Cyberpunk 2077 est un jeu de rôles d’action publié et édité par la multinationale polonaise CD Projekt Red. Sa sortie a fait couler… beaucoup d’encre, mais ce n’est pas le sujet de cet article.

Dans le jeu, le joueur prend le rôle de V, un (ou une) mercenaire qui se voit placé en conflit avec la plus puissante mégacorporation du monde, Arasaka. Inspiré du jeu de rôles sur table Cyberpunk 2020, publié dans les années 1990, ce jeu est un hommage aux nombreuses œuvres du genre cyberpunk.

Cet article est la première partie d’un dossier multiarticle sur différents aspects de la rhétorique de l’espace de jeu de Cyberpunk 2077.

Un hommage en néon 

Cyberpunk 2077, comme son nom l’indique si bien, est un jeu du genre cyberpunk. Popularisé dans les années 1980, le cyberpunk est un sous-genre de la science-fiction qui se présente comme critique de la mondialisation du capitalisme post-industriel et du développement exponentiel des technologies de l’information (Krevel, 2018 : 9).

Une promenade dans l’espace de jeu de Night City révèle ses inspirations : des néons en kanji japonais illuminent les tours à bureau, les images publicitaires sont omniprésentes et les espaces eux-mêmes sont suffocants.

Le jeu utilise plusieurs tactiques pour évoquer les critiques typiques de son genre, mais la plus visible (et envahissante) est sans aucun doute son utilisation d’images publicitaires dans l’espace de jeu. Quand la joueuse se promène dans la ville de Night City, elle est bombardée de messages publicitaires diégétiques (diégétiques signifie « réels dans l’univers fictif du jeu »).

C’est un peu difficile à décrire dans un article à quel point il y en a partout. La signification de l’omniprésence des publicités sera le sujet d’un autre article. Pour l’instant, concentrons-nous sur ce que les publicités du jeu nous disent.

Notre relation avec les images publicitaires

Un peu de théorie.

Umberto Eco parle du « lecteur-modèle ». C’est un concept pour nous aider à décortiquer comment nous comprenons une œuvre ou un média.

Un livre, fondamentalement, c’est un tas d’arbres avec de l’encre. Un livre ne fait aucun sens tant et aussi longtemps qu’une lectrice ne prend pas le temps de lire les mots et les interpréter de la façon que le roman demande. Quand nous lisons un roman, nous acceptons que chaque page soit une continuation de la page d’avant et nous lisons le texte dans l’ordre. Si nous n’acceptons pas cela, nous ne pouvons pas lire le livre. C’est pour ça qu’il faut « collaborer » avec un média. Le concept du lecteur-modèle, c’est l’idée que nous pouvons assumer comment « un bon lecteur » collaborerait avec le média. Ceci nous permet d’interpréter ce que le média « devrait communiquer » au « lecteur-modèle » (Guillemette et Cossette, 2006.)

Collaborons avec Cyberpunk 2077, dans ce cas.

Le fait que les images publicitaires apparaissent dans un jeu vidéo modifie la façon que la joueuse interprète leur message. Dans Cyberpunk 2077, le contexte vidéoludique nous permet de comprendre que nous les publicités sont des images :

Comme les publicités que nous connaissons, les publicités dans Cyberpunk 2077 ont des slogans, vendent des produits avec des noms, portent parfois des avertissements légaux et sont structurées comme des publicités. Les images publicitaires dans le jeu sont des publicités, et ce, même si nous ne connaissons pas les produits qu’elles vendent. L’idée du dictionnaire de Barthes est pertinente ici : puisque les images emploient les signes typiques de cette manifestation médiatique, la joueuse a le contexte nécessaire pour accepter ce saut de signification (Barthes, 1965 : 97-98).

Les publicités dans Cyberpunk 2077 sont des publicités, mais ne sont pas nos publicités. À cause de notre regard extérieur au monde de Cyberpunk 2077, nous interprétons les images publicitaires du jeu un peu à la manière d’une touriste : « Qu’est-ce que ces images m’apprennent sur cet endroit que je visite ? »

La rhétorique visuelle des images publicitaires

Les publicités utilisent la rhétorique visuelle : c’est-à-dire qu’elles utilisent une variété de signes et de messages textuels afin de nous convaincre (Barthes, 1964 : 41-42). Lorsqu’une publicité de parfum montre deux personnes à moitié dénudées sur le point de s’embrasser, l’objectif est que nous, consommatrices, comprenions que « porter ce parfum nous permet de faire des choses explicites avec des gens sexy. » C'est de la rhétorique visuelle: en associant l'image des personnes sexy au parfum, nous sommes portés à nous procurer ledit parfum.

Je vous évite le bonheur de vous expliquer comment Barthes a analysé la rhétorique d’une vieille publicité de pâtes françaises-mais-italiennes. Plutôt, je vous propose de me suivre alors que je décortique la rhétorique visuelle de certaines publicités dans le jeu, afin d’illustrer leurs thèmes. Je commencerai par présenter des exemples de publicités et, par la suite, examiner ce que les thèmes des publicités tentent de communiquer.

L’hypersexualisation

Un des thèmes les plus importants, sinon LE plus important, c’est celui du sexe. Dans l’univers de Cyberpunk 2077, comme dans le nôtre, le sexe vend.

Prenons cet exemple :

Nous comprenons instantanément la rhétorique de premier degré de cette image. La boisson alcoolisée Abydos est représentée en plein centre de l'image, encadrée par les jambes d'un homme et deux visages féminins, accoutrés avec des stéréotypes de l'Égypte ancienne. La bouteille bleue entre les jambes fait office de pénis en érection, que les femmes regardent avec admiration. Le produit est représenté comme étant capable d’attirer les femmes, comme un signe de masculinité, et ce, peu importe l’apparence du buveur.

L’essence de la promesse, en elle-même, n’est pas anormale. En fait, il serait presque impossible pour moi de trouver une publicité de bières qui ne promet pas aux hommes que la bière leur permet d’être en compagnie de super modèles. Plutôt, c’est l’intensité des signes, c’est l’aspect grivois, de la publicité Abydos qui nous fait réagir et qui nous en apprend sur cet univers.

Une Publicité pour le produit "Mr.Stud"

Toutes les publicités sont un peu comme ça :

« Mr. Stud » est un produit sexuel, un cyberimplant spécialisé, qui est vendu sur la place publique.

D’autres produits sexuels sont vendus sur la place publique, notamment le « Sasha Devon experience », que nous assumons être un braindance pornographique (les braindances, dans l’univers de Cyberpunk 2077, sont des enregistrements sensoriels qui permettent de vivre toutes les sensations et les émotions de l’actrice).

L’exemple de « Champaradise » est aussi flagrant par son usage d’un signe grivois à des fins promotionnelles.

Le sexe vend, dans l’univers de Cyberpunk 2077. En contraste avec les images publicitaires à laquelle nous sommes normalement exposés, par contre, ces images sont grivoises, dégradantes et très directes. La joueuse, lorsqu’elle est confrontée à ces images publicitaires, en conclut que le monde du jeu est hypersexualisé.

Une publicité pour le braindance 'Sasha Devon Experience"
Une publicité pour une bouteille de
Champagne "Champaradise"

Les images choquantes

L’utilisation du choc dans la publicité n’a rien de nouveau. Les publicités utilisent fréquemment des images frappantes parce que nos réactions rendent notre interaction avec la marque plus mémorable. Ce concept est aussi utilisé dans les images publicitaires de Cyberpunk 2077. Cette imagerie choquante est générée, justement, par l’usage grivois de signifiants sexuels, comme nous l'avons vu, mais aussi en brisant d’autres tabous.

Dans un exemple pour la marque « Chromanticore », on trouve un personnage d’apparence féminine, doté d’un pénis disproportionné en érection visible à travers son habit serré, qui sirote d’une canette avec une longue paille. Le slogan du produit « MIX IT UP », affiché à gauche est accompagné du texte publicitaire descriptif « 16 flavors you’d love to mix ».

La publicité du produit Chromanticore.

Cette publicité brise plusieurs tabous, tout d’abord, en codant le signe d’une femme trans, puis en l’objectifiant pour vendre de la boisson gazeuse. Le message iconique codé, ici est d’associer le changement de genre et d’organes sexuels à la saveur personnalisable de la marque. Ici, c’est l’objectification de ce que nous considérons comme une minorité sexuelle vulnérable comme étant choquant.

Le choc causé par cette image a aussi eu lieu dans la vraie vie. La publicité a été vivement critiquée par plusieurs pour son utilisation dégradante d’un corps trans.

Une publicité pour "Body Implants"

Un autre exemple d’imagerie choquante prend la forme du gore ou de l’horreur corporelle. Dans le premier exemple, on voit en grands détails une personne s’arracher la peau du visage parce qu’elle « hait sa viande ». Dans l’exemple pour le produit alimentaire, on constate « une explosion de saveur » qui explose la tête du modèle, alors que dans la dernière, un bébé avec des mutations génétiques est représenté pour vendre des assurances.

L’idée n’est pas nécessairement que ces choses choqueront toutes les joueuses, mais plutôt que ces représentations sont discordantes avec les normes et les codes de la publicité auxquels nous sommes habituées. Ceci génère une thématique des marques qui exploitent de l’imagerie irrespectueuse ou choquante pour attirer notre attention.

Une publicité pour "All World Insurance"
Une publicité pour un produit alimentaire.

Le retrait des euphémismes

Certaines des images publicitaires diégétiques représentées dans le jeu retirent aux publicités de certains produits les euphémismes auxquels la joueuse est habituée. D’une certaine façon, les publicités dans Cyberpunk 2077 parodient les publicités en montrant « la vraie raison » d’acheter le produit.

Une publicité pour "Budget Arms."

Dans cette publicité de BudgetArms, on voit une femme, en tenue de nuit, brandir une arme. Avec l'ombre armée d'un couteau, nous comprenons qu'elle se défend d’un intrus. La publicité est accompagnée du slogan « 2nd Amendment is not only for the rich ». La publicité argumente que la défense de son chez-soi est un droit accessible à toutes et, plus encore, fait cet argument directement. Dans les pays où les armes à feu sont accessibles, comme aux États-Unis, les contenus publicitaires pour la vente d’armes à feu présentent d’autres types d’arguments rhétoriques, comme l’utilisation des armes pour le plaisir, la chasse et en associant le produit avec les forces armées ou la police (Jordan et coll., 2020 : 9-10). Utiliser un argument aussi direct brise les standards habituels et montre, en quelque sorte, la « vraie raison » qui motive l’achat.

Il y a d’autres exemples. Dans une autre publicité pour un produit médical, on aperçoit un homme sur le point de se suicider par balle à cause du stress lié à son travail. Plutôt que de poser la question, « vous sentez-vous stressé au travail ? », comme on s’attendrait, la question de cette image est « es-tu sur le bord de te tirer une balle ? »

Une publicités pour des médicaments "S-Serts 3000"

Je soulignerais d’autres exemples similaires comme une publicité de la marque Jinguji qui « dénonce » la vanité des riches ou encore l’appel à la masculinité très directe avec une publicité de parfum qui « sent les vrais hommes. »

Une publicité pour la marque de vêtements "Jinguji"

Les images publicitaires de Cyberpunk 2077 commentent les publicités contemporaines en retirant les métaphores et les euphémismes auxquels nous sommes habituées, ce qui permet aux joueuses de voir une interprétation de leur « réelle » promesse.

La publicité excessive de Cyberpunk 2077

Les images publicitaires dans Cyberpunk 2077 sont excessives et extrêmes. La publicité d’Abydos nous semble grivoise, la publicité de Chromanticore est déplacée, la publicité de médicaments est trop directe. Cette interprétation d’être « trop » est aussi causée par l’usage de codes distinctement différents des publicités contemporaines. Nous sommes familiers avec les arguments rhétoriques utilisés dans ces publicités, mais les symboles qu’elles choisissent d’utiliser nous choquent et nous poussent à les interpréter comme étant « trop. »

Les réceptrices, soit les joueuses qui sont exposées à ces publicités, sont invitées à venir à la conclusion que l’univers diégétique de Cyberpunk 2077 est hypersexualisé, n’a plus de place pour les euphémismes et est excessivement choquant. Ce sont des publicités extrêmes et dénudées de toute subtilité qui occupent l’espace de jeu de Cyberpunk 2077.

Ces choix encouragent les joueuses à recevoir l’idée que l’univers de Cyberpunk 2077 existe dans un système capitaliste dont les excès sont palpables. La publicité et ses trucs pour capturer notre attention, pour nous vendre sa marchandise et pour générer chez nous des faux besoins se voient mis à découvert et critiqués.

Dans l’univers de Cyberpunk 2077, le sexe vend. Dans le nôtre aussi. La seule distinction, alors, est que nous sommes gênés de l’admettre et de le montrer. Dans l’univers de Cyberpunk 2077, les publicités cherchent à nous choquer. Dans le nôtre aussi. La seule distinction est donc l'usage d'autres façons de choquer, comme l'horreur corporelle et la fétishisation inappropriée. Dans l’univers de Cyberpunk 2077, les publicités sont employées pour résoudre des problèmes pourtant tabous. Dans le nôtre aussi. La seule différence, c'est que les publicités de Cyberpunk 2077 ne mâchent pas leur mots et vont droit au but.

Ces publicités parodiques ne représentent pas nécessairement une critique profonde du capitalisme. Nous pourrions même dire qu’elles ne critiquent pas assez : où sont les publicités pour les services de prêts d’urgence, les services de location-achat, les prêteurs-sur-gages, ou les casinos, par exemple ? Ce genre de publicités représenteraient des services et des industries qui profitent de la situation financière précaire des habitantes de Night City, après tout. Cyberpunk 2077 arrête sa critique au consumérisme excessif et crasse des produits de tous les jours, et ne produit pas (ou du moins, peu) de d'images publicitaires qui critiquent les systèmes et les institutions qui profitent du malheur des habitantes d’un univers cyberpunk.

Cela étant dit, nous pouvons voir un effort important de parodier, par l’entremise de messages publicitaires dans un espace de jeu, les arguments typiques de la publicité contemporaine. Par l'amplification des signes et la rhétorique visuelle « excessive », les publicités de Cyberpunk 2077 mettent en scène des versions exagérées de la publicité contemporaine

Dans le prochain article de cette série, nous abordons les arguments rhétoriques générés par la présence de ces publicités dans Cyberpunk 2077.

BIBLIOGRAPHIE

Barthes, R. (1964). Rhétorique de l’image. Communications, 4(1), 40‑51. https://doi.org/10.3406/comm.1964.1027

Eco, U. (1985). Lector in fabula. Dans Lector in fabula (p. 84‑108). Éditions du Seuil.

Gerding Speno, A. et Aubrey, J. S. (2018). Sexualization, Youthification, and Adultification: A Content Analysis of Images of Girls and Women in Popular Magazines. Journalism & Mass Communication Quarterly, 95(3), 625‑646. https://doi.org/10.1177/1077699017728918

Gramazio, S., Cadinu, M., Guizzo, F. et Carnaghi, A. (2020). Does Sex Really Sell? Paradoxical Effects of Sexualization in Advertising on Product Attractiveness and Purchase Intentions. Sex Roles. https://doi.org/10.1007/s11199-020-01190-6

Guillemette, L. et Cossette, J. (2006). Umberto Eco : La coopération textuelle. http://www.signosemio.com/eco/cooperation-textuelle.asp

Jordan, L., Kalin, J. et Dabrowski, C. (2020). Characteristics of Gun Advertisements on Social Media: Systematic Search and Content Analysis of Twitter and YouTube Posts. Journal of Medical Internet Research, 22(3), e15736. https://doi.org/10.2196/15736

Krevel, M. (2018). On the Apocalypse that No One Noticed. ELOPE ; English Language Overseas Perspectives and Enquiries, 15(1), 9‑16.

Tu aperçois un camp. Il y a deux tours, chacune avec un arbalétrier. L’un d’eux utilise des flèches de glace. Tu te transformes en Amber, puis tu tires une flèche enflammée sur le hillichurl. Il tombe de la tour maintenant en train de brûler. Le camp, maintenant alerté, se tourne vers moi. Tu as un autre atout, cependant : Lumine. Tu utilises son habileté : une tornade qui entraîne ta victime enflammée vers le reste du camp. La tornade s’enflamme. Le camp des hillicurls au complet est emporté dans l’infernale tempête et tous meurent instantanément. Tu récoltes les items sur leurs corps : des items basiques, des Mora, de la nourriture.

On se croirait dans Breath of the Wild, le jeu de Nintendo de 2017 qui a charmé les joueurs pour son dynamisme. Pourtant, c’est un gacha game gratuit, disponible sur ton téléphone.

Un jeu qui, en te tordant le bras de 15 façons différentes, te demande poliment de payer pour avoir du plaisir.

Un des personnages gratuit, Amber, peut brûler ses ennemis avec ses attaques à distance.

Les gacha, c’est quoi ça?

Honnêtement? C’est compliqué.

Pas dans le sens que le concept est compliqué, comprenez-moi. Le nom vient de gachapon, une sorte de machine distributrice japonaise avec des collections de jouets. Collectionner tous les jouets fait partie du plaisir. Par contre, il est impossible de savoir lequel tu vas obtenir quand tu mets de l'argent dans la machine: puisque le jouet que tu reçois est aléatoire. Les jeux gacha, pour leur part, sont des jeux, typiquement sur appareils mobiles, dans lesquels les joueurs sont amenés à amasser une collection de personnages avec diverses habiletés, pour pouvoir surmonter les défis lancés par le jeu.

Ah, ben là! C’pas tant compliqué.

Vrai, mais… les gacha, ce sont aussi des jeux où tu dois gérer des dizaines de ressources différentes, où tu dois améliorer tes personnages pour ne pas être bloqué, où tu dois te procurer des nouveaux personnages, où tu dois obtenir du meilleur équipement, où tu dois récolter des ressources pour améliorer ton équipement, où tu dois améliorer tes personnages, où tu dois combiner des personnages ensemble pour créer des synergies, où tu dois, au fond, toujours maximiser ton efficacité.

Mais ce sont aussi des jeux où tu ne peux pas maximiser ton efficacité. La difficulté augmente à un rythme trop rapide et il est facile de s'embourber dans la progression du jeu.

Les gachas proposent deux solutions : être très patient et maximiser tes ressources pour lentement mais sûrement améliorer tes personnages… ou payer.

En fait, la beauté des gacha, c’est qu’il faut des dizaines d’heures de jeux pour comprendre les nombreux systèmes du jeu et, au moment où ceux-ci sont démystifiés, ben, le jeu… arrête. Un mur est apparu alors que tu ne regardais pas et tu réalises que de continuer de progresser dans le jeu demandera de grands efforts.

Les gacha games sont conçus pour être compliqués.

Un jeu mobile qui se joue comme un RPG traditionnel

La ville de Mondstadt.

La partie fascinante de Genshin : Impact, c’est que c’est un jeu gacha qui n’en a pas l’air d’un du tout. La direction artistique du jeu est époustouflante. Les environnements du jeu sont beaux et colorés. Le monde est développé et complètement explorable. Tu peux retrouver des dizaines de personnages non-joueurs avec des choses intéressantes à dire sont partout. Un archéologue ici, un enfant rêveur là, un citoyen inquiet ici.

Le monde est ouvert aux joueurs: tu peux choisir une direction et partir par-là. Il y a des mécaniques de déplacement, comme un mini deltaplane et des jauges d'endurance pour grimper, comme dans Breath of the Wild.

Ce qui est intéressant avec Genshin : Impact, c’est qu’il délaisse en partie les fondements des RPG de style gacha. Souvent, ces jeux sont conceptualisés de façon à abstraire les capacités des personnages, afin de faire des statistiques numériques l'aspect le plus important des personnages (Bycer, 2017). Lorsque tu joues à un jeu, comme Raid : Shadow Legends, Azur Lane ou AFK Arena, si ton personnage n’a pas des statistiques suffisamment hautes, tu ne peux tout simplement pas continuer à progresser. Genshin : Impact fonctionne similairement, dans le sens que les statistiques des personnages sont cruciales, mais propose une jouabilité plus permissive. Plutôt que de devenir impossible, au fil du temps Genshin : Impact devient presque impossible. C’est mieux, techniquement!

Pendant que tu joues, tu es bombardé de récompenses. Chaque mission te donne six ressources différentes. Au début, leurs noms ne veulent rien dire, mais à force de les utiliser, tu apprends. Tu reçois des personnages à utiliser, un peu comme dans des jeux de rôles à l’ancienne : tu bâtis une escouade de personnages avec des habiletés complémentaires.

Des récompenses d'une quête dans le mode histoire du jeu.

Après plusieurs heures de jeu, cependant, ces mêmes ressources commencent à manquer. Il faut les dépenser pour améliorer ses personnages et ses équipements. Les items de crafting sont fastidieux à obtenir, et les missions qui offrent beaucoup de récompenses disparaissent, remplacées par des missions quotidiennes et hebdomadaires. On manque d’argent, et on tombe à court de façon d’augmenter le niveau des personnages.

Pour maximiser tes chances d’obtenir des améliorations sans payer, le jeu t’encourage à te connecter chaque jour pour effectuer quelques missions quotidiennes. Ceci te permet de lentement accumuler des ressources pour améliorer tes personnages, en obtenir des nouveaux et améliorer leur équipement. On apprend aussi que des trente personnages du jeu, seulement quatre sont disponibles gratuitement. Les synergies entre les personnages gratuits sont limitées et certains donjons sont presque impossibles à surmonter sans avoir certains types de personnages.

Il y a une autre façon de régler ce problème : les wish. Les wish, qu'on achète avec une ressource qui s'appelle les primogems (ou les Genesis Crystals, nous y reviendront), peuvent être utilisés pour gagner des nouveaux personnages ou de l’équipement plus puissant. On tente sa chance.

Les jeux gratuits sont parmi les plus grands utilisateurs du design désagréable. « Design désagréable », ici, ne signifie pas « mauvais design », mais plutôt, un choix de design qui rend l’usage d’un objet désagréable par choix. C'est un concept qui vient du monde de l'architecture. Les bancs anti-sans-abris et l’architecture qui empêche de faire du skateboard en sont des exemples fragrants.

Un exemple utile ici : as-tu déjà remarqué qu’il n’y a pas assez de sièges à l’aéroport pour tout le monde ? Par contre, les restaurants à proximité ont des sièges, eux. Il ne suffit que d’aller commander dans le restaurant pour pouvoir s’y asseoir. Si tu dépenses, tu peux t’éviter l’inconfort d’attendre ton vol debout.

Genshin : Impact, utilise de ce type de design en rendant inconfortable et insatisfaisante l’expérience de jeu après avoir investi beaucoup de ton temps. Quand tu termines le mode histoire, les tâches deviennent répétitives, difficiles et monotones. Les récompenses deviennent inintéressantes, rationnées et longues à obtenir. Après un certain temps, tu es mené à conclure que cet inconfort pourrait être réglé en allant faire un petit tour sur la machine à sous.

La machine à sous

Une des offres du jeu, sur laquelle le joueur peut dépenser des wish afin d'obtenir des meilleurs personnages.

C’est là le truc des gacha. Après un certain point, on a besoin de nouveaux personnages et d’améliorations et on le fait avec des jeux de chance. Il y a une solution, aller faire des wish. On peut aller wish en dépensant des primogems, qui sont la ressource gratuite que le jeu utilise pour permettre au joueur d’obtenir des personnages de meilleure qualité et des récompenses utiles.

Les nombreux personnages du jeu existent en cinq niveaux de qualité, allant de 1 étoile à 5 étoiles. Les chances que le joueur reçoive un personnage 5 étoiles sont de 0.6%. Il y a des systèmes en place pour augmenter les chances d'obtenir un personnage rare si le joueur est malchanceux. Il est cependant possible d’utiliser 90 wish avant d'obtenir un personnage 5 étoiles.

Cet article de Gamespot évalue que le coût minimum pour aller wish est de 2.94 USD. Donc, maximum 90 fois pour obtenir un personnage ou un équipement 5 étoiles, ça fait 264,60 USD pour ceux qui suivent à la maison. Aussi, il y a toujours plus qu’un item 5 étoiles par offre sur laquelle dépenser des wish. J’espère que tu sera chanceux et que tu recevras le bon personnage 5 étoiles (Kemps, 2020).

Aussi, j’ai bien choisi mes mots : le coût minimum d’un wish est de 2.94 USD. Tu ne peux pas acheter des wish directement. Tu peux acheter des Genesis Crystals qui peuvent être convertis en wish. Le prix des wish varie dépendamment du nombre de Genesis Crystals achetés et de quand ils ont été achetés. La valeur des monnaies imaginaires du jeu est obfusquée volontairement : il est impossible de réellement mettre un prix sur ces monnaies, puisque le prix varie d’un achat à l’autre. Ceci ne considère pas qu'il est aussi possible, techniquement, de lentement accumuler des primogems, une ressource non-payante, pour acheter des wish. Donc, un wish peut aussi techniquement être gratuit, si on s'investit beaucoup d'heures dans le jeu, pendant des semaines.

Tu ne sais pas vraiment combien tu dépenses à chaque fois que tu roules le dé pour obtenir des nouveaux personnages. Fondamentalement, le processus pour obtenir les personnages 5 étoiles est l’équivalent de jouer aux machines à sous. Money in : rewards out, certes, mais la qualité de la récompense est toujours incertaine. La seule façon de découvrir, c'est d'aller dépenser des wish.

Le jeu titille, te laisse te convaincre que la prochaine fois, ce sera la bonne pour finalement avoir le Venti ou la Mona que tu as besoin pour améliorer ton escouade.

Ce qui est intéressant avec des exemples comme Genshin : Impact, c’est que quand on y joue, on se croirait dans un jeu AAA payant. Pourtant, son gameplay réactif, divertissant et complexe, ne sert ici que de contexte pour mettre de l’avant une économie virtuelle qui, expertement, mène le joueur à dépenser sur une machine à sous. La comparaison est apte, selon une étude britannique de la littérature académique. 12 des 13 études sur le sujet de l'achat problématique dans les jeux avec des Loot Boxes ont établi une corrélation entre l’utilisation accrue des récompenses aléatoires et les symptômes de l’utilisation problématique des jeux de chance (Close et Lloyd, 2021).

Cet article existe, en grande partie, parce que j’étais curieux de découvrir comment les jeux gratuits modernes multiplient les points de pression qui mènent le joueur à acheter. Il est fascinant, donc, de voir comment, dans l’exemple de Genshin : Impact, la complexité du jeu est à la fois ce qui le rend intéressant et ce qui le rends convainquant. Apprendre toutes les mécaniques pour améliorer ses personnages et trouver les endroits pour récolter les bons items de crafting est un défi ludique en lui-même. Il y a un aspect perfectionniste et presque compétitif à tout ça. Le jeu utilise la complexité de ces mêmes mécaniques pour convaincre d’acheter.

« Si seulement tu n’avais pas à aller chasser les mêmes monstres encore. Si seulement tu avais assez de morceaux de cristal et de fer pour ton nouvel arc. Si seulement tu avais un meilleur personnage avec des habiletés de feu pour réussir ce donjon plus facilement. Si seulement tu allais souhaiter pour que tous ces problèmes disparaissent. »


Sources:

Bycer, J. (2017, 28 septembre). The Addictive Pulls of Gacha Design. Gamasutra. https://www.gamasutra.com/blogs/JoshBycer/ 20170928/306639/ The_Addictive_Pulls_of_Gacha_Design.php

Close, J. et Lloyd, J. (2021). Lifting the Lid on Loot Boxes: Chance-Based Purchases in Video Games and the Convergence of Gaming and Gambling. GambleAware. https://www.begambleaware.org/ sites/default/files/ 2021-03/Gaming_and_Gambling_Report_Final.pdf

Kemps, H. (2020, 16 octobre). Genshin Impact Microtransactions: What Are Wishes And How Does Gacha Work. GameSpot. https://www.gamespot.com/articles/ genshin-impact-microtransactions-what-are-wishes-and-how-does-gacha-work/ 1100-6483424/

Teo, M. (2018, 9 avril). Unpleasant Design: The Silent Rise of the Hostile City. Azure Magazine. https://www.azuremagazine.com/article/ unpleasant-design-hostile-architecture/

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