livres de règlements comme une forme d’appel à l’autorité. L’imitation des choix esthétiques de l’autrice primaire semble être un facteur important pour être visible sur /r/UnearthedArcana. Les utilisatrices sont socialisés à publier des contenus avec une esthétique peaufinée et qui ressemble au contenu original. L'omniprésence de ces choix esthétiques dans les publications sélectionnées nous mène à croire que les utilisatrices doivent faire appel à l'autorité visuelle du texte primaire pour que leur contenu soit accepté par la communauté.

La préoccupation avec l’équilibre

Les utilisatrices de /r/UnearthedArcana se préoccupent aussi avec le « balancing » : l’équilibrage. L'équilibrage, ici, est l'idée que les habiletés dans le jeu doivent avoir un niveau de puissance similaire en jeu. La communauté compare les contenus publiés aux règlements officiels publiés afin de déterminer sa validité:

Commentaires à propos de l'équilibrage sous la Publication 2 de u/EthanielMjolnir
Commentaire à propos de l’équilibrage de la Publication 4
Commentaires à propos de l'équilibrage de la Publication 5
Commentaires à propos de l'équilibrage de la Publication 1

Ces commentaires qui se préoccupent avec l’équilibrage sont aussi présents sous les publications controversées, mais ont un ton notamment plus désobligeant ou négatif. Certains de ces commentaires ne sont pas constructifs.

Commentaires négatifs sous la Publication 7
Commentaires négatifs sous la Publication 8
Commentaire négatif sous la Publication 10.

Nous remarquons aussi l’usage de ce que j’appellerais du theorycrafting argumentatoire dans les commentaires. Certaines utilisatrices inventent des scénarios et combinent des effets afin de prouver que le contenu d’une publication est déséquilibré. Ce type de commentaire reçoit fréquemment des posivotes.

Les utilisatrices inventent un scénario pour prouver qu'un élément de la Publication 4 devrait être modifié.
Les utilisatrices combinent des habiletés pour prouver qu'un élément de la Publication 10 devrait être modifié.
Une discussion entre deux utilisatrices sous la Publication 10.

Cette méthode est quasi-scientifique : en montrant comment les habiletés tirées du jeu interagissent avec les modifications proposées, les utilisatrices « prouvent » l'aspect déséquilibré du contenu et fabriquent une justification pour le rejeter ou pour demander qu’il soit modifié.

Les efforts des membres de la communauté d’encourager les modifications « équilibrées » et de critiquer les modifications « déséquilibrées » génèrent donc un environnement où les règles originales sont employées comme ultimes décideuses de la pertinence d’une modification.

Les limitations imposées par la communauté

Certaines des publications sélectionnées (1, 7, 9) ont généré des commentaires qui décourageaient certains types de modification.

Dans la publication 1, l’utilisation des mécaniques des feats et du attunement étaient jugées comme incohérentes avec les intentions du jeu. Pour ceux qui ne connaissent pas le jeu, les feats sont des habiletés optionnelles que les personnages peuvent débloquer et l’attunement est une règle qui stipule qu’un personnage doit « se connecter » magiquement avec certains objets magiques puissants pour gagner ses bénéfices. Normalement, un personnage peut être attuned à un maximum de trois objets magiques.

Commentaire sous la Publication 1. L’utilisatrice u/epibits argumente que les feats supplémentaires ne devraient pas être donnés à seulement certaines joueuses.
Des utilisatrices argumentent que d’augmenter le nombre d’attunements empiète sur les habiletés d’une autre classe, le Artificer.

Dans la publication 7, le fait que l’utilisatrice ait associé une des habiletés de son arme magique à une « Action » plutôt qu’à une « Attaque » est vivement critiqué.

Des utilisatrices argumentent que d'augmenter le nombre d'attunements empiète sur les habiletés d'une autre classe, le Artificer.

Dans la seule série de commentaires sous la publication 9, l’utilisatrice Bjorn_styrkr argumente avec la créatrice que le contenu de sa publication est déséquilibré parce qu’elle contrevient à plusieurs principes du jeu. 

Dans les trois publications où le phénomène a été constaté, les utilisatrices argumentent qu’il y a une bonne façon d’utiliser les mécaniques du jeu dans les modifications. Les attunements ne devraient pas être un bénéfice offert à tous, les armes magiques doivent être plus puissantes sur les personnages qui utilisent des armes martiales, le soin de Points de Vie doit être déployé d’une certaine façon, etc.

Dans ces trois exemples, des membres de la communauté semblent avoir interprété des intentions de design aux livres de règlements de D&D 5e. Ces intentions de design sont imprécises et vagues, mais, quelles qu’elles soient, les utilisatrices sont socialisées à les respecter et à utiliser leurs outils de rétroaction pour les imposer aux autres utilisatrices.

DISCUSSION

La « bonne façon » de modifier les règles

Nous avons argumenté que la modification des règlements est une forme d’appropriation. Les publications sélectionnées sont, en plus de cela, des remédiations. Ce sont des produits média, créés par des utilisatrices inspirées par le jeu original. D’une certaine façon, les modifications de jeux de rôles sont des fanfictions de jeux de rôles sur table : l’utilisatrice utilise sa créativité et le contenu du jeu pour créer son propre contenu, qu’elle présente ensuite à la communauté.

Sur /r/UnearthedArcana, plusieurs appropriations ne sont pas jugées pertinentes. La communauté semble avoir décidé que la définition d’une modification de règles est l’ajout de contenus et de systèmes qui ne déséquilibrent pas l’expérience et qui respectent les intentions de design de D&D 5e. Les publications controversées contreviennent, d’une façon ou d’une autre à cette interprétation. Les outils de rétroaction de Reddit sont employés pour limiter la visibilité des publications avec des idées considérées déséquilibrées ou des idées qui « utilisent mal les règles ».

La communauté semble avoir décidé que la définition d’une modification de règles est l’ajout de contenus et de systèmes qui ne déséquilibrent pas l’expérience et qui respectent les intentions de design de D&D 5e.

Il est intéressant de noter que les deux publications qui proposaient des changements à des règlements publiés ont été trouvées avec l’outil « Controversé ». Dans les commentaires, les utilisatrices ne critiquaient pas l’idée de changer ces sorts, mais plutôt la façon dont ils ont été modifiés. Ainsi, nous hypothétisons que la « preuve sociale » nécessaire pour modifier directement des systèmes publiés est plus grande.

La grande majorité des publications, plutôt, prennent la forme d'ajouts aux règlements du jeu : des nouvelles sous-classes, des nouveaux objets magiques, des nouvelles mécaniques, etc. Ces ajouts respectent le contenu publié et mettent un effort important pour mimer l’esthétique et les formulations des livres originaux. 9 des publications sélectionnées ont fait l’effort de copier la disposition de l’information, la formulation des règles et l’esthétique du contenu publié.

L’autorité des livres de règlements

Cette section applique les concepts avancés par Jessica Hammer (2008) aux observations précédemment identifiées. Cette recherche ne peut présumer le rôle que joue chaque utilisatrice dans la création d’un texte de jeu de rôles et, finalement, ne peut observer que les discussions médiatisées à propos du phénomène. Ceci signifie, concrètement, que le seul texte auquel les utilisatrices de /r/UnearthedArcana ont toutes accès est le texte primaire, les livres de règlements.

D’une certaine façon, la communauté négocie son agentivité sur le cadrage avec le texte primaire. Les livres de règlements sont la source d’autorité principale sur /r/UnearthedArcana. Cette autorité se traduit par une préoccupation importante de la part des utilisatrices pour que le contenu soit « équilibré » avec le reste du jeu. La comparaison avec le contenu du livre, le theorycrafting argumentatoire et les arguments basés sur le respect des intentions de design sont employées pour dénoncer les publications qui « s’attaquent » aux principes de D&D 5e. Les outils de rétroaction de Reddit sont employés pour socialiser les abonnées à créer des modifications qui ne contreviennent pas aux procédures établies de D&D 5e.

Il est pertinent de noter que les livres de règlements ne sont pas intouchables. La publication controversée 6 propose de modifier le sort True Strike. Dans les commentaires, les utilisatrices ne critiquent pas la prémisse de modifier ce sort (même que certaines sont en accord que ce sort n'est pas assez puissant), mais restent critiques envers l’utilisatrice en ce qui a trait à l’équilibrage de la proposition. Les publications populaires 1 et 4 contiennent toutes deux des utilisatrices qui affirment que les modifications proposées sont pertinentes à cause d’un manquement perçu dans les règlements du jeu.

Des commentaires sous la Publication 1 critiquent les bénéfices associés avec l'Intelligence dans D&D 5e.
Des utilisatrices critiquent le nombre limité d’habiletés disponibles aux classes martiales dans D&D 5e sous la Publication 4

Ainsi, la communauté s’octroie l’agentivité d’ajouter des éléments aux règlements de D&D 5e ou de les modifier, mais codifie la façon dont cette agentivité peut être employée. La communauté impose l’autorité des règlements lorsque des déviations sont constatées, en dénonçant le contenu dans les commentaires ou en laissant des négavotes.

La négociation de l’autrice amatrice avec la communauté

La négociation avec le texte primaire se déroule aussi entre les utilisatrices qui publient et la communauté. Empruntons à Stricklin son concept des autrices de différents ordres. Les utilisatrices qui publient se présentent à la communauté comme des autrices primaires d’ordre inférieur aux textes publiés. Les publications sont donc des textes primaires d’ordre inférieur, en comparaison aux livres de règlements, qui sont d'un ordre supérieur.

Les utilisatrices qui publient ces contenus n’ont aucune autorité à la base, et ont une agentivité limitée par l’autorité du texte primaire et par l’approbation de la communauté. L’utilisatrice doit gagner son autorité par l’entremise du contenu qu’elle publie. La publication elle-même représente un argumentaire visuel et textuel pour se justifier comme ajout potentiel au texte primaire.

Revenons à l’appel à l’autorité, que nous avons mentionné plus tôt. L’utilisation de l’esthétique des livres de règlements publiés, de la syntaxe des textes de règlements et le respect de l’équilibrage du texte primaire sont des efforts de négociation pour montrer la pertinence de la publication comme texte primaire. Ces éléments sont ce qui permettent, aux yeux de la communauté, à des règles inventées d’être intégrées au texte primaire d’une partie.

« J’ajouterais cette règle à ma partie » est donc l’ultime forme d’approbation d’une règle modifiée sur /r/UnearthedArcana, parce que cela signifie que la communauté juge la publication assez bonne pour l'intégrer au texte primaire.

Évidemment, cet ajout est purement hypothétique: les utilisatrices de /r/UnearthedArcana parlent de D&D 5e, mais ne jouent pas à D&D 5e. La modification du cadrage, la modification les règles, est décidée par chaque groupe de jeu individuellement.

CONCLUSION

Le présent travail a employé les concepts des niveaux d’autrices de Jessica Hammer, l’appropriation selon Maude Bonenfant et la socialisation en ligne pour comprendre comment les modifications du jeu D&D 5e prennent forme sur la communauté en ligne sur Reddit /r/UnearthedArcana. En étudiant le contenu, les commentaires et les votes de 10 publications qui ont généré un haut taux de rétroaction durant le mois de novembre 2021, certains constats se sont présentés.

La communauté de /r/UnearthedArcana place le texte primaire du jeu comme la plus importante source d’autorité pour déterminer la qualité des publications soumises par les utilisatrices. Les publications populaires sont celles qui adoptent l’apparence et le style linguistique des règles officielles. Cet effort esthétique fonctionne comme un « appel à l’autorité » : si les règles sont bien présentées, ce sont des modifications « sérieuses. »

Plus encore, nous avons remarqué que la communauté socialise ses utilisatrices à créer des contenus équilibrés avec les classes, habiletés et objets magiques publiés par Wizards of the Coast. Le contenu jugé déséquilibré reçoit plus de rétroaction négative et de commentaires désobligeants, alors que les contenus jugés équilibrés reçoivent davantage de rétroaction positive et constructive.

Sur /r/UnearthedArcana, la modification de règlements rime avec l’ajout de contenu équilibré au jeu. Les bonnes modifications des règlements sont des contenus qui respectent les « intentions de design » de D&D 5e et qui se glissent aisément dans les règlements publiés. Ainsi, la communauté encourage certaines appropriations du jeu au détriment d’autres.

Il est important de spécifier que cette analyse ethnographique exploratoire a une portée très limitée. Seulement 10 publications ont été sélectionnées pour la recherche et ces publications ne représentent qu’une minime partie des contenus publiés dans la communauté étudiée durant la période. Les résultats ne sont donc pas généralisables. De plus, le présent travail ne considère pas la démographie et les motivations des membres de la communauté /r/UnearthedArcana.

Ceci étant dit, l’étude des 10 publications sélectionnées nous permet de voir que /r/UnearthedArcana a développé une relation avec les règlements de D&D 5e qui cadre la modification des règlements comme l’ajout de contenu, plutôt que comme le remplacement de contenu. Les contenus jugés déséquilibrés ou qui n’adoptent pas les intentions de design identifiés communalement sont écartés avec l’aide des outils de rétroaction de Reddit. Les utilisatrices ne sont pas toutes en accord sur les détails de ce qui peut être modifié, mais, globalement, la communauté encourage les contenus esthétiquement similaires au jeu original et les contenus jugés équilibrés. Les livres de règlements, comme seule littérature commune, sont employés comme l’ultime source d’autorité pour déterminer la pertinence d’une modification des règlements.

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Publications sélectionnées

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Thudnfer. (2021, 16 novembre). Witch Lance - Gods Damn It, I Revised Witch Bolt. Are You Happy Now? [reddit post]. r/UnearthedArcana. Repéré le 7 décembre 2021 à www.reddit.com/r/UnearthedArcana/comments/qv3ktp/witch_lance_gods_damn_it_i_revised_witch_bolt_are/

Tiagobgos. (2021, 24 novembre). Oath of the Working Class Paladin: Protect the workers, incite the revolution. [reddit post]. r/UnearthedArcana. Repéré le 7 décembre 2021 à www.reddit.com/r/UnearthedArcana/comments/r1e9vz/oath_of_the_working_class_paladin_protect_the/

J’avais 15 ou 16 ans, je pense. Je travaillais dans un restaurant de chaîne. Un soir où c’était particulièrement tranquille, je me souviens avoir pris un stylo et une napkin et, sur le coin d’un comptoir, j’ai inventé un monde. J’ai dessiné une forme sans-sens, que je savais être une large péninsule, le territoire où plusieurs créatures différentes vivaient.

Pendant que je rangeais la vaisselle, je me suis imaginé des peuples, des personnages, leurs religions et leur histoire. Parfois, je notais quelques mots.

Je m’en souviens parce que je connais encore ce monde. Depuis, j’ai écris des milliers de mots sur ses peuples, sur sa géographie, sur ses cultures et sur ses étrangetés. C’est un monde que j’ai invité des dizaines d’amis à découvrir, à travers des textes et par l’entremise des jeux de rôles sur table.

J’avais 15 ou 16 ans, je pense, quand j’ai inventé Reghas, un monde que j’ai depuis découvert pendant des heures et des heures.

C’est quoi le worldbuilding?

Ce que j’ai fait, peut-être sans ma rendre compte, c’était du worldbuilding.

Le worldbuilding, c’est l’activité de construire des mondes imaginaires. En gros, c’est surtout de créer l’illusion que ces univers se tiennent logiquement.

C’est J.R.R Tolkien, l’auteur du Seigneur des Anneaux, qui a popularisé l'idée que les histoires pouvaient se passer dans un monde « logique ». La Terre du Milieu n’est pas le premier monde imaginaire, mais c’est définitivement celui qui a impacté le plus notre culture.

Ce foutu J.R.R. Tolkien.

Depuis, nous assumons tous que nos histoires préférées doivent se dérouler dans un univers complexe. Nous adorons les mondes imaginaires complets, comme dans Game of Thrones, Harry Potter, Witcher, Skyrim, World of Warcraft… la liste, honnêtement, n’arrête pas.

Pourquoi inventer des mondes?

Il y a plein de raisons, en fait. La première est la plus évidente. Plusieurs bâtissent des mondes qui n’existent pas pour un projet précis. Tous les mondes que j'ai mentionné en sont des exemples : ce sont des mondes imaginaires qui ont été créés pour un produit médiatique, que ce soit pour un livre, pour un film ou pour un jeu vidéo.

Les spectateurs, dès qu’ils sont investis dans une histoire, adorent découvrir toujours plus sur les mondes dans lesquels ces histoires se déroulent. Qui n'a pas fouillé sur le wiki d’Harry Potter pour découvrir des informations qu'il avait manqué? Qui n'es pas allé trouver des vidéos explicatives sur la politique dans Game of Thrones pour mieux comprendre ce qui se déroulait dans la série? (No shame, parce que same.)

En fait, c’est un phénomène média vraiment intéressant. Un article là-dessus pourrait être intéressant, qui sait?

Il y a aussi beaucoup de gens qui inventent des mondes… entièrement pour le fun.

Tolkien, lui, a bâti un monde parce que sa passion était la linguistique. Il avait un passe-temps d’inventer des langues de toutes pièces. À un moment donné, il s’est dit qu’il devrait créer un monde où ces langues-là pourraient exister… donc il a créé la Terre du Milieu.

En ligne, il y a maintenant d’immenses communautés en ligne qui inventent des mondes. Je pense tout particulièrement à des sous-reddits comme /r/worldbuilding (735 000 abonnés) et à des sites web comme worldbuilding.stackexchange.com. C'est sans mentionner la panoplie de YouTubeurs qui ont fait leur carrière sur parler de mondes inventés.

Une activité créative sous-estimée

Pour moi, les jeux de rôles sur table sont le principal motivateur pour inventer des mondes. Je suis souvent le maître du jeu. Pour réussir à mon rôle, j'ai besoin, au minimum, d’inventer des personnages, des pièces, des endroits. Il faut que je construise des choses qui sont vraies dans un monde qui n’est pas le nôtre. Tsé.

Mais, dans le fond, j’invente surtout des mondes pour le plaisir de le faire.

Je n’ai pas bâti un site web pour envoyer des parodies du Journal de Montréal à mes joueurs parce que j’étais obligé. Je ne fais pas des cartes des régions que mes joueurs visitent parce qu’ils m’ont tordu le bras. J’ai beau dire « oui, je fais ça pour Donjons et Dragons », mais... les jeux de rôles, c'est plus mon excuse pour découvrir plus sur mes univers.

Pour des jeux de rôles, j'ai beaucoup inventé des mondes. Je me suis amusé à imaginer la Nouvelle-France dans le monde d’Harry Potter. J’ai imaginé le Montréal dystopique du sombre futur de 2023 dans l’univers de Cyberpunk 2020. J’ai inventé un pays où des hobbits ultrareligieux étaient sur le pied de guerre et tentaient désespérément de défendre l'Empire des hordes d’hommes-rats.

Quand j’étais au secondaire et au CÉGEP, j’aimais bien créer des mondes pour des histoires. Lorsque j’étais adolescent, j’ai inventé une version post-apocalyptique du Québec pour une trilogie de romans que je ne terminerai jamais (et que personne n’a le droit de lire). Durant ma phase de Witchermania, je m'étais demandé de quoi aurait l'air un univers fantastique qui faisait avec le folklore québécois ce que Witcher avait fait avec le folklore polonais. Ça aussi, c’était pour une nouvelle que je ne terminerai probablement jamais.

Il y a quelque chose d'un peu... enfantin à tout ça, n'est-ce pas?

« Je m'imagine des mondes dans ma tête! »

En même temps, être créatif pour le plaisir de l'être et pour soi-même, c'est libérateur, je trouve. C'est satisfaisant et, mieux encore, tu ne dépends pas de l'art de quelqu'un d'autre pour avoir du plaisir.

Si cet article a un objectif, j'imagine que ce serait de dire que le worldbuilding, ça existe. Le worldbuilding est devenu un élément omniprésent des médias que nous consommons. Nous adorons l’univers Marvel, la Terre du Milieu, le monde de Harry Potter… l’univers fantastique d’Amos Daragon, même !

Pourtant, la plupart de ces mondes ont commencé sur un coin de table ou durant un moment passé dans la lune dans une salle d’attente. La plupart sont le résultat des rêveries d’auteurs et d’autrices qui ont inventé, pour le plaisir, des mondes qui n’existent pas.

Tu peux le faire aussi, is my point. Personne ne va t'arrêter. Tout le monde est trop occupé pour te juger. C'est l'fun, rêver, de temps en temps.

***

Maîtresse du jeu : « Monsieur Le Blanc, le représentant de l’organisation criminelle des Hôteliers, vous donne un ultimatum :
"Vous avez perturbé nos opérations à Valmois avec vos dernières… actions. Nous ne croyons pas aux “malentendus,” surtout ceux qui mènent à la mort de plusieurs de nos associés. Nous sommes, cependant, généreux. L’Hôtelière vous offre une chance : quittez Valmois avant le lever du soleil de demain, et vous aurez la chance de revoir vos familles." »
Joueuse 2 :« Qu’est-ce qu’on fait ? »
Maîtresse du jeu :« Est-ce que tu demandes ça à voix haute ? »
Joueuse 1 :« euh… non. »
Maîtresse du jeu :« Sauf si tu as une façon de communiquer avec les autres sans que Le Blanc soit au courant, pas le droit de communiquer avec les autres. »
(Un silence, les joueuses pensent.)
Joueuse 2 :« Heille, il nous menace, right ? Mon personnage ne va pas se faire traiter de même. Est-ce qu’il y a une chaise de vide dans la pièce ? »
Maîtresse du jeu :« Oui. Juste à côté de toi, il y a une chaise de bois. »
Joueuse 2 :« Je la prends et je la casse sur la tête de Le Blanc pour le faire tomber inconscient ! »
Joueuse 1 :« Attends – »
Maîtresse du jeu :« Tu es sûre, joueuse 2 ? »
Joueuse 2 :« Définitivement. »
Maîtresse du jeu :« Parfait, dans ce cas-là, pourrais-tu me faire un jet de… »

***

Il y a une infinité de façons de terminer cette situation dans Donjons et Dragons. Question alors: comment est-ce que différents types de joueuses casseraient la chaise ?

Pourquoi étudier les types de joueuses?

Dans le fond, j'ai dans l'idée que toutes les joueuses de Donjons et Dragons aiment des choses différentes dans le jeu. Un groupe qui aime le combat va utiliser les règles d'une certaine façon, un groupe qui aime jouer des rôles utiliseront les règles d'une autre façon. Dans les dernières semaines (entre mes moments de procrastination), j'ai lu sur comment les gens ont étudié les joueuses de jeux de rôles dans le passé, pour voir s'il existe des modèles que je pourrai emprunter pour mon mémoire.

Et pour parler de ça, je me suis dit que je pourrais casser des chaises.

Diviser les joueuses en type : un débat éternel

S’il y a quelque chose que les théoriciens des jeux de rôles adorent faire, c’est créer des catégories. Dans son chapitre du livre « Role-Playing Game Studies », Evan Torner agglomère l’histoire de la théorisation sur les jeux de rôles et parlent entre autres de comment les gens ont divisé les joueuses en types.

Les types de joueuses de Bartle

La typologie la plus connue des jeux de rôles est sans aucun doute celle des types de joueuses de Bartle. Richard Bartle avait créé ce modèle théorique pour étudier les différents types de joueuses dans les Multi-User Dungeons, des jeux vidéo maintenant obsolètes qui prenaient la forme de… chatrooms glorifiées, dans le fond. C’est un modèle théorique qui s’applique encore très bien à tous les jeux multijoueurs avec un monde virtuel, comme les MMORPG (World of Warcraft, par exemple).

The Bartle Test of Gamer Psychology - Gamer Types

La grille est découpée selon deux axes. Sur l'axe horizontal, Bartle divise deux extrêmes: une joueuse qui préfère faire des agir avec les joueuses ou si elle préfère agir dans le monde. Sur le deuxième axe, on divise les joueuses qui préfèrent interagir avec ou agir sur les autres joueuses ou sur le monde.

Celles qui aiment agir sur les joueuses sont des « killers » ;

Celles qui aiment agir sur le monde sont des « achievers » ;

Celles qui aiment interagir avec les joueuses sont des « socializers » ;

Celles qui aiment interagir avec le monde sont des « explorers ».

Ce modèle est omniprésent en études du jeu. Peut-être même qu'on l'utilise trop, selon Bartle. La théorie est intéressante et me sera probablement utile, mais j’ai de la difficulté à me baser sur un modèle bâti pour des mondes virtuels.

Oui, on pourrait dire que la relation des joueuses avec Donjons et Dragons est comme la relation des joueuses avec un monde virtuel... j'imagine. Cependant, j’ai tendance à me demander s'il y a des modèles pour les jeux de rôles ?

Cependant, on peut s'imaginer qu'un joueur achiever aime utiliser les règles pour casser la chaise sur la tête du méchant parce que cela lui donne du pouvoir sur le monde, qu'un joueur killer casserait la chaise pour faire réagir les autres et ainsi de suite. Ça peut être intéressant d'utiliser ce modèle pour comprendre ce qui motive les joueuses autour de la table.

Diviser les joueuses de jeux de rôles sur table en types

Plusieurs typologies (le nom fancy pour des modèles qui divisent des choses en types) ont été construites spécifiquement pour catégoriser les joueuses de jeux de rôles sur tables. La plupart sont bâties à partir d’observations et visent spécifiquement les designers de jeux de rôles.

Evan Torner, sur le sujet de la théorisation sur les jeux de rôles, mentionne la typologie d’Aaron Allston, bâtie pour le jeu Champions en 1988. C'était la première fois que quelqu'un publiait une catégorisation des joueuses « officielle ». Allston avait comme objectif de diviser les joueuses en types, pour donner des conseils aux maîtresses du jeu (Torner, 2018, 29).

Ensuite, Robin D. Laws a produit une des premières typologies sérieuses dans son livre, Laws of Good Game Mastering (2001). Robin Laws a divisé les joueuses en Power Gamers (qui souhaitent gagner et améliorer leurs personnages), les butt kickers (qui aiment se battre dans le jeu), les tacticians (qui recherchent des défis stratégiques), les specialists (qui adorent leur personnage particulier), les method actors (qui aiment s’exprimer à travers leur personnage), les storytellers (qui veulent co-créer une histoire) et les casual gamers (qui jouent pour socialiser avec des amis) (Torner, 2018, 29-30). Laws avait basé sa catégorisation sur des observations et des études de marchées de Wizard of the Coast (les créatrices de Donjons et Dragons).

Les agendas créatifs de The Forge

Les « agendas créatifs », ou le « GMS » de Ron Edwards ont été publiés pour la première fois sur la communauté en ligne The Forge (Torner, 2018 : 30). Fondamentalement, son objectif était de créer un lexique plus précis et complet pour parler de la pratique du jeu de rôles et pour aider les designers à mieux cerner leurs joueuses (Edwards, 2001 : 1). Résumons ce qu'il dit rapidement.

What GNS theory claims | Game Design is about Structure
Une charte compliquée qui, au final, dit que les gens tombent dans un style de jeu particulier lorsqu'elles jouent.

Quand la joueuse se lance dans un jeu de rôles, elle prend contact avec le jeu par l’entremise d’une variété d’éléments. La joueuse voit le jeu à travers son personnage, le système qu’elle joue, le setting dans lequel se déroule la partie, les situations dans lesquelles elle est placée et avec la « couleur » du jeu (les détails et les images dans le jeu et en dehors du jeu qui génèrent une certaine atmosphère lors de la partie). Ces éléments sont uniques à chaque système de jeu et à chaque groupe de jeu (Edwards, 2001 : 2).

Ensuite, il y a les trois axes décisionnels. On pourrait aussi les appeler des styles de jeu:

Finalement, Edward parle de la posture que chaque joueuse adopte lorsqu’elle joue son personnage. Il y en a quatre :

Quelque chose d’important à mentionner ici, c’est que les joueuses ne restent jamais seulement dans une posture et dans un style de jeu préféré. Une joueuse peut prendre des décisions « gamist », puis adopter un style « simulationniste » juste après. La posture d’une joueuse peut changer entre chaque fois qu’elle prend la parole.

Cassons la chaise

Appliquons le modèle de Ron Edwards à la situation que j’ai présenté plus tôt.

Où plutôt, ce que je devrais dire, c'est que je vais m’amuser à présenter des exemples de comment différents groupes pourraient utiliser le même jeu, les mêmes règles, pour résoudre la situation différemment. Plus encore, je présenterai comment ces règles peuvent être modifiées pour satisfaire aux différents agendas créatifs.

Joueuse 1 : « Qu’est-ce qu’on fait ? »
Maîtresse du jeu : « Est-ce que tu demandes ça à voix haute ? »
Joueuse 1 : « euh… non. »
Maîtresse du jeu : « Sauf si tu as une façon de communiquer avec les autres sans que Le Blanc soit au courant, pas le droit de communiquer avec les autres. »

Ici, on voit une interaction entre la maîtresse du jeu et la joueuse 1. La décision de la MdJ est ancrée dans un style simulationniste : il n’y a pas réellement de règles dans le jeu de Donjons et Dragons 5e qui empêche les joueuses de discuter entres elles dans une telle situation. « Réalistiquement », cependant, les personnages n’ont pas de façon de communiquer sans mettre Le Blanc au courant. La joueuse ne pouvait pas communiquer son désaccord sauf si son personnage l’exprimait aussi à voix haute. Elle a décidé de ne pas prendre le risque.

Joueuse 2 : « Heille, il nous menace, right ? Mon personnage ne va pas se faire traiter de même. Est-ce qu’il y a une chaise de vide dans la pièce ? »
Maîtresse du jeu : « Oui. Juste à côté de toi, il y a une chaise de bois. »
Joueuse 2 : « Je la prends et je vais la casser sur la tête de Le Blanc pour le faire tomber inconscient ! »

La joueuse 2 a adopté ici une posture de directrice : elle décide que la chaise, de 1, existe à côté d’elle, que l’utiliser rendra Le Blanc inconscient et que la chaise cassera. Évidemment, la maîtresse du jeu a le mot final sur toutes ces décisions, mais nous pouvons voir comment la joueuse a « fait apparaître » des éléments dans la situation.

C'est le temps de casser la chaise.

Dans un style simulationniste, la maîtresse du jeu pourrait argumenter que d’utiliser la chaise serait difficile et qu’elle ne cassera probablement pas. La MdJ considérerait probablement la chaise serait comme une arme improvisée (Player’s Handbook, 2014 : 147-148). Elle pourrait cependant appliquer un malus à l’attaque, puisqu’elle pourrait raisonner qu’une chaise n’est pas une arme super ergonomique, contrairement à quelque chose comme une bouteille de verre, qui est aussi une arme improvisée. Ceci est une déviation des règles, quoique mineure.

Dans un style gamist, la MdJ appliquerait probablement les règles sur les armes improvisées à la lettre. Ce serait injuste de modifier les règles qui ont un impact tactique, après tout.

Dans un style narrativiste, la question se poserait : est-ce que c’est plus dramatique si tout se déroule exactement comme la joueuse 2 le souhaite ? Les règles de Donjons et Dragons stipulent qu’une attaque ne peut rendre inconscient une créature que si elle tombe à 0 point de vie. Une vulgaire chaise ne fait clairement pas assez de dégât, mais, en même temps… n’est-ce pas dramatique que Le Blanc tombe inconscient aussi rapidement ? Si la joueuse 2, enragée, attaque le représentant d’un groupe sans consulter les autres ? Comment est-ce que les joueuses réagiront ? Que vont-elles faire, maintenant? Vont-elles prendre Le Blanc otage ? Vont-elles le tuer ?

L’impact du style de jeu sur les règles employées

Évidemment, ce ne sont que des exemples imaginés pour ce blogue, mais je crois que vous voyez où je veux en venir. Selon le style de jeu d’un groupe et selon les préférences des joueuses, les règlements du jeu peuvent être perçues et utilisées différemment. Si les joueuses d’un groupe cherchent à raconter des histoires, elles vont ajouter ou ignorer des règles pour mieux raconter des histoires. Si les joueuses adorent l’aspect tactique des combats, les règles existeront pour préserver cet aspect, et, si de nouvelles règles sont ajoutées, ce sera pour améliorer cet aspect du jeu.

Honnêtement, je ne sais pas si j'aurai réellement besoin de diviser les joueuses que j'étudierai en types lors de mon étude. Comprendre les motivations des joueuses de Donjons et Dragons ne nécessitera peut-être pas nécessairement d'emprunter des modèles du genre, après tout.

En plus, j'admets être emêté, puisque les modèles que j'ai trouvé répondent aux besoins des designers, pas nécessairement à mes besoins. Ils ne se traduiront possiblement pas super bien à une recherche en communication comme la mienne.

Mais bon, comme l'expression le dit, on ne peut pas faire un mémoire sans casser quelques chaises.

Messemble que c'est ça l'expression, en tout cas.

Sources :

Bartle, R. (1996). Hearts, Clubs, Diamonds, Spades: Players Who suit MUDs. MUD.co.uk. https://mud.co.uk/richard/hcds.htm

Edwards, R. (2001). GNS and Other Matters of Role-playing Theory. The Forge. http://www.indie-rpgs.com/articles/1/

Torner, E. (2018). RPG Theorizing by Designers and Players. Dans Role-Playing Game Studies: Transmedia Foundations (p. 56). Routledge.

Wizard of the Coast. (2014). Dungeons & Dragons, 5th edition, Player’s Handbook. Wizard of the Coast.

Ceux qui me connaissent savent que je suis « un peu » passionné par les jeux de rôles sur table. Assez passionné, du moins, pour en faire mon sujet de recherche pour mon mémoire de maîtrise. Si cet article à une utilité quelconque, c’est de résumer mon sujet de recherche, qui va m'occuper pendant un an de ma vie.

Je ne suis pas intimidé du tout par l’idée, de quoi tu jases ?

Pour cet article, je souhaite expliquer « rapidement » ce que je vais (fort probablement) étudier dans mon mémoire de maîtrise : les règles de la 5e édition de Donjons et Dragons (DnD 5e).

J'utilise le féminin pour alléger le texte.

C’est quoi, un jeu de rôles sur table ?

Je maintiens l’opinion, que j’ai volé à un certain Matt Colville, que Donjons et Dragons est l’activité la plus amusante à faire avec son cerveau. Cependant, c’est une activité qui se résume difficilement, parce que c’est à la fois… euh… simple ET compliqué.

Fondamentalement un jeu de rôles sur table, c’est une hallucination collective. C’est l’activité de s’imaginer une histoire en groupe, à laquelle chaque joueuse participe. Les joueuses contrôlent un personnage. Elles décident comment leur personnage agit, pense et réagit aux situations dans l’histoire. Une des joueuses endosse le rôle de maîtresse du jeu. Celle-ci décrit l’espace, les événements de l’histoire et les réactions du monde aux actions des personnages. Ces deux rôles sont « contraints » (nous reviendrons à cette idée, promis) par les règles du jeu, qui proposent des façons de décider comment le résultat de certaines situations dramatiques devrait être décidé.

La partie « hallucination collective » arrive quand on comprend que toutes ces actions ne sont souvent qu’imaginées. La plupart des joueuses n’utilisent des figurines, des cartes et des objets que dans certaines situations (comme des combats). La plupart du temps, les situations dramatiques sont racontées à l’oral.

Un personnage saute par-dessus un ravin

***

« Ton personnage grimpe par-dessus l’escarpement et aperçoit un ravin, à quelques mètres devant. Qu’est-ce que tu fais ? »

« Je veux prendre un élan et sauter par-dessus le ravin ! »

« Parfait. Ce serait un jet d’Athlétisme, ça. Peux-tu me faire ça ? »

« 18 ! »

« Ton personnage prend son élan et se lance par-dessus le ravin creux de plusieurs dizaines de mètres. Tes pieds touchent le sol de l’autre côté sans problème. »

***

Les contraintes de créer ensemble

Écrire une histoire, ça prend une autrice. Je ne vous apprends rien ici, je l’espère. Le Seigneur des anneaux n’existerait pas sans J.R.R. Tolkien. Garfield n’existerait pas sans Jim Davis.

(Nommer ces deux auteurs un à côté de l’autre est sacrilège, je sais, mais je ne m’excuserai pas.)

Cependant, qu’arrive-t-il lorsqu’une histoire a plusieurs autrices simultanément ? C’est compliqué, mais, dans le fond, les jeux de rôles sur table en sont un exemple.

Dans l’exemple de la joueuse qui fait sauter son personnage par-dessus un ravin, on voit toutes ces autrices en jeu. Jessica Hammer parle des différents « textes » qui se disputent l’autorité dans le cadre d’une partie de jeu de rôles. Ces textes sont primaires, secondaires et tertiaires. Le jeu est le texte primaire : il codifie les règles du jeu. Le texte secondaire provient de la maîtresse du jeu, qui établit l’environnement et les défis à surmonter. La joueuse agit dans le texte tertiaire lorsqu’elle prend la décision que son personnage sauterait par-dessus le ravin (Hammer, 2007 : 70-71).

Pourtant, la joueuse a un pouvoir d’autrice très grand. Que serait-il arrivé si la joueuse avait décidé d’analyser l’environnement pour trouver une autre façon de traverser le ravin ? La maîtresse du jeu aurait eu à réagir à cette demande d’informations. Dans sa réaction, celle-ci aurait eu à prendre d’autres décisions créatives. Y a-t-il une autre façon de traverser ? Si oui, est-ce que cette méthode est suffisamment évidente au personnage pour que la joueuse n’ait pas à rouler ? Si découvrir une autre façon de traverser demande un jet, quelles règles du jeu la maîtresse devrait-elle utiliser ?

Le jeu aussi est une autrice (ou du moins, l’équipe qui a écrit le jeu est une autrice) à considérer durant une partie de jeu de rôles. Dans les règles du jeu, il est dit que ce genre de défis périlleux (sauter par-dessus le ravin) devrait être réglé par un jet de dés, puisqu’il est possible pour le personnage d’échouer.

Ces différentes autrices s’imposent mutuellement des restrictions et ont une certaine autorité sur les autres. Les règles du jeu imposent des procédures à suivre à la maîtresse du jeu, qui crée des défis basés sur ces restrictions. Ces mêmes défis établissent des restrictions pour les possibilités créatives de la joueuse. Cependant, l’inverse est aussi vrai. La joueuse peut inventer des solutions imprévues qui peuvent invalider les décisions créatives de la maîtresse du jeu. La maîtresse du jeu peut choisir de ne pas suivre toutes les règles du jeu et de déroger au contenu préparé pour s’adapter aux demandes créatives de l’autrice tertiaire (la joueuse) (Stricklin, 2017 : 34-35).

Le livre de règlements, interprété

« OK, mais, genre, tu es en comm. C’est quoi le rapport entre la communication pis ça ? »

J’y arrive, personne imaginaire, j’te jure.

Un livre de règlements, en tant que tel, c’est un produit médiatisé. C’est un livre, il y a des mots dedans. On comprend ces mots-là et on s’en sert pour déterminer comment on va jouer au jeu. J’invoque le nom d’un gars, Stuart Hall, ici.

Hall dit qu’il n’y a aucun lien entre le message que les créatrices souhaitaient créer en produisant le média et comment le message est interprété par les spectateurs. Dans un film, les images, les mots, les angles de caméra, les couleurs, etc. sont choisis par les créatrices pour tenter de communiquer un message spécifique. Ensuite, les gens comme nous interprètent le contenu du média. Pour interpréter, nous devons nous baser sur ce que nous connaissons du monde et ce que nous croyons personnellement, parce que nous n’avons pas accès à la tête des créatrices. Hall énumère trois types de réceptions d’un message :

Je parlais de Donjons et Dragons au début. J’y reviens. Les règlements des jeux de rôles sur table sont généralement propagés par l’entremise de livres de règlements. Ces jeux sont complexes, mais ne permettent pas de répondre à toutes les situations imaginables par les joueuses dans une partie. Plutôt, le jeu assume que la maîtresse du jeu doit utiliser son pouvoir d’autrice pour improviser des solutions lorsque les règles ne sont pas adéquates. Dans les livres de la nouvelle édition de Donjons et Dragons, c’est même indiqué noir sur blanc dès les premières pages (à la 5e page dans le Player’s Handbook et à la 4e page dans le Dungeon Master’s Guide).

Je porte l’hypothèse, donc, que différentes joueuses ont différentes interprétations des règles et qu’elles vont donc appliquer les règles différemment. Chaque joueuse décide quelles règles sont correctes à changer et celles qui ne devraient pas être changées. Pour reformuler : les joueuses décident parfois d'accepter le message hégémonique du livre, ou elles décident parfois de le rejeter et de forger leur propre interprétation.

Chacun sa façon de jouer

Un exemple que j’ai trouvé particulièrement intéressant sur comment la relation avec les règles change d’une personne à l’autre vient du mémoire d’Émilie Paquin sur les dynamiques de groupe dans les jeux de rôles, publié l’an passé. Elle a effectué des observations non participantes de trois groupes en jeu. Dans une section, elle résume leur relation avec les règles.

Deux personnages fantastiques discutent à la table

Dans le premier groupe, les joueuses se sont révélées conformistes avec les règles : les joueuses se restreignaient aux possibilités encouragées par les règles du jeu. Dans un autre groupe, les joueuses testaient les limites de leur jeu et questionnaient directement la maîtresse du jeu sur si certaines règles pouvaient être changées. La maîtresse du jeu dans ce groupe décidait parfois d’ignorer des résultats de dés, afin de faciliter la progression de l’histoire. Dans un troisième groupe, les joueuses, moins habituées aux jeux de rôles, se référaient aux procédures du système et aux connaissances de la maîtresse du jeu. La maîtresse du jeu, dans ce groupe, avait inventé des règlements pour récompenser « […] les joueurs qui faisaient des actions innovantes qui étaient en cohérence avec leur personnage » (Paquin, 2020 : 133). La maîtresse du jeu adaptait aussi les règlements aux actions que les joueuses souhaitaient effectuer (Paquin, 2020 : 131-134).

Son sujet de recherche n’est qu’indirectement lié avec le mien, mais permet quand même d’entrevoir que la relation avec les règles change radicalement d’un groupe à l’autre. Certaines joueuses respectent les limites imposées par les règles, au point de baser leurs décisions sur ce que le jeu « permet » de faire, alors que d’autres s’attendent à ce que les règles s’adaptent à leurs choix en jeu. Dans certains cas, les joueuses ont inventé des règles pour encourager certains comportements.

Ça ne prend que quelques discussions avec des joueuses de DnD pour voir à quel point cette relation varie de groupe en groupe. Il y a des groupes où les races (elfes, nains, etc.) sont remplacées par d’autres espèces fantastiques. Dans d’autres groupes, il y a des classes bâties sur mesure pour les joueuses et des monstres créés de toutes pièces. Certains créent des règles pour des systèmes inexistants, comme des règles pour permettre aux joueuses de fabriquer des potions, pour faciliter l’exploration de monde ou pour négocier le prix d’un item avec un marchand. Sur des communautés en ligne, des milliers de joueuses se partagent des modifications de règlements, comme sur /r/DnDBehindTheScreen (408 k abonnés), /r/DnDHomebrew (119 k abonnés) et /r/UnearthedArcana (179 k abonnés), pour ne nommer que des communautés sur Reddit.

Personne ne joue au même jeu

Enfin, nous arrivons à mon sujet de recherche. Pour de vrai, cette fois. Je préfère éviter de formuler une question de recherche complète, question d’éviter de m’embarrasser jusqu’à ce que celle-ci soit décidée pour vrai, mais allons-y.

Ce qui me rend curieux dans tout ça, c’est de voir comment l’interprétation des règles varie de joueuse en joueuse. Pourquoi est-ce que certaines joueuses, mais pas toutes, changent les règlements ? Quels règlements sont changés ? Pourquoi changer ces règlements, mais pas d’autres ?

L’objectif de mon projet de recherche sera d’établir une fondation théorique plus approfondie et d’aller interviewer des joueuses de DnD 5e. Je veux comprendre comment elles interprètent les règlements, et plus encore, comment celles-ci ont choisi de créer leurs propres changements aux règlements. Dans le futur, je souhaite utiliser 4 cafés comme mon espace pour partager mon progrès et mes découvertes sur le sujet. Ça risque de changer fréquemment!

Si c’est un sujet qui vous fascine, contactez-moi ! Ça me ferait plaisir de voir vos opinions et de discuter !

Quatres personnes jouent à Donjons et Dragons. Dés, feuilles de personnages sur la table.

Sources

Hall, S. (1973). Encoding and Decoding in the television discourse, 22.

Hammer, J. (2007). Agency and authority in role-playing texts. Dans M. Knobel et C. Lankshear (sous la direction de.), A new literacies sampler (vol. 29, p. 67‑94). Peter Lang Publishing.

Paquin, É. (2020, avril). Dynamiques des groupes restreints dans les jeux de rôle sur table [mémoire accepté]. Université du Québec à Montréal.

Stricklin, C. (2017, mai). Off the Rails: Convergence through Tabletop Role-Playing Modules [University of Wyoming].

Wizard of the Coast. (2014a). Dungeons & Dragons, 5th edition, Dungeon Master’s Guide. Wizard of the Coast.

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