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Maîtresse du jeu : | « Monsieur Le Blanc, le représentant de l’organisation criminelle des Hôteliers, vous donne un ultimatum : "Vous avez perturbé nos opérations à Valmois avec vos dernières… actions. Nous ne croyons pas aux “malentendus,” surtout ceux qui mènent à la mort de plusieurs de nos associés. Nous sommes, cependant, généreux. L’Hôtelière vous offre une chance : quittez Valmois avant le lever du soleil de demain, et vous aurez la chance de revoir vos familles." » |
Joueuse 2 : | « Qu’est-ce qu’on fait ? » |
Maîtresse du jeu : | « Est-ce que tu demandes ça à voix haute ? » |
Joueuse 1 : | « euh… non. » |
Maîtresse du jeu : | « Sauf si tu as une façon de communiquer avec les autres sans que Le Blanc soit au courant, pas le droit de communiquer avec les autres. » |
(Un silence, les joueuses pensent.) | |
Joueuse 2 : | « Heille, il nous menace, right ? Mon personnage ne va pas se faire traiter de même. Est-ce qu’il y a une chaise de vide dans la pièce ? » |
Maîtresse du jeu : | « Oui. Juste à côté de toi, il y a une chaise de bois. » |
Joueuse 2 : | « Je la prends et je la casse sur la tête de Le Blanc pour le faire tomber inconscient ! » |
Joueuse 1 : | « Attends – » |
Maîtresse du jeu : | « Tu es sûre, joueuse 2 ? » |
Joueuse 2 : | « Définitivement. » |
Maîtresse du jeu : | « Parfait, dans ce cas-là, pourrais-tu me faire un jet de… » |
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Il y a une infinité de façons de terminer cette situation dans Donjons et Dragons. Question alors: comment est-ce que différents types de joueuses casseraient la chaise ?
Dans le fond, j'ai dans l'idée que toutes les joueuses de Donjons et Dragons aiment des choses différentes dans le jeu. Un groupe qui aime le combat va utiliser les règles d'une certaine façon, un groupe qui aime jouer des rôles utiliseront les règles d'une autre façon. Dans les dernières semaines (entre mes moments de procrastination), j'ai lu sur comment les gens ont étudié les joueuses de jeux de rôles dans le passé, pour voir s'il existe des modèles que je pourrai emprunter pour mon mémoire.
Et pour parler de ça, je me suis dit que je pourrais casser des chaises.
S’il y a quelque chose que les théoriciens des jeux de rôles adorent faire, c’est créer des catégories. Dans son chapitre du livre « Role-Playing Game Studies », Evan Torner agglomère l’histoire de la théorisation sur les jeux de rôles et parlent entre autres de comment les gens ont divisé les joueuses en types.
La typologie la plus connue des jeux de rôles est sans aucun doute celle des types de joueuses de Bartle. Richard Bartle avait créé ce modèle théorique pour étudier les différents types de joueuses dans les Multi-User Dungeons, des jeux vidéo maintenant obsolètes qui prenaient la forme de… chatrooms glorifiées, dans le fond. C’est un modèle théorique qui s’applique encore très bien à tous les jeux multijoueurs avec un monde virtuel, comme les MMORPG (World of Warcraft, par exemple).
La grille est découpée selon deux axes. Sur l'axe horizontal, Bartle divise deux extrêmes: une joueuse qui préfère faire des agir avec les joueuses ou si elle préfère agir dans le monde. Sur le deuxième axe, on divise les joueuses qui préfèrent interagir avec ou agir sur les autres joueuses ou sur le monde.
Celles qui aiment agir sur les joueuses sont des « killers » ;
Celles qui aiment agir sur le monde sont des « achievers » ;
Celles qui aiment interagir avec les joueuses sont des « socializers » ;
Celles qui aiment interagir avec le monde sont des « explorers ».
Ce modèle est omniprésent en études du jeu. Peut-être même qu'on l'utilise trop, selon Bartle. La théorie est intéressante et me sera probablement utile, mais j’ai de la difficulté à me baser sur un modèle bâti pour des mondes virtuels.
Oui, on pourrait dire que la relation des joueuses avec Donjons et Dragons est comme la relation des joueuses avec un monde virtuel... j'imagine. Cependant, j’ai tendance à me demander s'il y a des modèles pour les jeux de rôles ?
Cependant, on peut s'imaginer qu'un joueur achiever aime utiliser les règles pour casser la chaise sur la tête du méchant parce que cela lui donne du pouvoir sur le monde, qu'un joueur killer casserait la chaise pour faire réagir les autres et ainsi de suite. Ça peut être intéressant d'utiliser ce modèle pour comprendre ce qui motive les joueuses autour de la table.
Plusieurs typologies (le nom fancy pour des modèles qui divisent des choses en types) ont été construites spécifiquement pour catégoriser les joueuses de jeux de rôles sur tables. La plupart sont bâties à partir d’observations et visent spécifiquement les designers de jeux de rôles.
Evan Torner, sur le sujet de la théorisation sur les jeux de rôles, mentionne la typologie d’Aaron Allston, bâtie pour le jeu Champions en 1988. C'était la première fois que quelqu'un publiait une catégorisation des joueuses « officielle ». Allston avait comme objectif de diviser les joueuses en types, pour donner des conseils aux maîtresses du jeu (Torner, 2018, 29).
Ensuite, Robin D. Laws a produit une des premières typologies sérieuses dans son livre, Laws of Good Game Mastering (2001). Robin Laws a divisé les joueuses en Power Gamers (qui souhaitent gagner et améliorer leurs personnages), les butt kickers (qui aiment se battre dans le jeu), les tacticians (qui recherchent des défis stratégiques), les specialists (qui adorent leur personnage particulier), les method actors (qui aiment s’exprimer à travers leur personnage), les storytellers (qui veulent co-créer une histoire) et les casual gamers (qui jouent pour socialiser avec des amis) (Torner, 2018, 29-30). Laws avait basé sa catégorisation sur des observations et des études de marchées de Wizard of the Coast (les créatrices de Donjons et Dragons).
Les « agendas créatifs », ou le « GMS » de Ron Edwards ont été publiés pour la première fois sur la communauté en ligne The Forge (Torner, 2018 : 30). Fondamentalement, son objectif était de créer un lexique plus précis et complet pour parler de la pratique du jeu de rôles et pour aider les designers à mieux cerner leurs joueuses (Edwards, 2001 : 1). Résumons ce qu'il dit rapidement.
Quand la joueuse se lance dans un jeu de rôles, elle prend contact avec le jeu par l’entremise d’une variété d’éléments. La joueuse voit le jeu à travers son personnage, le système qu’elle joue, le setting dans lequel se déroule la partie, les situations dans lesquelles elle est placée et avec la « couleur » du jeu (les détails et les images dans le jeu et en dehors du jeu qui génèrent une certaine atmosphère lors de la partie). Ces éléments sont uniques à chaque système de jeu et à chaque groupe de jeu (Edwards, 2001 : 2).
Ensuite, il y a les trois axes décisionnels. On pourrait aussi les appeler des styles de jeu:
Finalement, Edward parle de la posture que chaque joueuse adopte lorsqu’elle joue son personnage. Il y en a quatre :
Quelque chose d’important à mentionner ici, c’est que les joueuses ne restent jamais seulement dans une posture et dans un style de jeu préféré. Une joueuse peut prendre des décisions « gamist », puis adopter un style « simulationniste » juste après. La posture d’une joueuse peut changer entre chaque fois qu’elle prend la parole.
Appliquons le modèle de Ron Edwards à la situation que j’ai présenté plus tôt.
Où plutôt, ce que je devrais dire, c'est que je vais m’amuser à présenter des exemples de comment différents groupes pourraient utiliser le même jeu, les mêmes règles, pour résoudre la situation différemment. Plus encore, je présenterai comment ces règles peuvent être modifiées pour satisfaire aux différents agendas créatifs.
Joueuse 1 : « Qu’est-ce qu’on fait ? »
Maîtresse du jeu : « Est-ce que tu demandes ça à voix haute ? »
Joueuse 1 : « euh… non. »
Maîtresse du jeu : « Sauf si tu as une façon de communiquer avec les autres sans que Le Blanc soit au courant, pas le droit de communiquer avec les autres. »
Ici, on voit une interaction entre la maîtresse du jeu et la joueuse 1. La décision de la MdJ est ancrée dans un style simulationniste : il n’y a pas réellement de règles dans le jeu de Donjons et Dragons 5e qui empêche les joueuses de discuter entres elles dans une telle situation. « Réalistiquement », cependant, les personnages n’ont pas de façon de communiquer sans mettre Le Blanc au courant. La joueuse ne pouvait pas communiquer son désaccord sauf si son personnage l’exprimait aussi à voix haute. Elle a décidé de ne pas prendre le risque.
Joueuse 2 : « Heille, il nous menace, right ? Mon personnage ne va pas se faire traiter de même. Est-ce qu’il y a une chaise de vide dans la pièce ? »
Maîtresse du jeu : « Oui. Juste à côté de toi, il y a une chaise de bois. »
Joueuse 2 : « Je la prends et je vais la casser sur la tête de Le Blanc pour le faire tomber inconscient ! »
La joueuse 2 a adopté ici une posture de directrice : elle décide que la chaise, de 1, existe à côté d’elle, que l’utiliser rendra Le Blanc inconscient et que la chaise cassera. Évidemment, la maîtresse du jeu a le mot final sur toutes ces décisions, mais nous pouvons voir comment la joueuse a « fait apparaître » des éléments dans la situation.
C'est le temps de casser la chaise.
Dans un style simulationniste, la maîtresse du jeu pourrait argumenter que d’utiliser la chaise serait difficile et qu’elle ne cassera probablement pas. La MdJ considérerait probablement la chaise serait comme une arme improvisée (Player’s Handbook, 2014 : 147-148). Elle pourrait cependant appliquer un malus à l’attaque, puisqu’elle pourrait raisonner qu’une chaise n’est pas une arme super ergonomique, contrairement à quelque chose comme une bouteille de verre, qui est aussi une arme improvisée. Ceci est une déviation des règles, quoique mineure.
Dans un style gamist, la MdJ appliquerait probablement les règles sur les armes improvisées à la lettre. Ce serait injuste de modifier les règles qui ont un impact tactique, après tout.
Dans un style narrativiste, la question se poserait : est-ce que c’est plus dramatique si tout se déroule exactement comme la joueuse 2 le souhaite ? Les règles de Donjons et Dragons stipulent qu’une attaque ne peut rendre inconscient une créature que si elle tombe à 0 point de vie. Une vulgaire chaise ne fait clairement pas assez de dégât, mais, en même temps… n’est-ce pas dramatique que Le Blanc tombe inconscient aussi rapidement ? Si la joueuse 2, enragée, attaque le représentant d’un groupe sans consulter les autres ? Comment est-ce que les joueuses réagiront ? Que vont-elles faire, maintenant? Vont-elles prendre Le Blanc otage ? Vont-elles le tuer ?
Évidemment, ce ne sont que des exemples imaginés pour ce blogue, mais je crois que vous voyez où je veux en venir. Selon le style de jeu d’un groupe et selon les préférences des joueuses, les règlements du jeu peuvent être perçues et utilisées différemment. Si les joueuses d’un groupe cherchent à raconter des histoires, elles vont ajouter ou ignorer des règles pour mieux raconter des histoires. Si les joueuses adorent l’aspect tactique des combats, les règles existeront pour préserver cet aspect, et, si de nouvelles règles sont ajoutées, ce sera pour améliorer cet aspect du jeu.
Honnêtement, je ne sais pas si j'aurai réellement besoin de diviser les joueuses que j'étudierai en types lors de mon étude. Comprendre les motivations des joueuses de Donjons et Dragons ne nécessitera peut-être pas nécessairement d'emprunter des modèles du genre, après tout.
En plus, j'admets être emêté, puisque les modèles que j'ai trouvé répondent aux besoins des designers, pas nécessairement à mes besoins. Ils ne se traduiront possiblement pas super bien à une recherche en communication comme la mienne.
Mais bon, comme l'expression le dit, on ne peut pas faire un mémoire sans casser quelques chaises.
Messemble que c'est ça l'expression, en tout cas.
Bartle, R. (1996). Hearts, Clubs, Diamonds, Spades: Players Who suit MUDs. MUD.co.uk. https://mud.co.uk/richard/hcds.htm
Edwards, R. (2001). GNS and Other Matters of Role-playing Theory. The Forge. http://www.indie-rpgs.com/articles/1/
Torner, E. (2018). RPG Theorizing by Designers and Players. Dans Role-Playing Game Studies: Transmedia Foundations (p. 56). Routledge.
Wizard of the Coast. (2014). Dungeons & Dragons, 5th edition, Player’s Handbook. Wizard of the Coast.
Ceux qui me connaissent savent que je suis « un peu » passionné par les jeux de rôles sur table. Assez passionné, du moins, pour en faire mon sujet de recherche pour mon mémoire de maîtrise. Si cet article à une utilité quelconque, c’est de résumer mon sujet de recherche, qui va m'occuper pendant un an de ma vie.
Je ne suis pas intimidé du tout par l’idée, de quoi tu jases ?
Pour cet article, je souhaite expliquer « rapidement » ce que je vais (fort probablement) étudier dans mon mémoire de maîtrise : les règles de la 5e édition de Donjons et Dragons (DnD 5e).
J'utilise le féminin pour alléger le texte.
Je maintiens l’opinion, que j’ai volé à un certain Matt Colville, que Donjons et Dragons est l’activité la plus amusante à faire avec son cerveau. Cependant, c’est une activité qui se résume difficilement, parce que c’est à la fois… euh… simple ET compliqué.
Fondamentalement un jeu de rôles sur table, c’est une hallucination collective. C’est l’activité de s’imaginer une histoire en groupe, à laquelle chaque joueuse participe. Les joueuses contrôlent un personnage. Elles décident comment leur personnage agit, pense et réagit aux situations dans l’histoire. Une des joueuses endosse le rôle de maîtresse du jeu. Celle-ci décrit l’espace, les événements de l’histoire et les réactions du monde aux actions des personnages. Ces deux rôles sont « contraints » (nous reviendrons à cette idée, promis) par les règles du jeu, qui proposent des façons de décider comment le résultat de certaines situations dramatiques devrait être décidé.
La partie « hallucination collective » arrive quand on comprend que toutes ces actions ne sont souvent qu’imaginées. La plupart des joueuses n’utilisent des figurines, des cartes et des objets que dans certaines situations (comme des combats). La plupart du temps, les situations dramatiques sont racontées à l’oral.
***
« Ton personnage grimpe par-dessus l’escarpement et aperçoit un ravin, à quelques mètres devant. Qu’est-ce que tu fais ? »
« Je veux prendre un élan et sauter par-dessus le ravin ! »
« Parfait. Ce serait un jet d’Athlétisme, ça. Peux-tu me faire ça ? »
« 18 ! »
« Ton personnage prend son élan et se lance par-dessus le ravin creux de plusieurs dizaines de mètres. Tes pieds touchent le sol de l’autre côté sans problème. »
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Écrire une histoire, ça prend une autrice. Je ne vous apprends rien ici, je l’espère. Le Seigneur des anneaux n’existerait pas sans J.R.R. Tolkien. Garfield n’existerait pas sans Jim Davis.
(Nommer ces deux auteurs un à côté de l’autre est sacrilège, je sais, mais je ne m’excuserai pas.)
Cependant, qu’arrive-t-il lorsqu’une histoire a plusieurs autrices simultanément ? C’est compliqué, mais, dans le fond, les jeux de rôles sur table en sont un exemple.
Dans l’exemple de la joueuse qui fait sauter son personnage par-dessus un ravin, on voit toutes ces autrices en jeu. Jessica Hammer parle des différents « textes » qui se disputent l’autorité dans le cadre d’une partie de jeu de rôles. Ces textes sont primaires, secondaires et tertiaires. Le jeu est le texte primaire : il codifie les règles du jeu. Le texte secondaire provient de la maîtresse du jeu, qui établit l’environnement et les défis à surmonter. La joueuse agit dans le texte tertiaire lorsqu’elle prend la décision que son personnage sauterait par-dessus le ravin (Hammer, 2007 : 70-71).
Pourtant, la joueuse a un pouvoir d’autrice très grand. Que serait-il arrivé si la joueuse avait décidé d’analyser l’environnement pour trouver une autre façon de traverser le ravin ? La maîtresse du jeu aurait eu à réagir à cette demande d’informations. Dans sa réaction, celle-ci aurait eu à prendre d’autres décisions créatives. Y a-t-il une autre façon de traverser ? Si oui, est-ce que cette méthode est suffisamment évidente au personnage pour que la joueuse n’ait pas à rouler ? Si découvrir une autre façon de traverser demande un jet, quelles règles du jeu la maîtresse devrait-elle utiliser ?
Le jeu aussi est une autrice (ou du moins, l’équipe qui a écrit le jeu est une autrice) à considérer durant une partie de jeu de rôles. Dans les règles du jeu, il est dit que ce genre de défis périlleux (sauter par-dessus le ravin) devrait être réglé par un jet de dés, puisqu’il est possible pour le personnage d’échouer.
Ces différentes autrices s’imposent mutuellement des restrictions et ont une certaine autorité sur les autres. Les règles du jeu imposent des procédures à suivre à la maîtresse du jeu, qui crée des défis basés sur ces restrictions. Ces mêmes défis établissent des restrictions pour les possibilités créatives de la joueuse. Cependant, l’inverse est aussi vrai. La joueuse peut inventer des solutions imprévues qui peuvent invalider les décisions créatives de la maîtresse du jeu. La maîtresse du jeu peut choisir de ne pas suivre toutes les règles du jeu et de déroger au contenu préparé pour s’adapter aux demandes créatives de l’autrice tertiaire (la joueuse) (Stricklin, 2017 : 34-35).
« OK, mais, genre, tu es en comm. C’est quoi le rapport entre la communication pis ça ? »
J’y arrive, personne imaginaire, j’te jure.
Un livre de règlements, en tant que tel, c’est un produit médiatisé. C’est un livre, il y a des mots dedans. On comprend ces mots-là et on s’en sert pour déterminer comment on va jouer au jeu. J’invoque le nom d’un gars, Stuart Hall, ici.
Hall dit qu’il n’y a aucun lien entre le message que les créatrices souhaitaient créer en produisant le média et comment le message est interprété par les spectateurs. Dans un film, les images, les mots, les angles de caméra, les couleurs, etc. sont choisis par les créatrices pour tenter de communiquer un message spécifique. Ensuite, les gens comme nous interprètent le contenu du média. Pour interpréter, nous devons nous baser sur ce que nous connaissons du monde et ce que nous croyons personnellement, parce que nous n’avons pas accès à la tête des créatrices. Hall énumère trois types de réceptions d’un message :
Je parlais de Donjons et Dragons au début. J’y reviens. Les règlements des jeux de rôles sur table sont généralement propagés par l’entremise de livres de règlements. Ces jeux sont complexes, mais ne permettent pas de répondre à toutes les situations imaginables par les joueuses dans une partie. Plutôt, le jeu assume que la maîtresse du jeu doit utiliser son pouvoir d’autrice pour improviser des solutions lorsque les règles ne sont pas adéquates. Dans les livres de la nouvelle édition de Donjons et Dragons, c’est même indiqué noir sur blanc dès les premières pages (à la 5e page dans le Player’s Handbook et à la 4e page dans le Dungeon Master’s Guide).
Je porte l’hypothèse, donc, que différentes joueuses ont différentes interprétations des règles et qu’elles vont donc appliquer les règles différemment. Chaque joueuse décide quelles règles sont correctes à changer et celles qui ne devraient pas être changées. Pour reformuler : les joueuses décident parfois d'accepter le message hégémonique du livre, ou elles décident parfois de le rejeter et de forger leur propre interprétation.
Un exemple que j’ai trouvé particulièrement intéressant sur comment la relation avec les règles change d’une personne à l’autre vient du mémoire d’Émilie Paquin sur les dynamiques de groupe dans les jeux de rôles, publié l’an passé. Elle a effectué des observations non participantes de trois groupes en jeu. Dans une section, elle résume leur relation avec les règles.
Dans le premier groupe, les joueuses se sont révélées conformistes avec les règles : les joueuses se restreignaient aux possibilités encouragées par les règles du jeu. Dans un autre groupe, les joueuses testaient les limites de leur jeu et questionnaient directement la maîtresse du jeu sur si certaines règles pouvaient être changées. La maîtresse du jeu dans ce groupe décidait parfois d’ignorer des résultats de dés, afin de faciliter la progression de l’histoire. Dans un troisième groupe, les joueuses, moins habituées aux jeux de rôles, se référaient aux procédures du système et aux connaissances de la maîtresse du jeu. La maîtresse du jeu, dans ce groupe, avait inventé des règlements pour récompenser « […] les joueurs qui faisaient des actions innovantes qui étaient en cohérence avec leur personnage » (Paquin, 2020 : 133). La maîtresse du jeu adaptait aussi les règlements aux actions que les joueuses souhaitaient effectuer (Paquin, 2020 : 131-134).
Son sujet de recherche n’est qu’indirectement lié avec le mien, mais permet quand même d’entrevoir que la relation avec les règles change radicalement d’un groupe à l’autre. Certaines joueuses respectent les limites imposées par les règles, au point de baser leurs décisions sur ce que le jeu « permet » de faire, alors que d’autres s’attendent à ce que les règles s’adaptent à leurs choix en jeu. Dans certains cas, les joueuses ont inventé des règles pour encourager certains comportements.
Ça ne prend que quelques discussions avec des joueuses de DnD pour voir à quel point cette relation varie de groupe en groupe. Il y a des groupes où les races (elfes, nains, etc.) sont remplacées par d’autres espèces fantastiques. Dans d’autres groupes, il y a des classes bâties sur mesure pour les joueuses et des monstres créés de toutes pièces. Certains créent des règles pour des systèmes inexistants, comme des règles pour permettre aux joueuses de fabriquer des potions, pour faciliter l’exploration de monde ou pour négocier le prix d’un item avec un marchand. Sur des communautés en ligne, des milliers de joueuses se partagent des modifications de règlements, comme sur /r/DnDBehindTheScreen (408 k abonnés), /r/DnDHomebrew (119 k abonnés) et /r/UnearthedArcana (179 k abonnés), pour ne nommer que des communautés sur Reddit.
Enfin, nous arrivons à mon sujet de recherche. Pour de vrai, cette fois. Je préfère éviter de formuler une question de recherche complète, question d’éviter de m’embarrasser jusqu’à ce que celle-ci soit décidée pour vrai, mais allons-y.
Ce qui me rend curieux dans tout ça, c’est de voir comment l’interprétation des règles varie de joueuse en joueuse. Pourquoi est-ce que certaines joueuses, mais pas toutes, changent les règlements ? Quels règlements sont changés ? Pourquoi changer ces règlements, mais pas d’autres ?
L’objectif de mon projet de recherche sera d’établir une fondation théorique plus approfondie et d’aller interviewer des joueuses de DnD 5e. Je veux comprendre comment elles interprètent les règlements, et plus encore, comment celles-ci ont choisi de créer leurs propres changements aux règlements. Dans le futur, je souhaite utiliser 4 cafés comme mon espace pour partager mon progrès et mes découvertes sur le sujet. Ça risque de changer fréquemment!
Si c’est un sujet qui vous fascine, contactez-moi ! Ça me ferait plaisir de voir vos opinions et de discuter !
Hall, S. (1973). Encoding and Decoding in the television discourse, 22.
Hammer, J. (2007). Agency and authority in role-playing texts. Dans M. Knobel et C. Lankshear (sous la direction de.), A new literacies sampler (vol. 29, p. 67‑94). Peter Lang Publishing.
Paquin, É. (2020, avril). Dynamiques des groupes restreints dans les jeux de rôle sur table [mémoire accepté]. Université du Québec à Montréal.
Stricklin, C. (2017, mai). Off the Rails: Convergence through Tabletop Role-Playing Modules [University of Wyoming].
Wizard of the Coast. (2014a). Dungeons & Dragons, 5th edition, Dungeon Master’s Guide. Wizard of the Coast.
Wizard of the Coast. (2014b). Dungeons & Dragons, 5th edition, Player’s Handbook. Wizard of the Coast.